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Lifestyle - Beyrouth Insight

Tarek Alameddine, chef de file

Invité par Tawlet à préparer un dîner pour la première édition de Aasha el-khamis*, rencontre avec cet audacieux mais humble cuistot, à seulement 27 ans chef de partie au Noma de Copenhague, classé 4 fois meilleur restaurant du monde.

Tarek Alameddine, chef de partie au Noma de Copenhague. Photo Jaime Fritsch, courtesy of Chef's Roll

Rien à voir avec la prétention des étoiles montantes des fourneaux qui bombent le torse de leur notoriété dans des vestes en gabardine amidonnées. Aucune parenté avec ces jeunes stars de la cuisine à qui le succès n’en finit pas de monter à la tête, sous leurs altières toques en calicot immaculées. C’est à peine si l’on remarquait Tarek Alameddine, jeudi dernier, à Tawlet, tant il fignolait, avec une discrétion et un flegme étonnants son menu de 7 plats, conçu pour la première édition de Aasha el-khamis sous le regard d’une quarantaine de personnes venues se frotter, l’espace d’un dîner, aux deux étoiles Michelin du restaurant Noma où le cuistot libanais de 27 ans seulement officie en chef de partie depuis trois ans.

Bayd w banadoura

À observer ses doigts aiguisés comme des coutelas japonais, ses ongles manucurés de choses qui se découpent, se mélangent et se marinent, on jurerait volontiers que Tarek Alameddine a poussé dans la cuisine familiale à Aley. Rien de cela, non plus. Et, quitte à casser illico cette romance, le concerné réfute notre théorie à la noix : « Il y a souvent dans les success stories des chefs, ces histoires romancées d’une enfance passée aux fourneaux, aux côtés d’une mère ou d’une grand-mère qui cuisine. Dans mon cas, rien ne me prédestinait à faire métier dans la cuisine. » De son enfance passée dans le Chouf, le chef ne conserve que l’odeur de la sauge qui embaumait les jardins ainsi que le goût simple et minéral du bayd w banadoura qui demeure, jusqu’à aujourd’hui, son plat préféré. À l’adolescence, quand il régale les papilles de ses copains avec « des sandwiches tout bêtes », il se souvient : « Je me suis dit : “Et pourquoi pas devenir chef ?”, avec toute la spontanéité, voire l’impulsivité, que l’on peut avoir à l’âge où tout nous semble possible. »

Après un stage au restaurant La Posta à Beyrouth où, en débarquant à la cuisine, « je ne savais même pas comment ciseler un oignon », rit-il, il quitte son poste à Mix FM pour faire ses armes aux Roches. Sa sœur, Reem, présente lors de l’interview, commente cette période : « Il ne savait pas aligner deux mots d’anglais, c’était un outsider, il n’avait aucune notion de tout ce monde, ni les grands chefs ni les étoiles Michelin. Il a défié tous ceux qui lui prédisaient trois jours dans le domaine. ».

Un brin du Liban au Noma

Fort d’une opiniâtreté dont il continue à se surprendre lui-même, le jeune diplômé en études culinaires tapote sur son clavier « Les 50

meilleurs restaurants du monde » auxquels il adresse des courriers qui resteront sans réponse. Il réitère l’exercice, cette fois en perfectionnant ses lettres plus personnalisées qui retiennent l’attention du prestigieux chef Alex Atala, aux commandes du restaurant D.O.M. (deux étoiles Michelin), à São Paolo, où il est admis pour un stage. À l’issue de cette courte expérience, il postule à nouveau aux « 50 meilleurs restaurants du monde », dont le Noma à Copenhague (classé numéro un en 2010, 2011, 2012 et 2014), qui engage le Libanais de 23 ans pour un stage. Refusant que son manque d’expérience l’assigne à un échec, il se lance à l’exercice comme on se jette dans le vide. « J’affectionne particulièrement la compétition que je retrouve, sous une autre forme, au sein d’une cuisine. C’est un lieu où il faut survivre en quelque sorte, avec la pression de devoir constamment performer et être à la hauteur des attentes des clients, surtout dans des restaurants du calibre du Noma. L’erreur n’est pas admise », confie-t-il. Et de poursuivre : « En fait, les clients font fi de nos états d’âme, de si on a mal dormi, de si on est malade, etc. Il n’y a aucune excuse finalement. ». En l’espace de quelques mois, Tarek Alameddine gravit les échelons et se voit hissé au rang de chef de partie, fin 2015, alors qu’il empile les heures supplémentaires aux côtés de Dan Giusti, chef du restaurant à l’époque, et découvre l’immensité des possibilités culinaires qu’il ignorait jusqu’alors. Comme, par exemple, « l’idée d’introduire des fourmis dans un plat qui me paraissait absurde ». Il n’a que 23 ans et, au lieu de se fondre dans les mouvances culinaires de l’époque, il préfère revendiquer ses origines en proposant, lors des Saturday Night Projects qu’organise le Noma pour son équipe, une relecture personnelle des plats qui mijotent dans sa mémoire. Il puise ainsi dans les tiroirs de ses souvenirs, appelle sa mère « pour une recette, au besoin », ou s’inspire de notre « mouné locale » pour en exhumer des plats qu’il soumet au collectif Noma, à sa tête le chef René Redzepi : du « jmach » qu’il associe à des œufs de caille, une « mhammara », du « hommos » ainsi qu’un « chawarma » végétarien qui, au bout de six essais, rejoint le menu du restaurant. « Je ne veux pas dénaturer la cuisine libanaise. Loin de là. Ce que je cherche, c’est à proposer ma propre lecture de mes souvenirs culinaires, de faire des clins d’œil à ceux qui connaissent tel ou tel plat et le redécouvre tel je le recrée. D’ailleurs, je n’ai pas tourné le dos au Liban. J’ai plein de projets pour le pays », conclut Tarek Alameddine, nous laissant, pour une fois, sur notre faim.

*Inauguré le jeudi 20 décembre 2018 à la faveur du dîner conçu par Tarek Alameddine, « Asha el-khamis » est le plus récent des projets de Tawlet. Tous les jeudis soir, donc, des chefs locaux et internationaux, des agriculteurs, des producteurs, des vignerons ou des passionnés de la gastronomie et du terroir partageront leurs histoires et leurs parcours autour d’un dîner. Jeudi 27 décembre, une rencontre avec Hanan Sayyed Worrell, l’auteure de « Table Tales : The Global Nomad Cuisine of Abu Dhabi », qui raconte Abou Dhabi à travers sa cuisine. Le 3 janvier, lancement de « Gata », le dernier des gin libanais, dans le cadre d’une soirée festive intitulée « Ginno » et d’une rencontre avec Jamil Haddad, fondateur de la microbrasserie Colonel à Batroun. Le 10 janvier, c’est Abou Rabih, l’un des premiers agriculteurs bio libanais, qui, venu de Bebnine dans le Akkar, racontera tous ses rêves bio…

8 questions gourmandes

Le plat que vous pouvez manger tous les jours

La mjaddara.

Une recette de prédilection

C’est plutôt une inspiration.

Je m’inspire des plats et des saveurs du Liban, suivant la manière dont l’Empire ottoman a répandu la connaissance culinaire à travers l’est de la Méditerranée.

Ce que vous ne pouvez pas mettre en bouche

Les abats d’agneau.

Un restaurant préféré

Hija de Sanchez, à Copenhague.

Un plat de votre enfance

Bayd w banadoura.

Un goût acquis avec le temps

L’umami.

Le plat libanais qui vous manque le plus à Copenhague 

Les mashawi.

Le Liban en une saveur

Fraîche comme les senteurs de sauge dans les montagnes.



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Rien à voir avec la prétention des étoiles montantes des fourneaux qui bombent le torse de leur notoriété dans des vestes en gabardine amidonnées. Aucune parenté avec ces jeunes stars de la cuisine à qui le succès n’en finit pas de monter à la tête, sous leurs altières toques en calicot immaculées. C’est à peine si l’on remarquait Tarek Alameddine, jeudi dernier, à Tawlet,...

commentaires (2)

Interessant ! A suivre.

Cadige William

11 h 22, le 28 décembre 2018

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Commentaires (2)

  • Interessant ! A suivre.

    Cadige William

    11 h 22, le 28 décembre 2018

  • Mille bravos. Et bonne continuation et plein d'autres réussites à venir.

    Sarkis Serge Tateossian

    11 h 21, le 28 décembre 2018

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