Du haut de son moins d’un mètre soixante, l’apparence, mais uniquement l’apparence, frêle, élégante, souriante, Nour Salamé porte bien son prénom. Elle aurait pu se contenter d’être « fille de », poursuivre une carrière où le poste et le pouvoir de son père Riad, gouverneur de la Banque centrale, lui auraient éventuellement servi. Mais ce n’est pas le cas. Ni le père ni la fille ne l’ont voulu.
Nour Salamé a donc choisi de se construire au fil des mots, des projets culturels, du paysage artistique principalement local. Une manière d’immortaliser et de (re)présenter ici et ailleurs un patrimoine sans cesse renouvelé.
Son enfance sera partagée entre un Liban en guerre, Paris et un retour au pays où elle achève sa scolarité au Collège Louise Wegmann. C’est d’abord vers les chiffres, qu’elle aime également, qu’elle se dirige en entreprenant des études de business à l’AUB. « J’ai adoré travailler en tant que consultante en management chez Deloitte Consulting, confie-t-elle. Le conseil est un métier très diversifié. » Ses « missions » le seront aussi, auprès de clients comme Chanel, Valeo ou encore Peugeot. En 2004, elle rejoint L’Oréal pour 3 ans.
« Puis j’ai commencé à faire des livres avec ma mère Nada, spécialisée dans des ouvrages sur l’art de la table. Ce n’est pas un domaine que je comprends mais j’ai senti un manque qu’il fallait remplir. » Dream Homes of Lebanon, leur première collaboration, sort en 2008. Les deux volumes ont été « très bien reçus », la (pas) « fille de sa mère » aussi aura un avant-goût du métier d’éditeur et une envie personnelle de se diriger vers des ouvrages plus axés sur l’architecture et le design.
En même temps, elle tombe « par hasard », à Dubaï, sur une exposition d’artistes libanais. « Yvette Achkar, Paul Guiragossian et d’autres… Je me suis dit que c’était quand même incroyable de ne pas les connaître… » Pourquoi, alors, ne pas faire un ouvrage sur l’art au Liban ? Elle se lance dans une « véritable épopée », car, comme elle le précise, et comme souvent, au Liban, « il n’y avait aucune archive ». « J’ai visité 70 collections, photographié et archivé le tout. À partir des 5 000 œuvres photographiées, nous avons, avec un comité, sélectionné 60 artistes qui ont commencé à exposer avant la guerre civile, depuis le XIXe siècle jusqu’à 1975. » Le livre, intitulé Art From Lebanon - Modern and Contemporary Artists, Part I : 1880-1975, coédité par Marie Tomb, sort, deux ans plus tard, en deux versions, française et anglaise, accompagné d’une exposition.
Coup d’essai, coup de maître, 6 000 copies imprimées, le livre est en rupture de stock. Le second volume suivra en 2015. « Il n’y avait rien, pas encore de scène artistique et culturelle aussi vibrante qu’aujourd’hui, mais un balbutiement. Nous étions dans un contexte où les gens commençaient à s’intéresser à l’art. »
Un baby blues aidant et de l’énergie à revendre, Nour Salamé rencontre Ziad Antar à Dubaï. « Je préparais une exposition au BAC et j’ai réalisé que sans livre, il ne resterait rien après l’exposition. Pas de trace. » Elle crée sa maison d’éditions, Kaph Books, inspirée de l’alphabet phénicien. « Un nom polyvalent, qui passe au Moyen-Orient et à l’international. Un nom arabe qui résonne à l’étranger. Une main ouverte. » Ouverte à l’art, conceptuel ou pas, aux monographies d’artistes, avec une idée maîtresse : construire une maison d’édition avec des artistes reconnus, qui devienne une marque utile.
Ce beau « parcours du combattant » qu’elle répète à chaque livre lui a permis aujourd’hui de se diversifier et de se placer parmi d’autres maisons d’édition internationales, d’être sélectionnée dans des foires internationales comme Paris Photo, Art Dubai, Art Basel, les Rencontres d’Arles ou la New York Art Book Fair, dans une région où, précise-t-elle, « nous n’avons pas une culture du livre aussi forte qu’en Europe. De plus, les livres sur l’art du Moyen-Orient sont une niche »…
En 2018, de nombreuses collaborations ont donné naissance à des ouvrages importants, parmi lesquels : une collaboration avec Saradar Collection-Liban, la Fondation arabe pour l’image, le Macba Espagne ou encore le Louvre Abou Dhabi. Infatigable, Nour Salamé ? Sûrement… Elle a ça dans son ADN. « Le respect du travail fait partie de notre éducation. Je cherche encore ma propre identité, même si j’ai appris de mon père l’humilité. Il est présent mais silencieux, discret et rationnel. Dans un grand respect de l’autre. Il m’a tellement donné, mais je ne saurais l’exprimer. » « De ma mère, poursuit-elle, j’ai appris ce métier et pris ce côté passionnel dans tout ce qu’on fait. »
Les dernières publications 2018
Rifat Chadirji : Building Index
On Photography in Lebanon
Japanese Connections : Birth of Modern Decor (co-édition avec le Louvre Abou Dhabi et le Musée d’Orsay)
Seta Manoukian : Painting in Levitation
Abandoned Dwellings : a History of Beirut
Nadim Asfar : Hyper Images
Nadim Asfar : Habiter le jour
Lamia Joreige : Works 1994-2017
Rayyan Tabet : Fragments
Akram Zaatari : Against Photography
Plutôt
Chiffres ou lettres ? Lettres (j’ai obtenu un bac littéraire)
Hier ou demain ? Hier, malheureusement
Paris ou Beyrouth ? Beyrouth
Art moderne ou contemporain ? Moderne
Peinture ou photo ? Photo
Mariage ou union libre ? Union libre
Livres ou expos ? Livres
Français, anglais ou arabe ? Français
Couleur ou noir et blanc ? Couleur
Automne ou printemps ? Printemps
Montagne ou mer ? Mer
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commentaires (1)
MATTA charbel mattacharbel@hotmail.com je ne peux que réagir à l'article consacrée à Nour Salamé . je la félicite pour le travail qu'elle entreprend dans ce domaine culturel . Vaste chantier au Liban . parler culture et travailler pour sa promotion est un vrai défi . suis professeur à l’École des Beaux-arts de Bordeaux artiste peintre , collectionneur , bibliophile ....résidant à Bordeaux depuis longtemps . je ne peux que me réjouir du travail de Nour .BRAVO !! j'espère avoir l'occasion de la rencontrer , en France ou au Liban et parler CULTURE . merci de lui faire passer mon adresse mail .
matta charbel
12 h 57, le 14 décembre 2018