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Économie

De la nécessité d’une politique monétaire et ses limites

Le secrétaire général de l’Association des banques du Liban (ABL), Makram Sader. Photo DR

Dans sa dernière évaluation des risques de crédit pour l’économie mondiale, publiée le 6 novembre 2018, l’agence de notation Moody’s prévoit que la situation demeure stable durant l’année 2019, même si les taux de croissance devraient rester modestes. Moody’s a aussi répertorié les pays considérés comme les plus vulnérables face à une hausse des marges d’intérêt, du fait qu’ils disposent d’une dette publique importante et d’une faible capacité à accroître leurs recettes fiscales, en y incluant le Liban. Le rapport fait d’ailleurs état d’une accentuation des pressions économiques sur le pays en raison des déficits intérieur et externe, mais aussi des pressions politiques en l’absence d’un gouvernement.

Sur le plan des finances publiques, les dernières données publiées par le ministère des Finances pour les six premiers mois de 2018 confirment les prévisions de Moody’s. Au lieu que les dépenses publiques baissent conformément aux engagements du Liban auprès de la communauté internationale durant la CEDRE, elles ont augmenté de 29 % à 5 955 millions de dollars ! Évidemment, cette hausse est due à la hausse des salaires et des traitements de la fonction publique suite au relèvement de la grille, puisqu’ils ont augmenté d’environ 65 %, à 5,6 milliards de dollars. Ainsi, les dépenses publiques totales, hormis celles relatives aux salaires, ont baissé. La hausse des dépenses se répercute de fait sur la dette publique qui a augmenté de 4,4 % durant les six premiers mois de 2018, à 83 milliards de dollars. Et l’endettement ne cesse de s’accroître, puisque les données relatives à fin septembre 2018 indiquent que la dette publique a atteint 83,84 milliards de dollars (+5,46 %). Cela signifie que la dépense publique poursuivra cette dynamique haussière jusqu’à la fin de l’année en cours, contrairement aux engagements du gouvernement à CEDRE.

Les recettes publiques ont, elles, baissé de 2 %, à 5 941 millions de dollars au premier semestre 2018. Sans la hausse de 74 % des recettes générées par le relèvement de la taxe sur les intérêts (bancaires), à 509 millions de dollars durant cette même période, la baisse des recettes publiques aurait été nettement plus importante. Car les recettes générées par les établissements publics ont baissé de plus de 33 %, à 442 millions de dollars. Cette diminution reflète la récession économique qui sévit, en dépit des augmentations fiscales introduites. Le Trésor public et le ministère des Finances doivent donc s’attendre à un grand recul des recettes publiques en 2019. D’abord, car les banques se sont acquittées en 2018 des taxes sur les bénéfices exceptionnels issus des opérations d’échange de titres qui ne se répéteront pas, mais aussi car les prévisions de croissance sont modestes. Pour rappel, il est prévu que l’économie enregistre une croissance d’environ 1 % en 2018 et de 1,3 % en 2019, selon le dernier rapport de la Banque mondiale. On s’attend à ce que le PIB atteigne 54,34 milliards de dollars en 2019, contre 53,6 milliards de dollars en 2018.

Au creusement du déficit public et à une croissance au ralenti, s’ajoute le déficit extérieur, qui n’en n’est pas moins important. Du fait de l’écart entre la production de marchandises et un volume de consommation en pleine croissance depuis la hausse des salaires de la fonction publique, le pays enregistre un déficit commercial de 16,8 milliards de dollars. Évidemment, cette tendance se poursuit pour l’année en cours, puisque le déficit commercial a atteint 11,6 milliards de dollars sur les huit premiers mois de 2018. Les exportations de services, les entrées de capitaux et les remises des expatriés ne compensent que l’équivalent de 8 % du PIB, ce qui laisse un déficit des comptes courants de 23 %, soit environ 12,5 milliards de dollars par an, selon les estimations de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international.

Mais malgré tout le respect que nous vouons au FMI et à la Banque mondiale, nous nous permettons de mettre en doute cette estimation du déficit courant (23 %). Car si nous prenons en compte les entrées de capitaux de court terme et les résultats de la balance des paiements (1 311,4 milliards de dollars à septembre 2018 et 155,7 millions de dollars pour l’ensemble de l’année 2017), alors le volume des investissements directs étrangers vers le Liban atteindrait au minimum les 10 milliards de dollars par an. Et dans ce cas-là, la croissance économique varierait entre 4 % et 6 % au lieu des 1 % et 1,5 % estimés par la Banque mondiale et le FMI. À titre de comparaison, le déficit public de l’Égypte et du Liban sont autour des 10 % du PIB, tandis que le déficit courant différe beaucoup entre les deux pays : 3,4 % en Égypte contre 23,5 % au Liban !

Sur le plan de la politique monétaire, nous recensons des disparités entre les deux pays concernant les taux d’intérêt qui demeurent inférieurs à 10 % au Liban, mais qui dépassent les 17 % en Égypte, malgré le fait que le taux de change est stable au Liban alors qu’en Égypte, il est certainement laissé aux fluctuations du marché. Cela signifie qu’une partie des corrections opérées en Égypte se fait à travers la balance des paiements et les fluctuations du taux de change, et donc en freinant la consommation des biens importés. La Turquie connaît la même situation, puisque les taux d’intérêt (24 %) et l’effondrement du taux de change ont conduit au maintien d’un déficit courant de 5,8 %. Alors les Libanais souhaitent-ils une baisse du taux de change pour corriger le déficit extérieur ? Absolument pas, et il s’agirait là d’une décision politique et non monétaire. La seule mission de la politique monétaire est d’assurer un relèvement de la construction des taux d’intérêt dans une économie dollarisée, face à une hausse des taux à l’international et le creusement du déficit courant. Cette politique monétaire avec des taux d’intérêt élevés n’est évidemment pas favorable à la croissance économique. Mais elle fait gagner du temps à la classe politique, qui n’en profite pas. Bien au contraire, elle dilapide ce temps acheté au prix fort. Alors maintenant que la politique monétaire actuelle approche de ses limites, il est temps de procéder à des ajustements fondamentaux du modèle économique existant. Cela peut se faire à travers la restructuration des institutions publiques, le contrôle et la restructuration des finances publiques, de sorte que les institutions industrielles et agricoles et les sociétés de services retrouvent leur capacité de production et de flexibilité du travail. Le système monétaire pourra alors reprendre sa fonction fondamentale qui est d’assurer un financement suffisant pour un coût acceptable par les entreprises et les ménages. Le secteur bancaire est essentiel dans le processus de réforme et de restructuration.

Ainsi, nous consommons davantage que ce que nos revenus nous permettent, et nous finançons cette différence en augmentant la dette de l’État, des ménages et des particuliers dans le secteur bancaire. Il est difficile, voire impossible de continuer cette dynamique, en raison des ressources humaines (que nous exportons pour pouvoir bénéficier de ses transferts) et financières limitées. Les risques souverains, associés aux dangers des sanctions, nous imposent des traitements radicaux, courageux et extraordinaires.

En bref, seule une correction de l’économie réelle grâce à une réaffectation plus productive des ressources et des capacités disponibles et à une redistribution plus équitable des revenus peut faire passer le pays d’une situation de détérioration à une situation prospère.

Contenu produit par Makram Sader, secrétaire général de l’Association des banques du Liban (ABL).

Dans sa dernière évaluation des risques de crédit pour l’économie mondiale, publiée le 6 novembre 2018, l’agence de notation Moody’s prévoit que la situation demeure stable durant l’année 2019, même si les taux de croissance devraient rester modestes. Moody’s a aussi répertorié les pays considérés comme les plus vulnérables face à une hausse des marges d’intérêt, du...

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