Le Premier ministre désigné, Saad Hariri, a maintenu jeudi son refus d'accorder un portefeuille ministériel aux six députés sunnites pro-8 Mars au sein de son gouvernement dont la formation est attendue depuis six mois. Cette prise de position intervient en réponse à une escalade dans les demandes de ces parlementaires soutenus par le Hezbollah.
"Je ne changerai pas de position et mes propos ne visent à défier personne, mais je pense que le tapage politique ne mène nulle part", a déclaré M. Hariri dans un communiqué publié par son bureau de presse. Et de poursuivre : "Les compromis ne se font que pour l'intérêt du pays et j'étais toujours le premier à y œuvrer, mais ce qui est proposé aujourd'hui n'est pas un compromis et ne sert pas les intérêts du Liban et des Libanais". M. Hariri a fait ces déclarations devant les députés de son bloc parlementaire et des responsables de sa formation politique.
Moins d'une heure plus tôt, les six députés sunnites avaient annoncé qu'ils veulent désormais choisir eux-mêmes le portefeuille ministériel qui devrait, selon eux, leur être accordé, marquant ainsi une escalade dans leurs demandes. "Nous revenons sur notre engagement à ne pas choisir le portefeuille du ministre qui devra nous représenter", a fait savoir le député de Tripoli Fayçal Karamé, lors d'une conférence de presse qu'il a tenue à son domicile tripolitain. "Nous appelons pour la troisième fois Saad Hariri à nous accorder une audience, car nous ne voulons pas (...) que les choses restent dans un cadre politique", a ajouté M. Karamé. "Demander une audience est une sorte de concession", a-t-il estimé. Il a enfin appelé le chef de l'Etat, Michel Aoun, à "déployer tous ses efforts pour sauver le pays des jeux politiques qui risquent d'emporter le Liban".
Plus tôt dans la journée, une source haut-placée au sein du Courant du Futur avait commenté la demande des sunnites pro-8 Mars d'une rencontre avec le Premier ministre désigné. "Comment Saad Hariri peut-il recevoir un groupe de députés alors que certains parmi eux l'ont accusé de travailler pour l'axe américano-israélien. Des gens de ce niveau ne mettront jamais les pieds à la Maison du Centre", a déclaré ce responsable. La veille, le Hezbollah, qui soutient ces députés, avait affirmé que Saad Hariri "peut attendre indéfiniment" avant que le parti chiite ne change d'avis.
La polémique Wahhab-Hariri s'envenime
Parallèlement, la polémique opposant le parti de Saad Hariri à des figures du 8 Mars, avec à leur tête l'ancien ministre Wi'am Wahhab, s'est poursuivie jeudi à coups de communiqués et de déclarations.
Alors que le Courant du Futur avait appelé ses partisans au calme mercredi soir, leur demandant de retirer les panneaux et calicots qu'ils avaient accroché dans les rues pour protester contre la campagne menée contre Saad Hariri, et de ne pas descendre dans les rues, des rassemblements ont eu lieu dans certains quartiers sunnites dans la nuit de mercredi à jeudi. Ces rassemblements ont été condamnés par la presse proche du 8 Mars, ce que le Courant du Futur a dénoncé dans un communiqué, affirmant que "le Futur n'a pas besoin d'avoir recours à la rue ni de fermer des routes pour exprimer son opinion politique et qu'il considère comme une ligne rouge la stabilité intérieure" du pays.
Une vidéo montrant Wi'am Wahhab insulter, sans les mentionner, le chef du Courant du Futur et son père assassiné Rafic Hariri, qui avait fuité en fin de journée mercredi, a également remis de l'huile sur le feu. M. Wahhab s'est toutefois excusé pour cette vidéo et a souligné que les "insultes personnelles" proférées sur l'enregistrement avait été lancées "sous le coup de la colère".
Après la diffusion de cette vidéo, un groupe d'avocats a demandé au procureur général près la cour de cassation d'engager des poursuites contre l'ancien ministre druze, pour "incitation à la division et atteinte à la paix civile".
Lundi, Wi'am Wahhab avait déjà tenu des propos violents à l'encontre du Premier ministre désigné et de son père lors d'une émission télévisée, ce qui avait provoqué la colère de partisans de M. Hariri qui avaient brièvement coupé plusieurs routes à l'aide de pneus incendiés.
(Lire aussi : Après Hariri, Aoun dans le collimateur du Hezbollah)
Rifi et Joumblatt défendent Hariri
Réagissant à la campagne à l'encontre du Futur, l'ancien ministre Achraf Rifi et le leader druze Walid Joumblatt ont tous deux pris la défense des Hariri. "Porter atteinte au Premier ministre martyr Rafic Hariri, à sa famille et à son fils Saad, constitue un comportement criminel similaire à celui qui a mené à l'assassinat de Rafic Hariri", a twitté M. Rifi. "Nous n'avons pas peur de vos armes et votre projet a échoué. Ne jouez pas avec le feu et ne vous en prenez pas à nos martyrs, Rafic Hariri constitue une ligne rouge", a-t-il poursuivi.
"Il semble que les opérations d'attaques contre les dignités et l'invention de mensonges et de légendes se sont généralisés", a de son côté écrit M. Joumblatt, estimant que "chacun a le droit de défendre ses propres opinions, dans la limite de la loi".
Wi'am Wahhab lui a répondu peu après, affirmant qu'il n'y a "aucune opération" en cours. "Ils ont insulté nos parents et ont voulu nous faire taire", a-t-il écrit sur Twitter. "Nous ne considérons pas que les parents des autres sont plus importants que les nôtres, point à la ligne", a-t-il ajouté.
Quelques heures plus tard, M. Joumblatt a de nouveau condamné sur son compte Twitter les propos de Wi'am Wahhab. "En mon nom et celui de tous les habitants de la Montagne, je condamne les propos de Wi'am Wahhab dans lesquels il porte atteinte à Saad Hariri, en violation de tous les us et de la morale", a écrit M. Joumblatt. "Ces propos nous rappellent les incitations du parti syrien Baas durant les années passées qui ont apporté des malheurs aux Libanais", a ajouté le chef du Parti socialiste progressiste.
M. Wahhab n'a pas tardé à lui répondre, accusant notamment sur son compte Twitter M. Joumblatt d'avoir lui-même été pro-Baas dans le passé et ce pendant plusieurs années.
M. Wahhab a par ailleurs annoncé qu'il allait intenter une action en justice contre Saad Hariri et ses collaborateurs, en raison de panneaux accrochés par les partisans de M. Hariri et qui contenaient des insultes et menaces de mort à son encontre. Il a précisé que l'affichage de ces panneaux "a précédé la vidéo qui a fuité" et dans laquelle on le voyait insulter Saad Hariri et son père.
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commentaires (8)
De cette foire seul un gouvernement de technocrates pourra sauver le pays sauf si les intentions sont mauvaises .
Antoine Sabbagha
23 h 09, le 29 novembre 2018