Les audiences du mercredi, hier à Aïn el-Tiné. Photo ANI
Le Hezbollah semble déterminé à affaiblir le Premier ministre désigné Saad Hariri, mais aussi le mandat de son allié stratégique de longue date, le président de la République Michel Aoun. C’est ainsi que l’on pourrait interpréter la léthargie gouvernementale actuelle née de l’insistance du Hezbollah à voir ses alliés prosyriens intégrer le futur cabinet par le biais d’un ministre qui relèverait du lot de M. Hariri. D’ailleurs, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah n’avait pas mâché ses mots. Lors de son discours, le 10 novembre, le leader chiite avait déclaré sans détour : « Nous voulons que les députés sunnites (du 8 Mars) soient représentés au cabinet par un ministre relevant de la quote-part du chef du gouvernement désigné. »
Il va sans dire qu’à travers ces propos, Hassan Nasrallah a tenté d’exclure le chef de l’État, en sa qualité d’allié du parti, du bras de fer opposant sa formation à la Maison du Centre. Sauf que Baabda semble désormais être dans le collimateur du Hezbollah qui ne serait pas prêt à faciliter la tâche de Saad Hariri.
C’est ainsi qu’il conviendrait d’interpréter des propos d’une importance capitale tenus hier par Mohammad Raad, chef du groupe parlementaire du parti de Hassan Nasrallah. « Le Hezbollah n’est pas concerné par la crise de la formation du gouvernement et ne l’a pas provoquée », a-t-il lancé lors d’une cérémonie à Ghaziyé, au Liban-Sud. Soulignant que la solution réside en un dialogue avec les six députés sunnites (du 8 Mars), il a déclaré : « Celui qui s’attend à ce que nous modifions notre position à ce sujet, attendra indéfiniment, tant que ces députés insistent pour leur représentation gouvernementale. » Et d’ajouter : « Nous sommes les parangons de l’attente. Depuis 1 300 ans, nous attendons l’imam al-Mahdi. Ils nous ont déjà testés lors de l’élection présidentielle. » « Un gouvernement d’union nationale devrait inclure tous ceux qui ont droit à être représentés », a-t-il encore dit soulignant que « les députés sunnites qui ont soutenu la résistance ont droit à être représentés. Et le Premier ministre n’a pas le droit de les priver de cela ».
Il est évident que par cette escalade verbale, Mohammad Raad répondait implicitement à l’appel aux concessions lancé samedi dernier par le chef de l’État, dans ce qui a sonné comme un message politique au Hezbollah. D’autant que les deux alliés divergent sur le fameux « nœud sunnite », Michel Aoun appuyant la position de Saad Hariri à ce sujet.
(Lire aussi : Gouvernement : les attaques contre Hariri mobilisent sa base)
Le tiers de blocage
À cela s’ajoutent des propos tenus à Aïn el-Tiné par Jihad Samad, membre de la Rencontre consultative sunnite, en marge des audiences du mercredi. « Le gouvernement pourra voir le jour incessamment si (le chef du Courant patriotique libre) Gebran Bassil accepte d’obtenir dix ministres au lieu de onze, pourvu que nous obtenions un ministre », a-t-il affirmé dans un entretien accordé à la MTV.
Bien au-delà de l’obstacle sunnite, cette prise de position de M. Samad est à n’en point douter liée à une volonté manifeste du Hezbollah d’empêcher le camp de Baabda d’obtenir le tiers de blocage au sein de la future équipe ministérielle pour des raisons articulées autour de probables calculs politiques, voire présidentiels, à long terme.
Selon certains observateurs, le Hezbollah chercherait aussi à affirmer sa présence dans les rangs de la communauté sunnite, en vue d’y affaiblir le courant du Futur. Une autre interprétation voudrait également que cette escalade ne saurait être dissociée du bras de fer opposant les États-Unis à l’Iran, qui s’est vu infliger de nouvelles sanctions américaines renforcées.
S’ils n’écartent aucunement cette dimension, les milieux de la Maison du Centre contactés par L’Orient-Le Jour placent les positions des ténors du parti chiite et ses alliés dans le cadre d’un processus que le Hezbollah suit afin de contrôler la décision politique, stratégique et souverainiste du pays. Mais ils s’empressent de préciser que le Premier ministre n’entend aucunement céder aux desiderata du Hezbollah. Il ne rencontrera donc pas les députés sunnites pro-Assad.
Il n’en reste pas moins que les milieux haririens continuent de faire valoir que la seule façon de régler la question de la représentation des députés hostiles au courant du Futur serait de nommer une personnalité indépendante qui puisera son poste ministériel chez le chef de l’État.
(Lire aussi : Aoun prend l’initiative en vue d’un déblocage du nœud sunnite)
Pas de « ministre-roi »
En face, Baabda n’en démord pas : il n’est pas question de surmonter l’obstacle sunnite aux dépens du président de la République. Des sources informées citées par l’agence locale al-Markaziya soulignent dans ce cadre que Michel Aoun n’est pas concerné par l’entrave actuelle, rappelant que c’est à la faveur de son sens des responsabilités qu’il a chargé le chef du CPL de trouver une solution à même de satisfaire tous les protagonistes.
Se voulant plus claire, une source au sein du bloc Le Liban fort parrainé par le courant aouniste interrogée par la même agence écarte la possibilité d’un recours à la formule du « ministre-roi ». Une démarche consistant à nommer un ministre sunnite proche du Hezbollah mais qui relèverait du lot présidentiel.
Toujours selon les mêmes sources, Gebran Bassil attend les réponses des protagonistes à ses « idées » de solutions discutées mardi lors d’un entretien avec le président de la Chambre, Nabih Berry, pour décider de la prochaine étape de son initiative.
Quant à M. Berry, il poursuit son forcing dans le sens de la genèse d’un gouvernement, sans pour autant passer à l’action. S’exprimant lors des audiences du mercredi, le chef du législatif a insisté sur l’importance d’une formation rapide de l’équipe ministérielle pour faire face aux défis socio-économiques, faisant état de « nouvelles formules » pour régler ce problème. Une allusion sans doute à la démarche de Gebran Bassil.
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commentaires (8)
Cela devient vraiment suspect d'entendre tous ces ténors politiques et même de simples citoyens défendre ou réclamer du matin au soir un ministre sunnite-pro-syrien au gouvernement... Combien sont-ils payés pour cela ? On voudrait nous faire croire que ces Sunnites, Chiites, Chrétiens, Druzes, se sentent brusquement investis d'une mission d'appui envers ces députés dont presque personne ne parlait il y a deux ou trois semaines ? Irène Saïd
Irene Said
16 h 11, le 29 novembre 2018