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Liban - Portrait

Mouïn Hamzé, ou le rêve d’une harmonie entre science, éthique et innovation

Pour Mouïn Hamzé, secrétaire du CNRS, « une université qui ne mène pas un travail de recherche scientifique n’est qu’un grand lycée ». Une chose manque pourtant au fondateur de la faculté d’agronomie de l’UL : l’enseignement.

Mouïn Hamzé. Photo DR

Il existe, dans la mentalité des Libanais, ce mythe du fonctionnaire du secteur public qui ne travaille pas et qui néglige ses responsabilités à tel point qu’il finit par oublier qu’il est fonctionnaire. Mouïn Hamzé, secrétaire général du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS), avoue lui aussi oublier souvent qu’il est fonctionnaire. Non par négligence, mais par passion et dévouement. « Je n’ai jamais considéré mon travail comme un simple emploi », confie-t-il à L’Orient-Le Jour.

Son bureau au siège du CNRS à Jnah est un bureau typique de scientifique : les objets qui s’y trouvent semblent avoir été organisés suivant la loi du nombre d’or. Sa pensée ne l’est pas moins. En allant d’une idée à une autre, faisant preuve d’un glissement subtil à travers un fil conducteur aussi invisible que présent, Mouïn Hamzé donne à son interlocuteur l’impression de lire les pages d’un livre alors qu’il ne fait que converser !

« Notre mission, en tant que scientifiques, est de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons, de le rendre plus facile à vivre, que ce soit au niveau du développement, de la santé publique ou encore de l’environnement », affirme M. Hamzé.

Pour lui, il ne peut y avoir d’innovation et de progrès sans recherche scientifique. « Une université qui ne mène pas un travail de recherche scientifique n’est qu’un grand lycée », estime-t-il. Fondateur de la faculté d’agronomie de l’Université libanaise, M. Hamzé a œuvré contre vents et marées pour mettre en place une faculté capable de concurrencer les meilleures du pays.

« En 1985, j’ai créé la faculté d’agronomie de l’Université libanaise. Nous étions en pleine guerre civile, et pourtant, j’ai réussi à placer la faculté au même rang que ses semblables du secteur privé », raconte M. Hamzé. « Pour relever ce défi, j’ai dû déployer un effort significatif sur deux niveaux : le jumelage avec des institutions de renommée internationale et l’excellence au niveau de la formation », explique-t-il.

La faculté d’agronomie de l’UL a rapidement occupé une place très importante sur la scène universitaire et académique du Liban. « Quand je me souviens du modèle de la faculté qu’a été celle de l’UL, et de toutes les opportunités de travail qu’elle a pu créer au niveau de la recherche et de la profession, et ce avec très peu de moyens et en temps de guerre, je me sens très fier », affirme M. Hamzé.

L’enseignement manque-t-il à Mouïn Hamzé ? « Énormément, répond-il sans hésitation. Cela fait vingt ans que je préside le CNRS et que je n’enseigne plus. Ce qui me manque le plus, c’est la passion avec laquelle on enseigne aux autres une matière. »

Ce qui manque également au secrétaire général du CNRS, aujourd’hui âgé de 70 ans, ce sont les amitiés qui se nouent au fil des années. « À l’université, avec un public à 100 % renouvelé toutes les années, les collègues deviennent des amis et les étudiants des collègues », révèle-t-il. « À l’université, je me trouvais dans un auditorium de 1 500 étudiants... Gérer un pareil public est passionnant », enchaîne-t-il, non sans une pointe de nostalgie.

Outre l’enseignement et la recherche scientifique, Mouïn Hamzé est passionné de photographie et de voyage. « J’ai toujours été passionné par la photo, j’en prends de très belles », dit-il, précisant qu’il préfère les portraits. Aujourd’hui, s’il prend de moins en moins de photos, il ne cesse d’enchaîner les voyages. L’Europe le passionne, et il cite ses pays préférés sans hésitation : la France, l’Autriche, l’Italie, l’Espagne. « Mais je rentre toujours. Même en temps de guerre, j’ai été tenté plusieurs fois de rester (à l’étranger), mais je n’ai jamais cédé », confie-t-il.

Mouïn Hamzé est le père de deux filles, Noura et Yara, et l’époux de l’ancienne ministre Wafa Dika Hamzé. Une épouse à qui il a rendu un hommage appuyé lors de son discours, à la Résidence des Pins, quand il a été fait chevalier de la Légion d’honneur. Le président du jury du programme L’Oréal-Women in Science est un défenseur des droits de la femme, notamment dans le milieu de la recherche scientifique.


Porte-étendard de la recherche scientifique
À la tête du CNRS, chargé depuis sa création en 1962 d’encourager la recherche scientifique, Mouïn Hamzé affiche plusieurs réussites. En 2004, le CNRS a réussi à moderniser la loi sur les sciences incluses dans son domaine d’action, élargissant ainsi son spectre à de nouvelles disciplines telles que la sociologie, l’économie et le droit, pour ne citer que celles-là. « Cet amendement a donné au CNRS une plus grande liberté et flexibilité », commente M. Hamzé.

D’ailleurs, le président du CNRS, qui avait suivi des études de sciences de la terre, de l’eau, l’irrigation, la pollution et l’environnement, s’intéresse, depuis qu’il préside l’organisation, à des programmes en rapport avec le développement durable, la gestion des catastrophes naturelles et les politiques scientifiques, entre autres.

En 2016, le président du CNRS a été le premier à élaborer et publier une charte d’éthique pour la recherche scientifique validée par Tammam Salam, alors Premier ministre, et 19 présidents d’université. « Je suis très fier de ce document », lance-t-il.

Mouïn Hamzé, qui occupe des postes-clés depuis 35 ans déjà, se veut prudent et vigilant à cet égard. « Trop de pouvoir tue le pouvoir », dit-il, avant de poursuivre : « J’ai toujours eu le souci de produire quelque chose d’utile qui servira aux gens et qui est à caractère durable. Nous n’avons pas le luxe de lancer des projets sans prendre en considération leur impact dans le temps. »

Cela dit, M. Hamzé se souvient de l’effort et du temps investis pour convaincre le public libanais que le CNRS existe bel et bien, que la recherche existe et que les Libanais sont compétents à ce niveau. « Il faut déployer encore plus d’efforts, le pari n’est pas encore gagné », ajoute-t-il.

Il est vrai que le pari n’est pas encore gagné, mais le président du CNRS est déterminé. « Je rêve du jour où le médecin tendra la main au sociologue, et tous les deux à un spécialiste en intelligence artificielle, pour qu’ils répondent ensemble aux différents enjeux d’une même problématique, cernant ainsi tous ses aspects », explique-t-il.

Trente-cinq ans après avoir occupé son premier poste-clé, Mouïn Hamzé rêve de multidisciplinarité, de complémentarité entre les sciences et d’harmonie entre science et éthique, tout cela au service de l’humain. « Je rêve toujours », avoue-t-il.


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