Le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane et ses proches ont orchestré l'épisode de la démission forcée du Premier ministre libanais, Saad Hariri, annoncée à Riyad en novembre 2017, et de sa séquestration, selon un très long article publié vendredi par Le Monde qui revient sur ce "coup de force de l’apprenti monarque" qui "a tourné au fiasco", selon le journaliste Benjamin Barthe, faisant écho au meurtre du journaliste Jamal Khashoggi.
Selon cet article publié dans les pages de M, le magazine du Monde, basé sur des témoignages anonymes recueillis auprès d’une dizaine de sources libanaises et étrangères, "Saad Hariri a bel et bien été l’otage du prince héritier. Convoqué à Riyad, malmené, forcé à démissionner, le leader sunnite libanais, chef du Courant du futur, n’avait pu retrouver son poste et sa liberté que grâce au sursaut d’orgueil de la classe politique libanaise et au forcing des capitales occidentales, notamment Paris. Le plan a été conçu par MBS comme une manière de regagner du terrain face à l’Iran". Selon Benjamin Barthe, cette affaire est "révélatrice de l’hubris et de l’amateurisme du quasi-régent de Riyad".
Selon un diplomate occidental, "l’idée de MBS consistait à dresser deux fous l’un contre l’autre, Hassan Nasrallah d’un côté et Baha Hariri de l’autre, le frère aîné de Saad, qui a tenté de prendre son poste. Le prince héritier était prêt à déclencher une sorte de guerre civile, entre sunnites et chiites, pour obliger le Hezbollah à se désinvestir du Yémen".
L'article raconte comment Saad Hariri, que MBS a convié à participer à un pique-nique dans le désert, a été séparé de son escorte personnelle puis introduit dans une pièce où trois fidèles du prince héritier l’attendaient : Thamer al-Sabhane, le gestionnaire du dossier libanais à la cour, Walid al-Yaacoub, son adjoint, et Saoud al-Kahtani, le conseiller de MBS, tous de farouche adversaires du Hezbollah.
Selon l'article, c'est M. Kahtani qui "supervise l’interrogatoire du trop conciliant Saad, autre obstacle au grand dessein de Mohammad ben Salmane d'écarter l’Iran". Selon une source citée par Le Monde, M. Hariri a été "secoué". "Il n’y a pas eu de violence physique, mais les Saoudiens ont été brutaux et l’ont insulté. Dans leur esprit, ils ne parlaient pas avec le Premier ministre du Liban, mais avec un membre de leur tribu, dont l’Arabie a fait la fortune".
Selon cette source, MM. Sabhan et Yaacoub auraient reproché à M. Hariri de ne pas avoir transmis à Ali Akbar Velayati, le conseiller diplomatique du Guide suprême de la République islamique, Ali Khamenei, venu à Beyrouth la veille, un message de Riyad sommant Téhéran de cesser d’interférer dans les affaires arabes. "Ils se sont rendus compte que Saad ne l’avait pas fait, probablement parce qu’ils ont piraté son portable. Ils l’ont traité de menteur, ils ont affirmé que son comportement était indigne de celui d’un citoyen du royaume et qu’il devait leur remettre son passeport saoudien sur-le-champ. Devant le refus de Saad Hariri, ils lui ont dit que dans ce cas il devait démissionner et lui ont tendu un discours à lire devant les caméras", raconte cette source.
"Pour les putschistes saoudiens, l'alternative à Saad Hariri ne pouvait être que son frère aîné Baha'. Toutes les figures du clan sont priées les unes après les autres de se rendre à Riyad. Objectif : réunir un conseil de famille qui propulserait Baha' à la tête du gouvernement libanais. Mais aucune n’a accepté de se déplacer (...) A partir de là, les sbires de MBS enchaînent les revers, signes de leur totale impréparation", poursuit l'article.Ce n'est que le 18 novembre que les choses bougent, grâce à l'intervention personnelle du président français Emmanuel Macron qui a fait un crochet par Riyad. Invité par la France, Saad Hariri arrive le 18 par avion privé à Paris, où il s'entretient avec le chef de l’État français. Ce n'est que le 21 qu'il rentre enfin à Beyrouth via Chypre. Le lendemain, il assiste à la fête de l'Indépendance du Liban aux côtés du président Michel Aoun et du chef du Législatif Nabih Berry. Ce jour-là, Saad Hariri annonce qu'il suspend sa démission, en attendant des consultations sur des dossiers épineux, dont l'implication du Hezbollah dans des conflits régionaux. Le 5 décembre, il revient définitivement sur sa décision.
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A l'OLJ: Dans un article précédent de l'OLJ sur le même sujet, le nom d'une personne de l'entourage du PM a été citée comme rapporteur aux saoudiens, et qui leur avait dit que le Président Hariri avait menti et qu'il n'avait pas livré le message.... Dans cet article l'auteur se demande si ce n'est pas son téléphone portable qui était sur écoute.... Cordialement,
21 h 49, le 18 novembre 2018