Ouvert sous un chapiteau éclairé d’une lumière glauque que ne parvenait pas à égayer un grand dais noir imitant un ciel étoilé, le Salon du livre nous a laissé, à sa clôture, un goût de cendre. Rarement, pourtant, on aura soulevé lors de cette grand-messe de la culture autant de sujets fondamentaux : de l’adaptation du système scolaire et des méthodes d’apprentissage au défi numérique (Farid Chehab), du « cyberdroit » à l’heure de la « cybercriminalité » (Christiane Féral-Shuhl), des régimes autoritaires dans le monde arabe, de la gestion des déchets plastiques (portée par la campagne #MaBaddaPlastic menée par L’Orient-Le Jour) ou des enjeux de l’eau (Fadi Comair). Ces débats offraient une belle opportunité de s’informer en direct et de poser les bonnes questions. Devant l’affluence d’un public prêt à écouter et faire avec les auteurs et intervenants le travail de réflexion que les thèmes imposent, on était gagné par une vague d’optimisme et, oui, de fierté. Le public libanais, du moins celui, considérable, du Salon du livre francophone, est éclairé, averti, engagé. Le reste de l’année, ces mêmes personnes fréquentent des cours pour adultes, initient des actions d’intérêt public ou s’y impliquent en bénévoles, apportent leur pierre, aussi modeste soit-elle, à l’édifice public.
Cependant, et à propos d’amertume, c’est dans les débats centrés sur le Liban que s’est glissé le désespoir. Le mot n’est pas trop grand. Tout à coup, la lumière grise des LED faisait bloc opératoire. Les pronostics tombaient, aussi sombres les uns que les autres. Les intervenants n’essayaient même plus, comme cela s’est souvent vu en pareilles circonstances, de terminer sur une note optimiste. Il y avait ce corps matriciel dont on constatait l’agonie en direct, et le sifflement intermittent des micros ressemblait à celui d’un moniteur cardiaque proche de la ligne plate. La mauvaise mine des présents n’était pas due aux seules ampoules fluorescentes. Lors de la table ronde organisée par la Fondation Michel Chiha, à l’occasion de la publication d’une anthologie des écrits de celui qui fut le concepteur du Liban moderne et indépendant et l’un des rédacteurs de sa Constitution, le politologue Karim Émile Bitar a invité à une réflexion sur « le positionnement économique et géopolitique du Liban dans un monde en mutation ». Quel positionnement ? Quel monde ? semblait se demander le public à l’heure où, une fois de plus, le système est incapable de produire ne serait-ce qu’un gouvernement. Quel que soit le débat, les mêmes constats revenaient. « Le système est verrouillé au bénéfice d’une oligarchie corrompue. L’exemple de la corruption institutionnelle est reporté sur la base de la pyramide, et les enfants, les jeunes eux-mêmes commencent à rejeter leur appartenance », a relevé, en substance, l’auteur et juriste Alexandre Najjar dans une autre rencontre. « Dites non! » a martelé l’ancien ministre Marwan Hamadé, appelant à un nouveau sursaut de la société civile. Bien que dotée d’un exceptionnel potentiel, ladite société civile n’a plus goût aux vaines manifestations. Ce non, pourtant, en chacun de nous, doit surgir. Se résigner reviendrait à débrancher le grand malade qui nous sert de pays et lui ôter tout espoir.
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Excellent son de cloche à nous tous. Citoyens qui doivent se faire entendre car si les soi-disant dirigeants et chefs de ci et de ça manquent de passion pour ce pays le citoyens, qui œuvrent tout les jours à sauvegarder et à nous ramener vers le normal, ont plus le droit d'être entendus et surtout d'agir. Merci!
Wlek Sanferlou
13 h 54, le 15 novembre 2018