La visite du Premier ministre désigné Saad Hariri à Riyad est cette fois différente de toutes les autres. Elle intervient à un moment où le royaume saoudien traverse une crise sans précédent, suite à l’assassinat – planifié ou non – du journaliste saoudien opposant Jamal Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul. En même temps, cette affaire aux rebondissements multiples – qui n’est d’ailleurs pas close, puisque la dépouille mortelle du journaliste n’a pas encore été trouvée et qu’on ignore encore son état, sachant que dans ce contexte, chaque détail a son importance – a ramené sur le devant de la scène l’épisode de la démission forcée de Saad Hariri depuis Riyad, qui avait eu lieu le 4 novembre 2017. La plupart des médias occidentaux, américains et britanniques en particulier, ont évoqué cet épisode dans leur description des décisions du prince héritier Mohammad ben Salmane.
S’il est vrai que le Premier ministre n’a jamais donné les détails sur ce qui lui est arrivé à cette époque, il n’a jamais critiqué les dirigeants saoudiens à ce sujet, se contentant de dire qu’il garde pour lui ce qui s’est passé durant ce voyage. Mais de nombreuses versions avaient circulé à ce moment-là, laissant entendre que le Premier ministre avait été forcé à démissionner. Dans un entretien à une chaîne française, le président français Emmanuel Macron avait même déclaré récemment que la France avait évité le déclenchement d’une nouvelle guerre civile au Liban, lors de la détention du Premier ministre de ce pays à Riyad.
Il reste que depuis l’éclatement de l’affaire Khashoggi, de nouveaux détails ont été apportés sur cet épisode, notamment le rôle présumé de l’un des membres de l’équipe des 15 venue à Istanbul pour, selon les uns, tuer Jamal Khashoggi, et, selon les autres, le convaincre de rentrer à Riyad, qui ne serait autre que l’un des conseillers principaux du prince héritier au trône Mohammad ben Salmane. Ce dernier, que certaines parties internationales soupçonnent d’être impliqué dans l’affaire Khashoggi, est donc dans une position délicate, qui jusqu’à hier après-midi l’avait poussé à ne faire qu’une rapide apparition au forum économique organisé sur son impulsion à l’hôtel Ritz Carlton de Riyad. C’est donc à l’ombre de cette situation complexe et inédite que le Premier ministre désigné s’est rendu à Riyad, où il a été accueilli avec tous les honneurs, photos à l’appui. Il a été ainsi reçu hier par le roi Salmane ben Abdel Aziz et plus tard dans l’après-midi d’hier par le prince héritier Mohammad ben Salmane. Les deux hommes ont ainsi participé à l’une des séances du Forum économique d’investissement, appelé le « Davos du désert », et c’est là qu’on a vu le prince pour la première fois depuis l’éclatement de l’affaire Khashoggi, discuter devant les participants et les médias de questions économiques et de projets d’investissement, allant même jusqu’à plaisanter sur la présence de Saad Hariri à Riyad. Dans cette atmosphère critique pour les dirigeants saoudiens, la présence de ce dernier est donc de la plus haute importance car elle leur permet de démentir indirectement toutes les accusations de détention et de pressions pour qu’il démissionne qui avaient été portées contre eux.
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En se rendant à Riyad pour participer à une des séances de ce forum économique, Saad Hariri donne ainsi de la crédibilité à la version officielle saoudienne, à la fois dans l’épisode de la démission de Riyad et dans l’affaire Khashoggi, puisque les médias internationaux font le lien entre ces deux développements.
Le Premier ministre désigné exprime aussi de cette manière sa loyauté à l’égard de la famille royale et se tient à ses côtés pendant l’une des plus graves crises de son histoire. Selon des sources proches du courant du Futur, Saad Hariri a sciemment choisi de se rendre à Riyad et de participer publiquement à une des séances du forum économique pour bien montrer ses bonnes relations avec les dirigeants saoudiens et leur témoigner son soutien dans cette crise. Il sait aussi que son apparition aux côtés du prince héritier, dans une séance publique, est utile à ce dernier et devrait être de nature à montrer que tout ce qui avait été dit sur sa détention à Riyad et sur les pressions exercées sur lui pour le pousser à démissionner n’était pas précis. Pourtant, depuis cet épisode du 4 novembre 2017 et depuis son retour au Liban le 22 novembre de la même année, il avait tenté à plusieurs reprises de rencontrer l’émir, et il a effectué plusieurs voyages en Arabie dans ce but, en vain. La seule rencontre avait eu lieu à Paris et une photo avait été prise les montrant ensemble, mais, selon les informations ayant filtré, il n’y avait pas eu de véritable entretien. La visite actuelle de Saad Hariri est donc de nature à assainir les relations entre le Premier ministre et les dirigeants saoudiens, comme elle est de nature à régulariser les rapports entre le Liban et l’Arabie en dissipant les nuages qui s’étaient accumulés depuis l’épisode de novembre 2017. Ce qui, selon les sources proches du courant du Futur, ne peut que renforcer la position de Saad Hariri au Liban. Les mêmes sources ne font pas de lien direct entre cette visite et la formation du gouvernement, mais concernant ce dernier dossier, il semblerait que dès son retour à Beyrouth, le Premier ministre désigné devrait s’employer à mettre les dernières touches à la mouture qu’il devrait soumettre au président de la République au cours des prochains jours...
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commentaires (7)
la distanciation, ne marche que pour l'Iran ? il y a un premier ministre qui est libano-saoudien, donc fait allégeance au roi saudi ! il va à Riyad , et se fait "kidnappé", et forcer à démissionner et même se fait battre !!!!! ET SOUTIENT TOUJOURS LE REGIME SAOUDIEN , ce régime criminel où est la distanciation ? le souverainisme ? L'indépendance ?
Talaat Dominique
20 h 41, le 25 octobre 2018