Le président de l’ordre des avocats de Beyrouth, André Chidiac, a rejeté hier la demande présentée par la députée de Beyrouth d’entamer une action en justice contre l’avocat et journaliste Joseph Abou Fadel qui avait lancé, le 30 septembre dernier, une réplique sexiste à l’adresse de Paula Yacoubian, députée de Beyrouth, lors d’un entretien sur la chaîne OTV (aouniste).
Le bâtonnier a motivé sa décision en se fondant sur la loi qui organise la profession d’avocat, plus précisément sur l’article 94, qui lui octroie le droit de lever partiellement l’immunité d’un avocat à des fins de poursuites en justice ou de rejeter toute demande en ce sens.
Évoquant l’affaire de l’avion de la MEA en partance pour Le Caire, qui avait été évacué de ses passagers à la dernière minute pour accueillir les membres de la délégation présidentielle se rendant à New York, Mme Yacoubian avait écrit sur Twitter : « Notre père à tous en est arrivé à faire descendre les gens des avions. » Dans sa réponse, Joseph Abou Fadel avait dit sur l’antenne de la chaîne OTV, en s’adressant à Mme Yacoubian : « En ce qui vous concerne, nous ne savons pas à combien de personnes vous avez donné la tétée. » Les remarques du journaliste avaient suscité une grande indignation dans les milieux politiques et sur la Toile, notamment parmi les femmes, qui se sont considérées directement touchées et concernées par ces propos sexistes.
Le bâtonnier a justifié sa décision par le fait que M. Abou Fadel « est revenu sur ses propos » en présentant publiquement le 14 septembre dernier des excuses, non seulement à Mme Yacoubian, mais également « à toutes les femmes libanaises qui se sont senties blessées ou insultées ».
« Je tiens à affirmer que je voue tout le respect et l’admiration à la femme et reste attaché à ce que sa dignité et sa réputation soient préservées », avait écrit M. Abou Fadel.
Des excuses qui, selon M. Chidiac, ont été largement diffusées dans la presse et sur les médias sociaux. Le bâtonnier a rappelé que conformément à la loi, il jouit d’ « un pouvoir d’appréciation », l’habilitant à décider d’accorder ou de refuser la requête de Mme Yacoubian, « à la lumière des faits et des circonstances de l’affaire ». Il a également affirmé avoir pris en considération « la dignité et l’intérêt des avocats » avant de rendre sa décision.
(Pour mémoire : Joseph Abou Fadel présente ses excuses à « toutes les Libanaises »)
Recours
Interrogée, Mme Yacoubian a exprimé à L’Orient-Le Jour sa volonté de faire opposition à la décision du bâtonnier qu’elle a qualifiée d’« arbitraire ».
« Je suis étonnée de voir à quel point la politique s’immisce dans notre système de vie et s’infiltre dans les moindres détails », a-t-elle déploré, dans une allusion à la « tonalité politique » de la décision prise par le président de l’ordre des avocats. « C’est une décision qui fait honte aux avocats », a-t-elle lancé.
Priée de commenter les réactions aux propos qu’elle avait adressés à Michel Aoun et que d’aucuns ont considérés comme une « diffamation » envers le chef de l’État qui, selon la Constitution, ne saurait faire l’objet d’attaques, la députée a déclaré : « Tout responsable politique est par définition le serviteur de l’État (public servant) et doit par conséquent donner l’exemple à suivre, notamment en matière de respect de la loi et des institutions. Le problème, c’est lorsque l’on constate que ceux qui sont au sommet de la pyramide commettent des manquements à la loi, comme si nous étions régis par la loi de la jungle. »
L’avocat de Mme Yacoubian, Joy Lahoud, a lui aussi réagi à la décision prise par M. Chidiac en invoquant le fait que, selon la loi de l’organisation de la profession d’avocat, M. Abou Fadel « ne peut bénéficier de l’immunité qui lui est octroyée que dans le cadre de l’exercice de sa profession, en l’occurrence lors d’un procès ». « Or, ajoute M. Lahoud, M. Abou Fadel a proféré des insultes à l’encontre de Mme Yacoubian en tant que journaliste et analyste politique. » Il a assuré à L’OLJ qu’il comptait, dans un délai de dix jours, faire opposition à la décision du bâtonnier en présentant un recours devant le conseil de l’ordre.
Contacté à son tour par L’Orient-Le Jour, le bâtonnier s’est refusé à tout commentaire « concernant une décision qu’il a déjà prise sur base de la loi qui organise la profession ». M. Chidiac a ajouté : « L’avocat de défense de Mme Yacoubian connaît bien les règles. Il peut par conséquent exercer son droit de recours. » Et de conclure : « Ma décision, à l’instar de la décision de tout président, n’est pas sujette à polémique ni à controverse. »
Pour mémoire
Joumblatt soutient Paula Yacoubian, cible d'une insulte sexiste
Paula Yacoubian aux jeunes : Il faut convaincre les Libanais qu’il y a une alternative
Liban : S. Gemayel et Yacoubian s’attaquent aux indemnités des anciens députés
Pollution : plongée sous-marine pour Paula Yacoubian pour nettoyer les fonds marins
commentaires (5)
Je cite l'article (et le bâtonnier) : Le bâtonnier a rappelé que conformément à la loi, il jouit d’ « un pouvoir d’appréciation », l’habilitant à décider d’accorder ou de refuser la requête de Mme Yacoubian, « à la lumière des faits et des circonstances de l’affaire ». Il a également affirmé avoir pris en considération « la dignité et l’intérêt des avocats » avant de rendre sa décision. Les citoyens ont également non pas "le pouvoir" mais la faculté d'appréciation. Il ne faut pas les prendre pour des imbéciles. Par ailleurs, le bâtonnier prétend avoir pris en compte "la dignité et l'intérêt des avocats" : leur dignité et leurs intérêts ont justement été bafoués par les propos de Joseph Abou Fadel et c'est ce que le bâtonnier ne semble pas comprendre. Défendre les avocats implique, en réalité, de permettre les poursuites contre Joseph Abou Fadel.
Melki Elias
11 h 48, le 18 octobre 2018