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Lifestyle - This is America

Comme une lettre (d’art) à la poste

À l’âge de la correspondance électronique, le plaisir d’attendre une lettre et d’ouvrir l’enveloppe opère toujours et s’invite sur des cimaises.

De l’art véhiculé via la poste. Photos tirées des archives de l’American Art, Smithsonian

Dans les années 50, une créativité épistolaire avait fleuri, qui est allée au delà des échanges personnels et professionnels. Elle avait engendré ce qui fut baptisé Postal Art, qui consistait à s’envoyer des missives décorées. La lettre et l’enveloppe devenaient ainsi un support d’expression artistique, un véhicule anticonformiste donnant lieu à des échanges dans lesquels une liberté totale de création était proclamée. Un exercice qui a tenu la route malgré l’émergence du numérique. Pour preuve, une exposition organisée par la Lawrence A. Fleischman Gallery du Smithsonian intitulée Pushing the Envelope. C’est une expression anglaise à double sens, qui signifie décacheter l’enveloppe, mais aussi, au sens figuré, repousser les limites. Au cœur de cette tendance, Ray Johnson, issu du néodadaïsme, en était le pionnier aux États-Unis. Peintre, illustrateur, célèbre surtout pour ses collages, il avait tissé un réseau de correspondants qui avaient alimenté ce courrier haut en couleur et en inspiration jusqu’après son suicide en 1995, à 68 ans. Il avait aimablement demandé à ses destinataires d’y ajouter de nouveaux éléments de leur cru et de les renvoyer à d’autres pour ne pas casser la chaîne, invitant même les employés de la poste où transitaient ces enveloppes à en faire de même. Il se souciait moins de recevoir une réponse que de prolonger la métamorphose de son matériel. Pour exemple, une simple caricature découpée dans une revue pouvait en fin de compte devenir, avec des ajouts inattendus, une belle scène étrange et surréaliste.


La réponse démocratique à l’art des musées
Selon l’expert Ryan Smith, « l’art postal était la réponse démocratique à l’art des musées. L’antidote populiste à la critique guindée et emberlificotée limitée par deux visions, l’art “valable” et le “mauvais” art. Alors que toute personne pouvait mettre son talent, quel qu’il soit, dans une lettre et la rendre plus belle, l’art postal était émancipateur et bienvenu. Il représentait un espace libre de tout négativisme, pouvant accueillir une multitude de sentiments et d’idées ».

Dans cet esprit, les spécimens choisis pour cette exposition sont aussi débridés que les parcours inconnus que ce courrier a pu suivre, dépendant de l’humeur de ces drôles d’épistoliers. Ils vont de la satire mordante aux positions politiques radicales, en passant par, tout simplement, le plaisir de manier l’humour pour l’humour. Ou l’humour pour une cause, comme l’avait fait ce groupe d’acteurs activistes homosexuels, Les « Petites Bon-Bons », qui avaient trouvé dans l’art postal un sens communautaire. Eux qui, dans les années 70, vivaient leur sexualité dans l’isolement avaient pu par ce biais, selon la curatrice Miriam Kienle, « se sentir connectés à un large mouvement qui les acceptait tels qu’ils étaient ».

Ce réseau de correspondance était également devenu un forum pour les adeptes du féminisme. L’exposition donne à voir une œuvre de cette veine, un message adressé par l’artiste australienne Pat Larter, connue pour son style provocateur, au caricaturiste John Held et où elle parle des impulsions artistiques du mouvement féministe. Illustration à l’appui : vêtue d’une nuisette à dentelle et arborant un sautoir et des bas en laine, elle fait un pied de nez à la séduction, forçant la parodie avec des yeux maladroitement maquillés. La curatrice précise : « L’art postal et ses cousins de la contreculture ont élargi l’espace où se déploie un art pouvant réellement repousser les frontières. Aussi, rien ne vaut l’expérience d’envoyer et de recevoir un courrier classique et tangible comme l’art postal, enrichi de multiples envois personnalisés et qui expédie un message, tout autant par le texte que par l’image. Ceci ne pourra jamais avoir son équivalent en numérique. » La communication opère toujours et mène tous azimut, rejoignant ce qu’avait écrit la marquise de Sévigné à sa fille, dans une lettre datée du 14 septembre 1689 : « J’admire comme la plume va plus vite et plus loin qu’on ne le veut. »


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