La démarche est rapide et le pas assuré. Il est un peu plus de 9 heures et Naïm el-Rifai est déjà sur les sentiers des montagnes, à Hammana, plus précisément, à l’ouest de Beyrouth. En contrebas de l’autoroute de Damas, un paysage époustouflant s’offre à lui. Sauf qu’aujourd’hui, Naïm ne fait pas une simple randonnée. Alors qu’il égrène les kilomètres, il ramasse les nombreux détritus qui jonchent son chemin. Cette pratique venue de Suède s’appelle le plogging, une contraction des termes jogging et pick-up, marcher ou courir tout en ramassant des déchets. Le concept a séduit l’Europe et s’est rapidement étendu aux États-Unis et au Moyen-Orient. Au Liban, le jeune homme est pour le moment le seul à médiatiser cette pratique via sa page Facebook Plogging Lebanon.
Équipé de gants en latex et de sacs-poubelle, il ouvre la marche. Il ramasse chaque bouteille, sac plastique et canette qu’il croise. « Notre nature n’a pas à être utilisée comme un sac poubelle », clame-t-il, tandis qu’il s’abaisse pour ramasser une bâche, probablement oubliée par des passants. Lors de chacune de ses sorties, il parcourt 10 à 20 km, une façon de se maintenir en forme. « Le plogging fait brûler plus de calories que la marche classique, du fait que l’on doit se baisser et se relever sans arrêt pour collecter les déchets », indique-t-il. En une heure de marche à peine, il a déjà rempli deux sacs d’ordures. « Souvent, ce sont des personnes qui sont venues faire des pique-niques qui ne ramassent pas leurs débris », déplore-t-il.
Une fois les sacs pleins, Naïm el-Rifai les prend à bras-le-corps et rejoint la route. Il tente d’arrêter une voiture pour lui confier son fardeau et ainsi continuer à marcher en étant plus léger. Certaines acceptent, d’autres non.
L’éducation comme solution
Pour ce logisticien, cela traduit un problème d’éducation. « Nous ne pouvons pas continuer à ramasser les déchets indéfiniment, alors que la population ne comprend pas et n’est pas éduquée à la sauvegarde de l’environnement », souligne-t-il. Pour lui, une part du problème pourrait se résoudre en sensibilisant les plus jeunes, par le biais du système scolaire. Expatrié aux Émirats arabes unis pendant une vingtaine d’années, il est revenu il y a un an au Liban. Il a ramené avec lui sa passion pour la randonnée et son amour de la nature. Il a aussi retrouvé un pays différent, avec « une classe moyenne moins bien éduquée qu’avant », selon lui. « Il y a un manque de compréhension de la part des gens », affirme-t-il.
Si l’éducation est un enjeu majeur pour la gestion des déchets, le gouvernement a également un rôle à jouer dans leur traitement. En 2015, le pays a fait face à « la crise des poubelles ». Pendant plusieurs semaines, les détritus n’ont pas été ramassés dans la rue. Le pays manque d’infrastructures pour gérer les ordures, et cela a donné lieu à des décharges à ciel ouvert. Il y a donc un problème à deux niveaux : il faut, d’une part, éduquer la population à ne pas laisser ses détritus dans la nature et, d’autre part, faire en sorte que le gouvernement assure correctement la prise en charge des déchets.
Naïm el-Rifai est inquiet pour le futur du pays qu’il vient de retrouver. « La beauté du Liban ne peut pas accepter nos ordures. Nos enfants ne pourront pas profiter du pays si nous continuons de la sorte », déplore-t-il. Pourtant, il admet que son activité est stigmatisée. « Les gens sont parfois énervés de me voir ramasser les déchets et me demandent souvent “Pourquoi est-ce que tu perds ton temps ? Tu n’es qu’une goutte d’eau dans la mer”. » Mais pour cet homme, le plogging traduit « un mode de vie » et de pensée à part entière. Et malgré le scepticisme de la population et l’inaction des autorités, il « voit toujours une lueur d’espoir pour la nature ».
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commentaires (8)
Ce que fait Naïm el-Rifai est admirable ! Mais dans un certain sens encourage les jetteurs indisciplinés de déchets de continuer...puisqu'ils savent que d'autres viendront les ramasser... Pourquoi ne pas commencer à l'autre bout du problème et former des groupes de jeunes dévoués comme Naïm el-Rifai pour aller dans les écoles et enseigner aux enfants comment garder leur pays propre...partout ? Irène Saïd
Irene Said
17 h 54, le 12 septembre 2018