Le moukhtar est un être sympathique, affable… mais inutile. C’est d’ailleurs à ce titre que les autorités lui ont confié des tâches également inutiles. En voici un exemple courant. Si vous voulez obtenir une nouvelle carte d’identité ou un nouveau passeport, il vous faut, parmi les papiers exigés, un extrait d’état civil. Un ancien extrait d’état civil n’est pas valable. Il vous faut un récent au cas où vous auriez changé de père ou de mère. Pour ce vous devez aller chez le moukhtar qui, souvent, vous connaît à peine ou pas du tout. Il remplira un formulaire qui comporte l’essentiel de votre état civil (nom, filiation, registre…), basé sur une pièce d’identité que vous lui fournirez. Vous vous présentez alors au bureau de l’état civil qui jette à peine un coup d’œil sur ledit formulaire car le préposé va se référer uniquement à ce cahier de trois mètres de long, égratigné par les souris et la jaunisse des années, où sont consignés les noms des citoyens.
Une fois muni de cet extrait d’état civil, vous devez retourner chez le moukhtar pour qu’il remplisse une demande de carte d’identité ou de passeport. Ce nouveau formulaire contient les mêmes informations que le premier. Forcément. On y ajoute l’étape des photos. Mais attention : des photos sur fond gris pour les passeports et sur fond blanc pour les cartes d’identité. Le moukhtar vous regarde avec son œil expert, scrute la photo et conclut qu’il y a une parfaite similitude. Il écrit alors pertinemment sur le verso « Ceci est la photo de M. Tartempion, registre n° 123. » Étape suivante : les témoins, qui doivent témoigner que tout ceci est vrai. Ils sont généralement recrutés sur place parmi les clients inconnus qui attendent leur tour. Muni de toute cette liasse, vous vous présentez à l’administration concernée pour finaliser votre demande. C’est aussi là que vous découvrez que les photos n’auront servi à rien puisqu’on va vous photographier sur place par un appareil numérique relié à un ordinateur. Vous calculez que vous avez perdu 100 000 LL et toute une matinée pour rien.
Récapitulation : la nouvelle pièce d’identité est basée sur un formulaire du moukhtar, qui est basé sur un extrait d’état civil, qui est basé sur un premier formulaire du moukhtar, qui est basé sur une ancienne pièce d’identité, qui était basée sur un extrait d’état civil, qui était basé sur un ancien formulaire du moukhtar, qui était basé… – le tout basé sur ce même cahier de trois mètres de long.
commentaires (4)
Héritage de l’administration ottomane. A l'époque l'idée derrière cette organisation était de confier à l'instance suivante le contrôle de l'instance précédente et ainsi de suite, par manque de confiance. Un fonctionnaire en plus est un opposant potentiel en moins. Est-ce les choses ont changé depuis?
Shou fi
00 h 22, le 10 septembre 2018