Face à la recrudescence des atteintes aux libertés au Liban, des activistes, des blogueurs et des journalistes ont appelé à un rassemblement demain mardi, place Samir Kassir, de 19h à 20h30, sous une seule bannière : « Contre la répression et le recul des libertés d’expression au Liban. » Depuis plusieurs mois, des personnes dont les opinions froissent le pouvoir sont interpellées, alors que ceux qui osent toucher à la religion se font lyncher par des internautes qui tiennent beaucoup plus à la religiosité qu’à la foi.
Ce week-end, le bureau de lutte contre la cybercriminalité a interpellé Élie Khoury qui s’adressait dans un post Facebook au chef de l’État, Michel Aoun, l’appelant notamment à lutter contre la corruption en commençant par demander des comptes à ses proches.
« Il semble que ces derniers temps, ce bureau relevant des FSI n’a plus d’autre travail que d’intercepter les commentaires sur Facebook et Twitter qui critiquent le gouvernement », s’insurge, sous le couvert de l’anonymat, l’un des organisateurs du sit-in de demain. « Nous sommes dans une phase semblable à celle qui régnait au Liban avant le retrait syrien de 2005, quand l’espace de la liberté d’expression avait été réduit à son minimum », estime-t-il, rappelant que plus d’une douzaine de personnes avaient été interpellées au cours de ces derniers mois pour avoir partagé leur opinion sur les médias sociaux.
Élie el-Hage, éditorialiste au quotidien an-Nahar et rédacteur en chef du site Web al-Sawt, qui avait lui-même perdu son emploi à Radio Orient il y a quelques années en raison d’un commentaire sur sa page Facebook relatif à la religion, rappelle, à titre d’exemple, que « Fidaa Itani, le journaliste qui avait critiqué le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, et qui avait été condamné à la prison par contumace, se trouve actuellement à Londres, où il a demandé l’asile politique ». Le cas Itani est devenu emblématique du retour du climat liberticide qui s’est abattu sur Beyrouth depuis l’avènement du régime Aoun.
(Lire aussi : Bilan consternant pour la liberté d’expression au Liban)
« Oui, j’ai un peu peur »
L’interpellation d’Élie Khoury intervient quelques jours après l’affaire de Charbel Khoury, qui a ironisé sur saint Charbel, ce qui lui a valu en fin de compte d’être interpellé. Charbel Khoury avait tourné en dérision, sur sa page Facebook, l’histoire d’un compatriote résidant en Roumanie qui, faute de parvenir à avoir un enfant avec son épouse, s’est rendu sur la tombe de saint Charbel et qui, de retour à son domicile, a découvert sa femme enceinte. Commentaire du jeune homme : « Est-ce que l’enfant lui ressemble ? »
Ce sarcasme lui vaut une pluie d’insultes et de menaces. Au travail, l’un de ses collègues l’agresse et il se voit obligé de se défendre. « J’ai porté plainte, mais au lieu que l’État me protège et me défende contre la campagne dont j’ai été la cible, la justice statue dans une plainte déposée contre moi et m’oblige à effacer mes commentaires et fermer durant trois mois mes comptes sur les médias sociaux », dit-il à L’Orient-Le Jour. « Oui, j’ai un peu peur. J’ai pris deux semaines de congé et je ne sors qu’accompagné de mes frères », poursuit-il. « Mes parents qui sont croyants, et toute ma famille dans le Akkar, me soutiennent. Ce n’était qu’une blague », martèle-t-il.
Une journaliste d’al-Akhbar, Joy Slim, qui avait rebondi sur le post initial, en écrivant que « l’enfant ressemble peut-être à saint Charbel », a eu droit à un harcèlement du même genre, avec la publication de son adresse et de son numéro de téléphone. « Les chrétiens s’éloignent de plus en plus de l’esprit d’ouverture et de tolérance prôné depuis des années par le Vatican, et cela est bien dommage », soupire M. Hage. « Saint Charbel lui-même n’aurait sans doute pas réagi de cette façon au post. » Le Centre SKeyes pour la défense de la liberté d’expression a publié un communiqué rapportant les faits et dénonçant l’affaire. D’autres associations des droits de l’homme ont stigmatisé l’incident. Mais cela n’est guère suffisant pour mettre fin à cette vague liberticide qui pèse sur le pays depuis quelques années et qui semble aller crescendo. Rappelons que la semaine dernière, Mohammad Awad, un activiste politique qui publie régulièrement des articles anti-Hezbollah sur le site NewLebanon, lié au cheikh chiite indépendant Abbas Jawhari, a été brièvement retenu par les services de renseignements de la Sûreté générale. Combien faudra-t-il encore de cas de musellements similaires pour qu’une solidarité organisée se mette enfin en place face à la répression ?
Pour mémoire
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commentaires (7)
Je me suis rendue compte quand je parle de politiques avec ma famille ou mes amis par telephone ils changent de conversation
Eleni Caridopoulou
18 h 58, le 23 juillet 2018