Après la guéguerre chiite entre Jamil Sayyed, député de Baalbeck, et les assises du mouvement Amal qui a marqué l’actualité politique au cours des derniers jours, un autre affrontement, autrement plus pernicieux, a repris de plus belle jeudi entre le CPL et les FL, sur fond de la formation du gouvernement et de la répartition des quotes-parts ministérielles entre les deux formations chrétiennes qui, dans ces différends dosages, devra refléter, en définitive, le rapport de force au sein du prochain cabinet.
La tension a atteint son paroxysme après que le chef des FL, Samir Geagea, a accusé hier, dans un entretien au quotidien koweitien al-Raï, le chef du CPL de « miner le mandat » présidentiel par son comportement, de « faire voler en éclat » toutes les démarches d’apaisement et de s’arroger le rôle du Premier ministre désigné. La réaction de M. Geagea est survenue après que M. Bassil lui-même a sonné le glas, en pleine trêve entre les deux parties, de l’accord de Meerab, déclarant dans un long entretien accordé jeudi au quotidien al-Joumhouriya avoir informé officiellement les FL depuis longtemps que l’entente en question, conclue en janvier 2016, est « suspendue ».
M. Bassil a accusé sans les nommer les FL entre autres à « chercher à imposer à Saad Hariri des conditions rédhibitoires pour la formation du gouvernement », préconisant au passage la nécessité du retour à des « critères unifiés » applicables à toutes les parties.
Les dernières positions radicales exprimées au cours des dernières quarante-huit heures par les leaders des deux formations ne présagent certainement pas d’un « happy ending » du feuilleton mouvementé de la formation du gouvernement, même si l’on continue de part et d’autre à afficher sa détermination à contribuer à une naissance rapide du gouvernement.
Dans les milieux proches de M. Bassil, on affirme à L’OLJ que les positions en flèche affichées jeudi par ce dernier ne sont que l’expression d’un « ras-le-bol à l’attitude belliqueuse des FL qui n’ont cessé de tirer à boulets rouges sur le sexennat et sur les ministres du CPL ». « C’est le résultat d’un cumul et la constatation de l’absence d’un vrai partenariat », assure-t-on dans ces milieux, tout en réitérant le souhait du ministre des Affaires étrangères de voir les choses « reprendre leur cours normal ».
Selon des sources citées par la LBCI, M. Bassil, qui doit se rendre aux États-Unis mardi prochain, serait prêt à reporter son voyage si le Premier ministre désigné parvenait d’ici là à trouver « une formule acceptable par le président ».
(Lire aussi : Face à Bassil, Geagea rompt avec la politique d’apaisement)
Du côté des FL, on reconnaît que le divorce est consommé et que leur formation n’est plus disposée à entretenir le contact avec M. Bassil, mais avec le seul Premier ministre désigné, « qui est déjà informé de nos demandes », comme le souligne un responsable des FL à L’OLJ. Ce dernier fait assumer au CPL, et à son chef plus particulièrement, la responsabilité « d’avoir suspendu l’accord de Meerab, auquel les FL restent toujours attachées ». « Il est clair que le CPL a pris ce qu’il voulait de cet accord – faire parvenir Michel Aoun à la présidence – en se soustrayant à l’obligation de partager de manière équitable les postes ministériels et autres nominations entre les deux formations, comme prévu dans le cadre de l’entente. »
Pour les FL, le calcul est simple : à savoir qu’en contrepartie des voix chrétiennes obtenues par le parti de Samir Geagea aux législatives, que M. Bassil lui-même évalue à 31 %, le quota en portefeuilles ministériels est de cinq ministres et rien de moins, une ambition que le chef du CPL chercherait à modérer, sachant que les FL reprochent déjà à M. Bassil de s’arroger les prérogatives de M. Hariri.
De Madrid, où il s’est rendu hier en visite officielle, M. Hariri a rappelé le principe sacro-saint d’un futur gouvernement formé « dans le respect du pluralisme », signifiant implicitement son refus de toute tentative de marginaliser une partie quelconque. M. Hariri a également coupé court à l’éventualité de former un « gouvernement de majorité » comme l’avait suggéré il y a quelques jours Élie Ferzli, vice-président de la Chambre, député proche du 8 Mars, qui évoquait la possibilité d’un gouvernement sans les FL et sans le PSP, qui maintient sa revendication d’un quota de trois ministres druzes, exclusivement nommés par le chef de cette formation, Walid Joumblatt. « Il s’agit là d’un chantage pur et simple que tente de faire M. Ferzli », a commenté l’ancien député et membre du bureau politique du courant du Futur, Moustapha Allouche.
(Lire aussi : La semaine prochaine sera « décisive » pour la formation du cabinet, selon Aoun)
M. Hariri a en tous les cas tranché en affirmant qu’ « il n’est pas possible de former un gouvernement sur la base du principe d’une majorité et d’une minorité. Nous en avions fait l’expérience dans le passé. Ce modèle n’a pas fonctionné », a-t-il dit, en allusion au gouvernement présidé par Nagib Mikati en 2011. « Le consensus est la seule solution dans ce pays », a-t-il martelé. Dans les milieux haririens, on tient à rappeler que le principe de l’entente nationale est une condition sine qua non pour la mise en marche du train des réformes prévues dans le cadre de la conférence dite de CEDRE, « toute marginalisation d’une composante politique donnée étant une entrave à l’exécution des clauses conclues dans le cadre de cette conférence », font remarquer des sources du courant du Futur citées par la LBCI. Également parmi les principes conducteurs suivis par M. Hariri, son attachement aux prérogatives qui lui sont accordées par la Constitution pour former le gouvernement, ce qui signifie l’absence de délai dans cet exercice, poursuivent les sources haririennes, dans une réponse claire aux propos de M. Bassil au quotidien al-Joumhouriya. Ce dernier avait indiqué que le délai imparti à la formation du gouvernement « est sur le point d’expirer ».Pour M. Allouche, la guerre ouverte que se livrent désormais les deux grandes composantes chrétiennes du pays « est grave » et présage d’une « paralysie » au niveau de la formation du gouvernement. Elle n’est que la face cachée d’une surenchère dont l’objectif est d’ « imposer de nouvelles règles du jeu et d’une reconsidération des prérogatives du Premier ministre sur la base du principe du président fort capable de faire chuter un gouvernement, le chef de l’État étant indéboulonnable ».
Bref, conclut l’ancien député, « nous sommes au bord d’un gouffre existentiel ».
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commentaires (11)
Honte à nos politiciens ! N'y a t il pas un Solomon, un seul, parmi nos leaders pour trancher et faire valoir justice, impartialité et enfin LIBANITE dans notre pays exsangue ?????
Claude AZRAK
21 h 15, le 22 juillet 2018