L’insistance de Walid Joumblatt à monopoliser la représentation druze au sein du prochain gouvernement a de quoi surprendre, en ce qu’elle constitue à la fois un précédent et un signe de crispation supplémentaire dans le jeu politico-confessionnel libanais. C’est un précédent parce que jusqu’ici, le parti joumblattiste n’avait jamais rechigné à se faire représenter par un ministre non druze au sein des cabinets successifs, aux côtés de druzes. Ainsi, dans un gouvernement dit d’« union nationale » formé de trente ministres, le bloc du « Rassemblement démocratique » se voit généralement attribuer trois ministères, dont un revient à un chrétien ou un sunnite ; et c’est une marque de crispation supplémentaire dans la mesure où la dérive forcée du système politique libanais vers une sorte de fédéralisme confessionnel pur et dur s’en trouve nettement accélérée.
À la base, disons-le encore une fois, le système libanais, tel qu’incarné par la Constitution (avant et après Taëf) et le pacte national de 1943, est totalement étranger aux turpitudes qui imprègnent trop souvent la pratique politique dans ce pays, et qui sont dues à des causes tantôt purement locales et tantôt géopolitiques. Rien dans les textes ne dit, en effet, qu’un parti, aussi fort qu’il soit, est censé monopoliser la représentation politique de sa communauté, que le chef de ce parti doit nécessairement être au pouvoir, que les ministères qu’il obtient au sein d’un gouvernement donné lui appartiennent, etc.
Alors comment juger cette escalade de la part du leader druze de Moukhtara ? Faut-il l’isoler du contexte qui l’a rendue possible ? Peut-on la dénoncer sans parler de l’œuvre presque méticuleuse d’exacerbation du sectarisme en marche depuis la fin de la tutelle syrienne chez certaines parties libanaises, face notamment au leadership joumblattiste ?
Voilà des années que la formation dominante sur la scène chrétienne, le Courant patriotique libre, s’est tracé comme objectif de rétablir par quasiment tous les moyens ce qu’elle considère être les droits spoliés des chrétiens libanais. Pour cela, on nous expliquait qu’il était normal, par exemple, de bloquer l’élection présidentielle pendant plus de deux ans afin d’obtenir de l’ensemble des parties qu’elles plébiscitent « l’homme fort » chrétien, sous l’argument que le pacte national ne stipule rien d’autre que cela.
(Lire aussi : En avoir ou pas, l'éditorial d'Issa GORAIEB)
« Légitimité » confessionnelle
Le CPL, rejoint d’ailleurs un moment par les Forces libanaises, est même allé plus loin pour tenter d’imposer un système électoral – le projet dit orthodoxe – qui eût poussé le sectarisme confessionnel dans ses retranchements les plus extrêmes, dans le but assumé de faire en sorte que les 64 sièges alloués aux chrétiens sur les 128 du Parlement reviennent à des députés élus par des majorités chrétiennes.Ce projet était radical non seulement parce qu’il est de nature à aggraver la dérive du système confessionnel libanais, conçu à la base pour être « soft » et ne pas toucher aux piliers du système parlementaire, mais aussi, entre autres, parce qu’un tel mode de scrutin trahit une réalité politique bien ancrée, à savoir que la plupart des partis et leaderships libanais ont historiquement transcendé les frontières confessionnelles, dans tous les sens.
Cela étant dit, il est vrai que pour des raisons dues à l’évolution démographique, à un découpage électoral inadéquat et, aussi, à un contexte politique dans lequel les communautés chrétiennes (à l’exception notable des Arméniens) sont les seules à ne pas connaître de monopole ou de quasi-monopole politique, le déséquilibre au détriment de la « légitimité chrétienne » des sièges chrétiens allait en s’aggravant.
Un compromis – bancal – a finalement été trouvé, mais le mal était fait. Car, depuis, il flotte comme un parfum d’indignité et de mépris autour de chaque député chrétien élu par des majorités non chrétiennes. Du coup, la réciproque devient vraie aussi…
Tout à son souci de maximiser les effectifs de son bloc parlementaire issu des dernières législatives, le chef du CPL, Gebran Bassil, commet l’imprudence d’inviter l’adversaire druze de M. Joumblatt, Talal Arslane, à rejoindre ses rangs. Ce faisant, il le « brûle » au niveau druze, non pas parce que le système politique libanais dit cela (il ne le dit pas), mais parce que M. Bassil lui-même l’affirme depuis des années. Dès lors, comment en vouloir à Walid Joumblatt – qui, jusqu’ici, ne s’opposait guère à l’entrée au gouvernement de M. Arslane alors même que ce dernier se fait régulièrement élire député grâce au siège vide que lui laisse son rival – de sauter sur l’occasion et faire la réponse du berger à la bergère? Peut-on refuser à autrui ce que l’on réclame pour soi ?
« Les options stratégiques chrétiennes sont au pouvoir, que vouloir de plus ? » s’interrogeait il y a une dizaine d’années Samir Frangié, cœur battant du 14 Mars, face au discours identitaire du CPL. Ce dernier, qui ne voyait pas les choses de cet œil, a fini par prendre le dessus. À présent, les chrétiens sont certes plus présents, plus actifs à la présidence, au Parlement et au gouvernement. Mais les « options » chrétiennes, elles, semblent lointaines…
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Au fait, les ministères que le Bek réclame lui seront attribués en sa qualité du chef des druzes ou bien en tant que chef du parti socialiste? Que personne n'essaie de répondre puisque même le concerné ne le sait pas à mon avis. Je pense que lui même répondrait ça dépend !!!
19 h 12, le 16 septembre 2018