La lenteur dans le processus de formation du gouvernement reste un mystère pour la plupart des observateurs. En principe, les obstacles sont uniquement internes et chaque partie les attribue à « l’avidité des autres ». Chacune fait donc ses calculs et affirme que la véritable raison du retard est de ne pas donner à tel groupe ou à telle alliance le tiers de blocage ou la majorité gouvernementale. De même, le refus de donner au leader du PSP Walid Joumblatt les trois portefeuilles druzes d’un gouvernement de 30 membres viserait à éviter de lui permettre de paralyser le gouvernement en retirant le cas échéant ses ministres. Ce qui causerait un problème structurel avec le départ du gouvernement de toute une communauté et devrait donc entraîner sa démission. Ce serait ainsi une tentative d’éviter de reproduire le scénario de novembre 2006, lorsque les ministres chiites avaient présenté leurs démissions, aboutissant à la non-représentation de la communauté chiite au sein du gouvernement présidé à l’époque par Fouad Siniora. Mais à cet argument, on peut justement opposer le fait que le gouvernement Siniora a continué à fonctionner, mais cette exclusion de la communauté chiite a finalement abouti aux incidents du 7 mai 2008 suivis de la conférence de Doha. Ces expériences montrent donc qu’au Liban, même les forces qui détiennent la majorité parlementaire et gouvernementale ne peuvent pas gouverner seules, le système libanais reposant sur le principe du consensus et de l’entente entre toutes les composantes communautaires.
Cette approche devrait pousser chaque partie à être plus conciliante dans ses exigences. Malgré cela, les obstacles restent les mêmes et les efforts pour aboutir à la formation du gouvernement piétinent. Les analystes penchent par conséquent vers les entraves extérieures, régionales et internationales, qui s’inscriraient dans le cadre de la volonté des États-Unis, et avec eux, des pays du Golfe, d’affaiblir l’Iran et ses alliés, dont le Hezbollah.
Toutefois, les proches du chef de l’État ont une autre lecture. Selon eux, depuis son retour d’exil en mai 2005, le général Michel Aoun a fait l’objet d’une véritable campagne visant à l’isoler et à l’empêcher d’avoir une influence sur la situation politique. Même après les résultats des élections législatives de 2005 (où, selon l’expression de Walid Joumblatt, il avait fait un « tsunami » ), tout a été tenté pour l’exclure du gouvernement. Et pendant toutes les années qui ont suivi, la même politique a été adoptée à son égard, notamment par les forces du 14 Mars, qui l’ont pratiquement poussé dans les bras du Hezbollah, avec lequel il a conclu l’entente de Mar Mikhaël en février 2006. Cette entente a même été une raison de plus pour chercher à l’isoler et à l’éloigner du pouvoir. Mais il a tenu bon et il a maintenu ses acquis électoraux dans le cadre des élections de 2009, grâce à la formation du bloc du Changement et de la Réforme. Mais en dépit de la participation de ce bloc à tous les gouvernements successifs depuis 2009, la guerre contre lui n’a jamais cessé et tous les projets qu’il a pu faire adopter ont été entravés.
Il y a eu ensuite la période de vacance présidentielle (mai 2014-octobre 2016) au cours de laquelle le camp adverse a tout essayé pour éviter l’élection du général Aoun à la présidence de la République. Le courant du Futur (pilier du 14 Mars à l’époque) a ainsi commencé par présenter la candidature du chef des Forces libanaises, avant de proposer des candidats de compromis et, pour finir, de fixer son choix sur le chef du courant des Marada, Sleiman Frangié. Bref, toutes les options étaient bonnes pour empêcher l’arrivée à Baabda du chef du bloc du Changement et de la Réforme, même celle de choisir une personnalité encore plus marquée proche du 8 Mars. Finalement, lorsqu’il a vu que toutes les autres possibilités ont été rejetées, le chef du courant du Futur a accepté d’adopter la candidature du général Aoun. C’est ce que l’on a appelé « le compromis présidentiel », qui a été conclu parce qu’il n’y avait plus d’autre possibilité et que la situation de vacance du pouvoir était devenue inacceptable pour toutes les parties locales et internationales.
Selon les proches du président, quelles qu’aient été les arrière-pensées des uns et des autres au moment de la conclusion de ce compromis, Michel Aoun a démenti les pronostics sur le changement de sa politique une fois à la tête de l’État. Il est donc resté égal à lui-même, fidèle à sa conception du « président fort », celui qui place les intérêts de son pays au-dessus de toute autre considération, même s’il doit pour cela refuser des propositions américaines, des injonctions arabes ou encore des conditions internationales. Fort, il l’est grâce à ses convictions, à son idée de l’État et à l’attachement que lui portent de nombreux citoyens. Toujours selon ses proches, il a donc modifié les règles de la pratique politique. C’est d’ailleurs pourquoi, à chaque échéance, il doit faire face aux entraves et aux blocages, à la fois internes et externes, de la part de tous ceux qui ne sont pas habitués à ces méthodes ni au fait que le Liban peut s’opposer aux projets internationaux lorsqu’ils ne sont pas dans son intérêt. Pour les proches du chef de l’État, la lenteur voulue dans le processus de formation du gouvernement n’est donc pas une surprise, d’autant que M. Aoun avait dit que ce gouvernement serait « celui du mandat », donnant ainsi une raison de plus pour l’entraver à ceux qui ne veulent pas qu’il réussisse. Toutefois, ses proches en sont convaincus, Michel Aoun saura attendre et obtenir gain de cause, lorsque ceux qui croient pouvoir utiliser contre lui la pression du temps comprendront qu’il ne cédera pas.
commentaires (11)
juste Appuyez vous tres fort sur les principes ils finissent toujours par ceder.
Rossignol
18 h 54, le 16 juillet 2018