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Culture - Enquête express

L’édition en langue arabe au Liban : un marché nain par rapport au vrai potentiel...

Une démographie arabe qui se chiffre à plus de 375 millions de personnes mais le livre et l’édition en langue arabe se portent mal. Problèmes sociaux ou éditoriaux ?

Le marché du livre arabe est en nette régression. Photo Michel Sayegh

Comment se porte l’édition en langue arabe au Liban ? Une tournée s’impose dans l’univers de l’écrit sur papier, mais aussi du digital et de l’électronique, qui effacent tout sur leur passage comme une lame de fond...

Première rencontre avec Racha al-Ameer, auteure de trois ouvrages en arabes, romans et essais – Yawm el-din (Confessions d’un imam), Petit Pays, al-Hamza – et directrice de Dar al-Jadid, fondé en 1990. Sans tergiverser, elle entre dans le vif du sujet et avance des chiffres effrayants : « On publiait autrefois, en 1992-1993, plus de 50 ouvrages par année, tandis que maintenant il n’y en an plus que cinq ! Et dans nos succès, je cite Khalil Ramez Sarkis et Mahmoud Darwich (dont la plaquette de poésie s’était vendue à 10 000 exemplaires)… ». Pour cette éditrice, il est clair qu’on ne fait pas d’argent dans ce métier, à moins d’être dans l’éducation et dans les fournitures et impressions scolaires et universitaires. Elle affirme qu’il faut plus d’un demi-siècle de présence sur le marché « pour que cela donne un résultat ». Concernant les prix des ouvrages, elle note qu’un « livre vendu à Beyrouth entre dix ou douze dollars, c’est déjà cher pour le public. Et pour les pays arabes, deux dollars, c’est encore cher » ! 

« Notre maison d’édition est sélective. On a fait le maximum. On a donné à l’édition de la décence, du respect, de l’amour, un amour fou pour ce métier… Mais aujourd’hui, il y a aussi la concurrence de l’internet… Un monde qui surgit et s’affirme. Seul l’avenir nous dira vers quel horizon on se dirige… »


(Pour mémoire : Au CEULN de l’USJ à Tripoli, un prix pour raviver l’amour de la langue arabe)


Baromètre en chute
Des questionnements et des doutes auxquels va essayer de répondre Émile Tyan, PDG et DG adjoint de cet immense édifice voué à l’édition littéraire (surtout en langue arabe) et scolaire (français, anglais et arabe) qu’est la maison d’édition Hachette Antoine, composée à 50 % Hachette et à 50 % Librairie Antoine, Antoine International Holding.
Dans le bâtiment imposant situé à Mkalles, on passe devant une salle de réunion où sont accrochées les photos en couleurs de Proust avec sa moustache, ses cheveux lisses divisés au milieu en raie et ses grands yeux rêveurs, un travail ornemental de Benoît Debbané pour l’un des Salons du livre. Et sur le bureau d’Émile Tyan, net et bien rangé, une pensée de Cocteau imprimée sur un agenda sur stand : « Les malheurs d’amour doivent être remplacés par les bonheurs d’écriture… ». Joli et rafraîchissant préambule avant le sérieux et la gravité du flot de paroles... « L’édition en langue arabe est pour le grand public et le plaisir de lire. Cela inclut les livres pour la jeunesse, la littérature sous toutes formes, romans, essais, etc… Le plus grand succès, en ce sens, a été l’ouvrage d’Ahlam Mosteghanemi, Fawda el-Hawas (Le chaos des sens). Plusieurs centaines de milliers vendus de par le monde arabe. Actuellement, il y a la parution, de la même auteure, de al-Aswad yalikou biki  (Le noir te va bien) mais dont la traduction française portera le titre de Les femmes ne meurent plus d’amour… Pour ce qui est de la poésie et du théâtre, c’est une zone morte. Restent les livres pour la jeunesse, les romans et les essais politiques, ainsi que les manuels pratiques pour auto-apprentissage. » Et brusquement le baromètre chute pour la vente, même avec ce qu’on considère comme des succès (quelques milliers d’ouvrages), surtout avec des auteurs tels que Nizar Kabbani, Mikhail Neaimé, Oussam al-Ayss. « Oui, la différence avec Ahlam Mosteghanemi est énorme. Disons, il y a elle et les autres », reconnaît Émile Tyan.

Devant l’impressionnante explosion démographique dans le monde arabe, avec plus de 375 millions de personnes, comment se porte le livre en langue arabe ? Sans attendre, la réponse fuse : « Ce chiffre est un leurre. Il y a très peu de lecteurs dans le monde arabe. C’est le plus faible au monde. Il représente en fait un marché de la grandeur de la Belgique… Et cela est dû à divers facteurs dont l’absence de liberté, la censure, l’analphabétisme, l’obscurantisme. On doit toujours faire le parallélisme entre l’évolution des sociétés et les taux des lecteurs. C’est tout dire. Malheureusement, c’est un marché en net recul. Mais où placer les livres en arabe ? Les points de vente manquent. Le Liban est une exception dans la région… ».



Piratage cauchemar
Comment expliquer alors le statut de l’écrivain arabe ? Comment peut-il affronter son lendemain ? Quels critères définir ? Attendre quoi, espérer quoi ? Quelle part de certitude ou de peur dans cet avenir ? « Rares sont les auteurs qui vivent de leur plume. Cependant, il y en a qui échappent à la règle, par exemple Alaa al-Aswany, l’auteur de L’immeuble Yacoubian. »

Concernant l’édition électronique, Émile Tyan affirme que « pour le moment, on attend les grandes majors sur le marché électronique. C’est à dire Amazon, Google, Apple, par où le livre électronique pourra avoir un marché en langue arabe ». Pour lui, le cauchemar de l’éditeur reste le piratage. « L’Égypte est la plateforme des livres piratés qu’on trouve partout. L’éditeur en arrive à prier pour que le livre ne réussisse pas trop pour ne pas être… piraté ! Pour le livre en langue arabe, c’est un marché nain par rapport au vrai potentiel… »

Que conseiller à un écrivain en herbe qui a la passion, la fièvre, la tentation et l’ambition d’écrire ? Sans broncher et d’un air parfaitement sérieux, Émile Tyan réplique : « Donnez-nous votre manuscrit. Très souvent on refuse… Et je dirai à l’apprenti en écriture de faire autre chose à côté pour pouvoir vivre. Cela dit, on doit prendre conscience que le Liban reste un pays exportateur de livres et de culture. Ses maisons d’édition sont en danger de mort à cause du piratage et nous n’avons aucune aide de la part du ministère de la Culture, aux abonnés absents », déplore encore cet homme qui se qualifie pourtant d’« incurable optimiste ».

Place au monde électronique avec Salah Chebaro, jeune directeur général qui est en tête non seulement de nwf.com, mais aussi, sur papier, de Arab Scientific publishers. Tout a commencé en 1998 par une maison d’édition qui avait pour but de vendre des livres libanais, ensuite syriens, jordaniens, égyptiens, etc., et qui, depuis 2008, a ouvert sa data base à tous les pays arabes. Aujourd’hui, Chebaro gère le plus grand catalogue au monde arabe avec plus de 550 000 titres. En 2010, est né le e-book et IKitab avec un projet de 9 000 livres électroniques en epub, protocole mondial pour les livres.
Quelle réalité derrière cet écran d’intense activité ? Quelles attentes, quel accueil, quels écueils ? « On sait qu’il y a beaucoup de piratage dans le monde arabe. Depuis 2005, tous les livres arabes sont en on-line. N’importe qui peut pirater ! Pourquoi ? Par prosélytisme religieux surtout… C’est une affaire de culture. Le voleur est glorifié. Et cela en dépit d’une association érigée pour combattre et défendre les droits des livres. Ce coup de frein à la progression des ventes des livres n’est pas seulement dû au piratage, mais aussi aux problèmes de l’interdiction, de la liberté toujours embrigadée et des pays arabes qui tombent comme un jeu de domino qui s’écroule. Tenez, par exemple, le paradoxe avec l’interdiction du dernier ouvrage Joumhouriyat Kaanna du romancier Alaa al-Aswany, interdit en Égypte pour des raisons politiques, a vu ici ses chiffres de vente grossir… Les Filles de Riyad, de Rajaa Alsanea, est aussi, même si pour d’autres raisons, un succès florissant. Mais il y a le facteur de démantèlement de la région et de la disparition des marchés du livre en Irak, Syrie, Soudan, Libye… La révolution arabe a tout sapé. C’est un problème social et non éditorial… »


(Pour mémoire : Amant fou de la langue arabe, Chawki Abi Chacra se souvient...)


Revoir la culture arabe
Faut-il incriminer aussi cet état bancal aux nouvelles générations, accros aux portables et à l’audiovisuel ? Ces jeunes sont-ils peu portés au monde des livres et aux connaissances livresques ? « L’impression des livres en papier a augmenté en Europe. La technologie n’est pas un problème ni une entrave. C’est la culture arabe qui est à revoir. Par exemple, Dar al-Nahar el-Khaliji fait de la compétition. Une compétition qui est de plus en plus féroce. Les chiffres reculent. Le Liban, dont le livre est la quatrième industrie, est un pays exportateur. La route par la Syrie est aujourd’hui coupée… Tous ces éléments sont négatifs… » Devant tant de points décevants, n’y a-t-il pas d’aspects positifs ? « Bien sûr que si. On peut toujours acheter un livre. Et puis l’internet a aidé les gens en favorisant une certaine interactivité et connectivité culturelles. Car l’internet demeure un point de rencontre, une intersection. Il faut compter aussi avec les foires et les expositions de livres arabes ; même si nous constatons que le marché de vente dans ces Salons régresse au Liban, mais progresse dans les pays du Golfe ! Les librairies qui doivent être des lieux de détente et de rayonnement culturel – comme c’est le cas dans de nombreux pays occidentaux – sont loin, dans le monde arabe, d’avoir cette vertu, cette faculté et ce pouvoir. Sans oublier les médias dans le monde arabe, culturellement très cheap. Dans les programmations des télés par exemple, pas de place pour les livres ! Les auteurs, de toute évidence, n’ont pas un environnement épanouissant, ni rassurant. » 

Pour conclure, quel avenir pour le livre en langue arabe, sur papier ou en ligne ? « Ma conviction, c’est que le livre papier ne peut pas mourir et le livre électronique ne le devancera pas. Il faut protéger les deux ! La plus grande maison d’édition, c’est Amazon, et elle est d’une importance capitale pour le monde des livres. On essaye de changer le monde pour le meilleur. Mon souhait est surtout d’accepter et de respecter l’autre. Même si les devises et les opinions des uns et des autres sont différentes et opposées. L’interdiction culturelle est certainement négative et non une solution à une différence d’opinion ou de comportement. Il faut surtout dialoguer, discuter… »



Pour mémoire

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Comment se porte l’édition en langue arabe au Liban ? Une tournée s’impose dans l’univers de l’écrit sur papier, mais aussi du digital et de l’électronique, qui effacent tout sur leur passage comme une lame de fond...Première rencontre avec Racha al-Ameer, auteure de trois ouvrages en arabes, romans et essais – Yawm el-din (Confessions d’un imam), Petit Pays, al-Hamza – et...

commentaires (3)

Il y a une mutation voir une crise mondiale concernant l'édition, donc la lecture des livres. Mais il est incontestable que dans les pays arabes la crise est endémique. Une révolution culturelle s'impose.

Sarkis Serge Tateossian

22 h 06, le 18 juin 2018

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Commentaires (3)

  • Il y a une mutation voir une crise mondiale concernant l'édition, donc la lecture des livres. Mais il est incontestable que dans les pays arabes la crise est endémique. Une révolution culturelle s'impose.

    Sarkis Serge Tateossian

    22 h 06, le 18 juin 2018

  • Le nombre de livres traduit en Espagne en un an est de loin inferieur a celui traduit dans les pays arabes en 1000 ans. correction: superieur

    SATURNE

    14 h 12, le 18 juin 2018

  • Le nombre de livres traduit en Espagne en un an est de loin inferieur a celui traduit dans les pays arabes en 1000 ans. Je suggere que dans les mosques et les eglises, au lieu de prier, de chercher a discuter un livre. il semble que nous avons plus besoin d'education que de surnaturel.

    SATURNE

    13 h 55, le 18 juin 2018

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