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À La Une - Arabie

Une série saoudienne à la gloire du passé "moderne" fait polémique

Diffusé pendant le mois de ramadan, la série "Al-Assouf" dresse le portrait d'une société traditionnelle tolérante, où hommes et femmes se mélangent sans entraves, avec des femmes apparaissant non voilées dans des soirées dansantes.

Photo fournie par la chaîne MBC et datée du 5 novembre 2016 montrant l'acteur saoudien Nasser al-Kasabi et l'actrice Reem Abdallah lors du tournage d'une scène pour la série Al-Assouf à Abou Dhabi. AFP/HO/Middle East Broadcasting Center

Une série télévisée qui glorifie une époque vue comme le passé "moderne" de l'Arabie saoudite, avant 1979, cristallise les différences entre opposants et partisans des mesures de libéralisation impulsées par le prince héritier dans ce royaume ultraconservateur.

Diffusé pendant le mois de ramadan, la série "Al-Assouf" dresse le portrait d'une autre Arabie saoudite: une société traditionnelle tolérante, où hommes et femmes se mélangent sans entraves, avec des femmes apparaissant non voilées dans des soirées dansantes.

Cette image est considérée par les conservateurs comme une déformation de la réalité historique mais elle fait écho à la position du prince héritier Mohammed ben Salmane, selon lequel le royaume fut un berceau de l'islam modéré jusqu'en 1979, tournant qui marqua la montée du fondamentalisme religieux en Arabie saoudite.

D'après le prince Mohammed, cette année 1979 -ponctuée notamment par la Révolution islamique en Iran-- a laissé libre cours aux conservateurs qui ont imposé une vision rigoriste de l'islam, fermé les cinémas et restreint les libertés.

Al-Assouf n'a pas tardé à provoquer la colère de la frange conservatrice. "Dépeindre une communauté qui autorise le mélange des genres, l'adultère et les enfants hors mariage (...) est une catastrophe", a déploré sur YouTube Abdelbasset Qari, un éminent religieux, accusant le programme de "répandre l'immoralité".

Une scène dans laquelle un garçon se penche au-dessus d'un mur pour s'adresser à une fille a été particulièrement critiquée sur les réseaux sociaux. "Des enfants qui flirtent! La laide déformation de l'enfance en Arabie saoudite", s'est emporté sur Twitter Abdel Rahmane al-Nassar, un religieux koweïtien célèbre dans le royaume.


(Lire aussi : Levée de l'interdiction de conduire : des Saoudiennes domptent la moto)


"Éteindre cette lumière"
A l'inverse, nombre de modérés --dont l'acteur principal Nasser al-Kasabi-- ont vigoureusement défendu le programme. "Les extrémistes s'y opposent car ils estiment que c'est une tentative de détruire ce qu'ils ont construit au cours des deux décennies qui ont suivi (l'année 1979), ce mouvement qu'ils appellent +l'éveil+", a écrit le chroniqueur Abdel Rahmane al-Rashed dans le quotidien panarabe Asharq Al-Awsat. "Ils attaquent Al-Assouf parce que la série met en lumière une époque sombre", dit-il. "La raison d'être des extrémistes est d'éteindre cette lumière".

Les réactions des ultraconservateurs démontrent leur amertume face à leur influence déclinante alors que les réformes menées par le prince héritier marquent le plus grand bouleversement culturel de l'histoire moderne de l'Arabie saoudite, affirment des observateurs. Parmi elles figurent l'autorisation de conduire pour les femmes, l'ouverture de salles de cinéma et l'organisation de concerts mixtes, autant de décisions mettant à l'écart les extrémistes, autrefois soutiens traditionnels de la famille royale.

Des dignitaires religieux salafistes comptant des millions d'abonnés sur les réseaux sociaux ont par ailleurs été emprisonnés. D'autres, qui apparaissaient régulièrement à la télévision, ont disparu de la scène publique. Certains, connus pour leur opposition virulente aux droits des femmes, se sont soudainement rangés derrière les réformes du prince. La police religieuse du royaume a vu ses pouvoir s'effriter et des éditorialistes saoudiens ont même ouvertement appelé à l'abolir.

Le processus de modernisation, très médiatisé, a été salué par les partisans du prince comme un "second éveil", une idée que Al-Assouf semble promouvoir. "Nos communautés ont besoin d'une série comme Al-Assouf capable de nous renvoyer à notre première vie (avant 1979, ndlr)", affirme à l'AFP Ali al-Zouabi, professeur à l'Université du Koweït.


(Lire aussi : Remaniement ministériel à l'accent culturel et religieux en Arabie saoudite)


"Suite de tâtonnements"
La série, diffusée quotidiennement pendant le ramadan, a été tournée il y a deux ans à Abou Dhabi.
Le diffuseur, la chaîne MBC, a expliqué que ce délai était lié à des motifs de production, ajoutant que deux saisons supplémentaires seraient produites. Le retard a suscité des spéculations sur une éventuelle censure dans le royaume, qui semble attaché à ne pas contrarier les sensibilités religieuses malgré la campagne de libéralisation en cours.

"Moderniser l'Arabie saoudite n'est peut-être pas tant un processus direct qu'une suite de tâtonnements", a récemment écrit Simon Henderson, analyste sur le Golfe pour le Washington Institute.

Parallèlement à ses réformes, le prince héritier saoudien a mené une vaste campagne de répression contre des dissidents, faisant arrêter en mai plusieurs militantes de longue date du droit des femmes à conduire et s'émanciper. Certaines ont même été qualifiées de "traîtres" par les médias officiels. Selon des analystes, ces arrestations semblent destinées à apaiser les religieux indignés par la campagne de modernisation mais également à permettre aux autorités de se prémunir contre une possible réaction des ultraconservateurs d'ici au 24 juin, quand les femmes pourront légalement prendre le volant dans le royaume.



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commentaires (1)

Le combat des chevaliers de la lumiere, contre ceux de l'obscurantisme. Classique. Mais qui gagnera dans ce pays où les préjugés et le fétichisme ont la peau dure ?

Sarkis Serge Tateossian

03 h 00, le 16 juin 2018

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Commentaires (1)

  • Le combat des chevaliers de la lumiere, contre ceux de l'obscurantisme. Classique. Mais qui gagnera dans ce pays où les préjugés et le fétichisme ont la peau dure ?

    Sarkis Serge Tateossian

    03 h 00, le 16 juin 2018

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