C’est une véritable bombe qu’a lancée jeudi soir, depuis Batroun, le ministre des Affaires étrangères et chef du CPL, Gebran Bassil, en affirmant sa détermination à faire face à ce qu’il considère comme une volonté internationale d’interdire le retour chez eux des ressortissants syriens réfugiés au Liban, une volonté qui, selon lui, s’exprime par les activités de l’organe international en charge de ces populations, le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR).
« Nous voulons briser la volonté internationale qui veut interdire le retour des déplacés », avait déclaré M. Bassil, avant de souligner que le Liban « n’est pas responsable d’assurer les intérêts d’une communauté internationale qui œuvre contre le retour des réfugiés ». Le ministre a concrétisé ses propos en prenant une mesure radicale à l’encontre des fonctionnaires de l’institution onusienne, consistant à suspendre jusqu’à nouvel ordre leurs permis de résidence, une mesure qui toucherait en premier lieu la représentante du HCR à Beyrouth, Mireille Girard.
Le chef de la diplomatie a motivé sa prise de position par les conclusions qui lui ont été transmises par les membres d’une délégation du palais Bustros dépêchée à Ersal, où est organisé le départ prochain de près de 3 000 réfugiés syriens pour retourner chez eux. La délégation officielle, qui comprenait notamment le directeur des affaires politiques et consulaires, Ghadi Khoury, a constaté sur le terrain que le HCR « s’employait à faire peur aux déplacés désireux de rentrer volontairement chez eux », selon des propos répercutés par M. Bassil.
Des allégations qui ont été démenties par la porte-parole du HCR, Lisa Abou Khaled, qui dans un entretien accordé à L’OLJ a tenu à préciser que « le HCR respecte toujours les décisions individuelles des réfugiés de rentrer chez eux, ne les décourage pas de rentrer et ne s’oppose pas aux retours basés sur une décision individuelle ». « C’est leur droit », a-t-elle dit.
(Lire aussi : Pour le Liban, le problème n’est pas avec les « déplacés » syriens, mais avec les organisations internationales)
Mme Abou Khaled s’est contentée d’affirmer que le HCR n’a pas été informé des mesures prises par le ministre des Affaires étrangères. Ce dernier s’est d’ailleurs engagé à envisager de prendre « des mesures graduelles qui iraient crescendo » et accusé l’organisation internationale d’« œuvrer à contrer la politique en place visant à interdire l’implantation ».
En soirée, le directeur du cabinet de M. Bassil, Hadi Hachem, a confirmé cette tendance et souligné, dans un entretien accordé à la LBCI, que Mme Girard pourrait être jugée « persona non grata » en vue de mettre fin à ses fonctions au Liban. M. Hachem a souligné que Mme Girard, qui a été « convoquée » à deux reprises au palais Bustros, « n’a pas suivi nos directives ni entendu nos souhaits de faire du retour des déplacés une priorité ». Il a même laissé entendre que M. Bassil pourrait aller jusqu’à porter l’affaire auprès du siège du HCR à Genève, et demander à rencontrer le haut-commissaire, Filippo Grandi. « Nous n’accepterons plus que la communauté internationale finance le maintien des réfugiés au Liban », a-t-il conclu.
Quoique surprenantes par leur caractère radical, les récentes décisions du ministère des Affaires étrangères ne sont pas tout à fait inédites et constituent l’aboutissement d’un cumul de relations tendues qui ont marqué les rapports entre le palais Bustros et le HCR depuis pratiquement le début de la crise syrienne. Un vent de xénophobie antisyrienne souffle sur le pays, notamment depuis les incidents de Ersal et les affrontements entre des éléments jihadistes et l’armée libanaise en 2014, créant parfois une confusion entre terrorisme et réfugiés. Cela se déroule sur fond d’une crise sociale et économique souvent imputée à la présence massive des réfugiés et à la concurrence bon marché que représente la main-d’œuvre syrienne.
Un incident diplomatique entre le Liban et la communauté internationale était déjà survenu après la réunion de Bruxelles sur les réfugiés syriens, en avril dernier. À l’issue de cette rencontre, M. Bassil avait vivement contesté le principe du lien à effectuer entre le retour des réfugiés et une solution politique en Syrie, avalisé par la communauté internationale.
Réactions
Les propos de M. Bassil ont provoqué des réactions tout aussi extrêmes dans certains milieux politiques. Des mises en garde contre un comportement qui risque de coûter cher au Liban, lequel se met ainsi la communauté internationale à dos, ont été exprimés. On a notamment reproché au chef de la diplomatie d’avoir agi en solo. Premier à réagir, le ministre sortant de l’Éducation, Marwan Hamadé, s’est dit, dans une déclaration, surpris qu’« un ministre sortant des Affaires étrangères, dans un gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes, lance une nouvelle politique concernant le retour des déplacés syriens et les organisations internationales ». M. Bassil « se comporte comme si l’État déclarait une guerre d’élimination contre les organisations internationales, sans prendre en considération les conséquences que cela peut avoir sur la réputation du Liban, sans compter les pertes financières que le pays subirait si les déplacés restent au Liban et que les aides (internationales) sont supprimées ». Un avis que partagent nombre d’observateurs qui disent craindre le pire si le HCR se retire du Liban, laissant derrière lui toute une population de réfugiés sans soutien, ce qui ne ferait qu’aggraver les tensions entre Libanais et Syriens. Pour Moustapha Allouche, membre du bureau politique du courant du Futur, interrogé par L’OLJ, il s’agit d’« une première au Liban. Du jamais-vu ».
« C’est un pas vers l’inconnu. Une telle mesure ne peut contribuer d’une manière ou d’une autre au retour des réfugiés », dit-il.
Alors que le Premier ministre, Saad Hariri, maintenait un silence radio sur cette affaire, Nadim Mounla, son conseiller, a indiqué à l’AFP que la décision du ministère des Affaires étrangères était « unilatérale » et ne « représente pas la position du gouvernement libanais ni celle de son chef ». Le chef de la diplomatie « n’a pas consulté le Premier ministre ni les autres ministres, notamment ceux concernés par le dossier des réfugiés au sein du cabinet », a-t-il ajouté, indiquant que M. Bassil « devra revenir sur sa décision ».
Expert en politiques publiques et réfugiés, Ziyad Sayegh se demande pour sa part pourquoi M. Bassil « n’a pas demandé une réunion urgente du Conseil des ministres s’il estime que la situation est grave et urgente ». L’expert fait remarquer que la diplomatie libanaise n’a pas su organiser, dès le départ, et de manière rationnelle, sa relation avec le HCR, d’où la détérioration des rapports. « C’est comme si l’on cherchait à couvrir l’échec dans le dossier des réfugiés en menant une confrontation avec une organisation internationale. »
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18 h 36, le 09 juin 2018