Si Téhéran a pu se réjouir des résultats des dernières élections législatives libanaises qui ont vu le Hezbollah et ses alliés renforcer leurs positions, l’histoire est quelque peu différente en ce qui concerne l’Irak. Pour les premières élections post-État islamique organisées dans le pays, les Irakiens ont créé la surprise en plaçant l’alliance antisystème et anticorruption « La marche pour les réformes », du leader chiite Moqtada Sadr, en tête du scrutin. Celui-ci a mobilisé 44,52 % des électeurs, la plus basse participation à une élection depuis la chute de Saddam Hussein. Selon les derniers résultats, le leader religieux arrive en première position devant la liste du Hachd al-Chaabi, des milices chiites soutenues par l’Iran, dirigées par Hadi el-Ameri. Le Premier ministre sortant Haider al-Abadi, grand artisan de la victoire de l’Irak contre l’EI et seul candidat à faire consensus entre les États-Unis et l’Iran, arrive en troisième position.
L’Iran peut en tirer un bilan mitigé : si le leader chiite le plus hostile à Téhéran est le grand vainqueur de ces élections, ses obligés qui ont été en première ligne dans la lutte contre l’EI arrivent tout de même en deuxième position et devraient renforcer leur influence au sein des institutions irakiennes.
Dès dimanche soir à Bagdad, les partisans du dignitaire chiite se sont rassemblés pour fêter la victoire en répétant à plusieurs reprises le slogan « Iran dehors ». Le secrétaire général du Parti communiste, Raed Fahmy, cité par Reuters, a déclaré que le vote pour l’alliance entre les sadristes et les communistes était « un message clair que nous devons équilibrer nos relations avec tous les pays, en les basant sur une logique de non-ingérence dans les affaires internes irakiennes », dans une référence à peine voilée au rôle prépondérant de l’Iran en Irak. En s’alliant avec les communistes, Moqtada Sadr, qui tire en grande partie son autorité de la lignée de dignitaires chiites très respectés qui l’ont précédé, a voulu centrer sa campagne sur le sentiment nationaliste, très populaire en Irak, particulièrement depuis la reconquête des territoires des mains de l’État islamique. Partisan de la pleine souveraineté politique de l’Irak, le leader chiite est connu pour ses positions fermes et hostiles à l’égard de Téhéran et refuse toute ingérence politique ou militaire iranienne en Irak. Cela s’est vu dès son annonce d’établir un gouvernement formé sur la base d’une coalition avec d’autres partis chiites, sunnites, kurdes et chrétiens, y compris celui de Haider al-Abadi, mais à l’exception de la liste constituée par d’anciens chefs du Hachd al-Chaabi, et de celle de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki, avec lesquels il a un lourd contentieux.
« Sadr a joué la carte nationaliste pour attirer le maximum d’électeurs vers lui. Mais il ne faut pas voir dans l’avancée au pouvoir de sa liste une remise en question de l’influence que l’Iran exerce sur l’Irak », tempère pour L’Orient-Le Jour Myriam Benraad, professeure en sciences politiques à l’université de Leyde, aux Pays-Bas, et spécialiste de l’Irak. « Sadr a des relations complexes avec le régime iranien, des attaches très intimes et familiales, et ne remet pas fondamentalement en cause l’influence iranienne en réalité, au-delà de ce que pourrait faire penser ses discours », ajoute la chercheuse.
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Entre compromis et négociations
« Nous ne laisserons pas les libéraux et les communistes gouverner l’Irak », avait prévenu en février dernier Ali Akbar Velayati, le plus proche conseiller du guide suprême iranien l’ayatollah Ali Khamenei. Téhéran prépare en tout cas déjà la contre-attaque. Selon l’AFP, le commandant de la force al-Qods, le général iranien Qassem Soleimani, était hier à Bagdad pour rassembler les partis chiites. Il a réuni lundi soir le Premier ministre sortant Haider el-Abadi, Nouri el-Maliki et Hadi el-Ameri pour essayer de former une majorité et ainsi entraver les projets de M. Sadr. Toujours selon l’AFP, le responsable militaire iranien a opposé son veto à une alliance avec la liste « La marche pour les réformes » de M. Sadr, le mouvement Hikma du chiite Ammar el-Hakim, le vice-président sunnite Oussama el-Noujaïfi et le Parti démocratique du Kurdistan (PDK, de Massoud Barzani). Moqtada Sadr n’était pas candidat aux législatives et ne pourra pas prétendre lui-même au poste de Premier ministre. Mais il tient le rôle de faiseur de roi dans la constitution de la future alliance qui devrait permettre de constituer un nouveau gouvernement et dans laquelle M. Abadi pourrait être reconduit au poste de Premier ministre. M. Sadr, qui a mené l’insurrection chiite à la suite de l’intervention américaine en 2003, s’est placé au centre du jeu dans un pays géré par un condominium américano-iranien. « Sadr devra faire des compromis et des négociations. Et à cause de cela, il se peut qu’il y ait encore des possibilités d’influence iranienne dans le futur gouvernement (…). Tout dépendra donc du type de coalition qu’ils feront pour s’assurer que leur mandat puisse aller de l’avant », dit à L’OLJ Renad Mansour, spécialiste de l’Irak à l’institut Chatham House. « La fragmentation du pouvoir dans l’État irakien permet à l’Iran de maintenir son influence par différents canaux » ajoute-t-il. « Sadr s’est présenté comme un acteur révolutionnaire, mais c’est quelqu’un de pragmatique. Il ne peut pas de toute façon, à terme, exclure le Hachd al-Chaabi et prétendre former un gouvernement représentatif, » confirme Mme Benraad. Le contexte de fortes tensions entre les États-Unis et l’Iran, à la suite du retrait américain de l’accord nucléaire iranien, ne devrait pas faciliter les négociations.
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19 h 31, le 16 mai 2018