Dans la province occidentale d’al-Anbar, le camp numéro 7 près de Khalidiya respire la pauvreté. Là, les gens ont tout perdu durant la guerre contre le groupe jihadiste État islamique achevée en décembre avec l’annonce de « victoire » par le Premier ministre Haider al-Abadi. Des tentes du Haut-Commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR) sont fixées à des tiges de fer, des habits sèchent dans la poussière, des enfants marchent pieds nus harcelés par des mouches. Des habitants font la queue devant des toilettes publiques pour hommes et femmes. Il n’y a aucune affiche électorale et les candidats évitent de faire campagne dans cette flaque de misère au milieu du désert, entourée d’une barrière en fer et gardée par des policiers qui empêchent les habitants de sortir sans autorisation. « La campagne est absente des camps et aucun candidat ne s’y rend bien que les voix des déplacés soient très importantes. Ils sont des milliers et leurs bulletins pourraient compter lourdement », reconnaît Hikmat Zeydan, un dirigeant du Rassemblement pour l’unité de l’Irak qui présente cinq candidats à al-Anbar. Dans les neuf camps de cette province, les autorités ont recensé 30 000 électeurs. « Mais, ajoute-t-il, les politiciens ont peur de se retrouver en situation délicate car ils n’ont rien fait pour favoriser le retour des déplacés et ces derniers ne font plus confiance aux politiciens. »
Il reste environ 2 millions de déplacés et selon la commission électorale, sur plus de 8 000 bureaux à travers le pays, 166 seront installés dans 70 camps répartis dans 8 des 18 gouvernorats du pays. Au total, 285 564 déplacés pourront y voter. Mais rares sont ceux qui affirment désirer le faire.
« Personne n’est venu »
Pour les inciter à voter, explique à l’AFP Saad al-Ithaoui, qui chapeaute la commission électorale dans la province, il leur suffira de présenter une pièce d’identité, alors que les autres électeurs doivent retirer leur carte d’électeur biométrique.
Dans ce camp numéro 7, Oum Ahmad, 47 ans, a pris sa décision. « Je ne voterai pas tant que mon fils aîné ne sera pas revenu. D’ailleurs, personne n’est venu s’enquérir de nous », lance cette Irakienne, son voile noir cachant en partie son visage. Cela fait deux ans qu’elle n’a pas revu sa maison à Saqlaouiya, dans la province d’al-Anbar, un ex-fief de l’EI, ni son fils âgé d’une vingtaine d’années, qui a été enlevé, selon ses dires, il y a trois ans. Les déplacés affirment que leurs maisons ont été détruites dans les combats et réclament le retour des hommes « disparus », dont beaucoup ont été tués ou arrêtés par les autorités car soupçonnés d’appartenir à l’EI. Originaire de Qaïm, vêtue d’une longue robe traditionnelle verte et coiffée d’un foulard noir, Oum Maher, 50 ans, s’abstiendra aussi, car elle est sans nouvelles de son mari et de son fils. « Je ne leur fais pas confiance. S’ils veulent nos voix, qu’ils nous rendent nos enfants et nos maisons », dit-elle. Dans la province de Diyala, au nord-est de Bagdad, 15 000 déplacés pourront théoriquement voter. Mais c’est un véritable casse-tête car ils viennent de quatre provinces différentes.
Déplacé et candidat
À Samarra, Jassem al-Joubouri, candidat sur la liste de M. Abadi, justifie son désintérêt pour les deux camps de déplacés de la province de Salaheddine (Nord). « On n’a pas mis d’affiches électorales et on ne s’est pas déplacé car la plupart sont des familles de Daech », un acronyme arabe de l’EI, dit-il. Cas exceptionnel : Abdel Bari Abbas, un déplacé vivant dans le camp de Baharka, dans la province d’Erbil, a fait sien l’adage « on n’est jamais mieux servi que par soi-même ». Ce professeur d’arabe de 48 ans, qui a fui Baaj à l’ouest de Mossoul il y a trois ans, s’est porté candidat et fait aujourd’hui campagne dans le camp. Lui qui n’avait jamais fait de politique s’est lancé dans la course électorale parce que « seul un déplacé peut résoudre leurs problèmes ». « Ma famille et la majorité des habitants de Mossoul ont dû beaucoup lutter. C’est pourquoi il faut un candidat pour faire entendre leur voix, dit cet homme en costume et cravate noire. Je me suis promis que même si je suis élu, ma famille et moi resterons dans ce camp. »
Salam FARAJ/AFP