Sur le pan d’un mur d’école encore debout mais criblé de balles dans le Vieux Mossoul, des affiches promettent aux électeurs un avenir meilleur, un engagement qui semble dérisoire face à l’ampleur des destructions dans la deuxième ville d’Irak.
« L’Irak avance », assure l’affiche du candidat Laith Ahmad Hassan, en costume cravate, qui se présente sur la liste « L’alliance de la victoire » du Premier ministre Haïder al-Abadi. « Continuons le processus de construction et offrons le bien aux gens », proclame celle d’un concurrent, Farès Cheikh Sadik, de l’Alliance kurde.
Près de dix mois après la fin d’une guerre de rues d’une violence inouïe au terme de laquelle les jihadistes du groupe État islamique ont été chassés de leur « capitale » irakienne, Mossoul est toujours un champ de ruine où gisent des corps en putréfaction sous les gravats à côté d’explosifs non désamorcés.
Événements sportifs, culturels ou artistiques, cortèges avec klaxon et diffusion de musique comme pour les mariages, distribution de gâteaux aux passants, tout est bon pour les 938 candidats en lice dans la province de Ninive pour tenter de mobiliser les 2,3 millions d’électeurs, dont 80 % se trouvent à Mossoul, le chef-lieu.
Cette province est la plus bigarrée du pays avec plusieurs ethnies, arabes, kurdes, turkmènes et différentes religions, musulmans sunnites et chiites, yazidis, chrétiens, chabaks. Trente-quatre sièges sont à pourvoir, dont trois réservés aux minorités, selon la règle des quotas.
« Devoir national »
Mais les électeurs restent très partagés sur l’utilité de voter et pour qui voter.
Pantalon taché d’huile et mains graisseuses, Abou Fayez attend depuis plusieurs heures de recevoir sa carte d’électeur à l’école « Badr al-Koubra », car lui a décidé de voter. « Après la libération de Mossoul, c’est un devoir national de voter pour que notre vie change et pour ne pas faire comme lors les scrutins précédents lorsque des électeurs avaient profité du jour férié pour aller se reposer au Kurdistan, à Bagdad ou en Turquie », assure ce mécanicien. « Il faut (...) élire des gens qui nous représentent réellement et nous obtiennent des compensations pour les dommages matériels et moraux subis », ajoute cet homme de 41 ans.
Après l’invasion en 2003 par une coalition conduite par les États-Unis, cette ville majoritairement sunnite avec une minorité kurde et chrétienne était devenue un fief d’el-Qaëda et un bastion des partisans du dictateur déchu Saddam Hussein.
Aux élections de 2014, juste avant la prise de la ville par l’EI, à peine 50 % des habitants s’étaient rendus aux urnes, craignant les menaces proférées par les jihadistes.
Ammar Raad, lui, n’ira pas voter. « J’ai été cherché ma carte d’électeur pour que personne ne l’utilise frauduleusement, mais je vais la détruire. J’ai refusé 75 000 dinars (62 dollars) qu’un candidat m’a offerts pour que je vote pour lui. Personne ne m’inspire confiance », explique ce chômeur de 27 ans, devant sa maison à moitié détruite.
Cette méfiance envers les politiciens est palpable car beaucoup considèrent qu’ils ont manqué de courage quand l’EI a conquis la ville en juin 2014 et qu’ils ont fui.
« Nouvelles alliances »
« Je vais voter mais pour chasser les corrompus et les anciens visages qui n’ont rien fait » pendant des années, assure Abou Ahmad, un retraité de 55 ans.
Signe de bouleversement dans la province de Ninive, 75 % des candidats sont de nouveaux venus et les partis traditionnels sunnites ont changé de nom pour ne pas être associés au passé.
« Il risque de se produire un séisme politique qui va bouleverser la province », assure l’analyste politique Hamed Ali. « Les nouvelles alliances, soutenues par des forces de sécurité sur le terrain, vont imposer une nouvelle réalité qui aura une répercussion sur les élections et va changer la situation politique dans la province », ajoute-t-il.
La victoire sur l’EI a en effet été remportée par l’armée avec l’aide des forces paramilitaires du Hachd al-Chaabi, constituées à l’appel du chef religieux chiite l’ayatollah Ali Sistani, qui sont toujours bien implantées sur le terrain.
Pour Farah Sarraj, députée sortante et candidate sur la liste laïque « L’alliance nationale » emmenée par le vice-président Iyad Allaoui, « les milices sont omniprésentes dans la province et contrôlent la sécurité ce qui favorise les (...) partis qui sont liés à elles ».
En outre, souligne-t-elle, le résultat du scrutin risque d’être faussé « car seulement 20 % des déplacés sont revenus à Mossoul, et les noms de milliers de martyrs et disparus sont toujours inscrits sur les listes électorales tout comme de nombreux membres de l’EI qui ont fui le pays ».
Mohammad SALIM/AFP
Moyen Orient et Monde - Reportage
Dans Mossoul en ruine, les candidats promettent un avenir meilleur
OLJ / le 03 mai 2018 à 00h00