La fièvre électorale qui monte partout au Liban ne parvient pas à cacher totalement les problèmes de fond qui guettent le pays. La conférence du groupe international de soutien au Liban, qui se déroule à Bruxelles aujourd’hui et demain, est là pour rappeler que le pays doit faire face à un dossier de plus en plus pesant et pressant, celui des déplacés syriens. S’il a été convenu par les différentes parties politiques – qui pourtant font feu de tout bois pour gagner quelques voix de plus aux élections – de laisser ce dossier en dehors des campagnes électorales en raison de son importance et du fait qu’il soulève des passions incontrôlables, celui-ci ne s’en impose pas moins à l’actualité. Pourtant, en cette période de campagne électorale, où les Libanais sont essentiellement concentrés sur eux-mêmes, les déplacés syriens se font particulièrement discrets. Mais leur présence n’en continue pas moins de poser un problème, à la fois économique, social et sécuritaire. Les Libanais sont officiellement d’accord sur la nécessité de favoriser le retour des déplacés syriens chez eux le plus tôt possible. Mais c’est sur la façon de le faire qu’ils ont des divergences fondamentales, liées à leurs approches régionales et stratégiques contradictoires. Le plus grave, selon une source qui suit de près ce dossier, c’est l’attitude des pays donateurs et des instances internationales, qui, non seulement n’encouragent pas le retour des déplacés chez eux, mais plus encore s’y opposent carrément. La meilleure preuve a été donnée par le communiqué du Haut-Comité des Nations unies pour les refugiés (HCR) après le retour de 500 Syriens installés à Chebaa dans leur localité en Syrie (Beit Jinn). Ce retour avait été organisé par la Sûreté générale en coopération avec les autorités syriennes compétentes, et le HCR a tenté de l’entraver, s’adressant directement aux déplacés pour leur conseiller de ne pas revenir chez eux en raison de l’insécurité.
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Le conflit latent entre les autorités libanaises (ou une partie d’entre elles) et le HCR et les pays donateurs a ainsi éclaté au grand jour, et c’est sur fond de cette divergence fondamentale que se déroule la conférence de Bruxelles. Le Liban y sera représenté par le Premier ministre Saad Hariri qui présidera une délégation ministérielle, mais les attentes ne sont pas énormes. En effet, selon une source ministérielle qui fait partie de la délégation, le Liban est porteur de projets pour un montant de 4 milliards de dollars. Mais, s’il en obtient la moitié, il pourra s’estimer heureux. Cette même source rappelle que l’an dernier, au cours d’une conférence similaire, le Liban avait réclamé 5 milliards de dollars pour financer le coût des déplacés syriens sur son territoire et il n’en avait reçu que la moitié. La source précitée est convaincue que la communauté internationale fait le minimum et donne au Liban juste assez de fonds pour qu’il ne s’effondre pas économiquement, car cela pourrait provoquer le départ massif des déplacés syriens vers l’Europe. Mais elle ne montre aucune volonté d’aider le Liban de manière plus globale.
Selon les dossiers officiels libanais, la présence des déplacés syriens depuis 2011 à 2017 a coûté au Trésor public la somme de 8 milliards de dollars. Le coût de la santé a augmenté de 40 % alors que le Liban consomme 486 mégawatts d’électricité de plus à cause des déplacés syriens. De même, les élèves syriens sont au nombre de 200 000 et ils apprennent le programme scolaire libanais. Ce qui devrait favoriser leur intégration sur le marché de l’emploi local. Enfin, ces déplacés vivent le plus souvent en dessous du niveau de pauvreté (53 % au Liban-Nord, 42 % au Liban-Sud et 30 % dans la Békaa). Pour toutes ces raisons, et pour d’autres encore, le Liban estime qu’il ne peut plus supporter le poids de cette présence massive.
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Malgré ces données, le Liban ne parvient pas à convaincre la communauté internationale de l’importance pour lui d’entamer un processus de retour des déplacés chez eux, d’autant que, depuis le début de l’année, 70 % du territoire syrien est sécurisé, en particulier dans la province de Homs qui fait quatre fois la superficie du Liban et dans la province de Damas, ainsi que le long du littoral syrien. Selon la convention internationale signée en 1951 sur le sort des réfugiés, le HCR devrait se charger d’assurer le retour volontaire des réfugiés, soit de leur trouver un pays d’accueil, soit de les implanter là où ils se trouvent. Pour une raison que le Liban ne parvient pas à comprendre, c’est la solution qu’avait privilégiée l’ancien secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon dans son rapport sur la situation des déplacés syriens au Liban. Le Liban avait eu beau expliquer que 70 % des déplacés syriens sont venus au Liban pour des raisons économiques, en se basant sur le fait que la plupart d’entre eux ne viennent pas des régions limitrophes du Liban, mais plutôt du Nord syrien. En vain, la position de l’ONU et des pays donateurs est restée la même. Au point que le Liban est désormais convaincu qu’il s’agit d’une carte politique que la communauté internationale et en particulier les pays occidentaux veulent conserver contre le régime syrien. Le Liban, lui, ne veut pas se laisser entraîner dans des considérations politiques, d’autant que, sur ce sujet, il n’a pas une position unifiée. C’est d’ailleurs pour cette raison que le plan proposé par le ministre des Affaires étrangères – qui repose sur trois points : les aides internationales doivent passer par le gouvernement et non aller directement aux ONG, elles doivent être réparties à égalité entre les Syriens et les Libanais en tant que communautés d’accueil, et enfin, les aides devraient être remises aux Syriens en Syrie, pour les pousser à rentrer chez eux dans un cadre de vie digne – n’a jamais été discuté.
C’est donc sur fond de ces divergences que se tient la conférence de Bruxelles sur les réfugiés syriens. Mais il faudra attendre la fin des élections et le nouveau gouvernement pour que le dossier soit étudié en profondeur.
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commentaires (8)
...""70 % du territoire syrien est sécurisé, en particulier dans la province de Homs qui fait quatre fois la superficie du Liban..."" C'est bon à savoir, la province de Homs fait quatre fois le Liban, et à l'heure iranienne, nous ne sommes qu'une république lilliputienne pour la taille de l'Iran !
L'ARCHIPEL LIBANAIS
10 h 56, le 25 avril 2018