Ni frappes symboliques, ni opération de changement de régime : trouver le bon compromis entre ces deux types d’actions, sans provoquer d’escalade avec la Russie, était la principale difficulté de la riposte occidentale à l’attaque chimique contre Douma il y a une semaine, imputée au régime syrien. Après des jours d’attente, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont frappé plusieurs positions du régime syrien, insistant bien sur le fait que ce sont ses capacités dans l’emploi et la production d’armes chimiques qui ont été visées. C’est un "one time shoot", selon les mots du secrétaire américain à la défense James Mattis. C’est l’option la plus modérée qui semble avoir été choisie par les Occidentaux.
• Les cibles
Selon le général Joe Dunford, chef d'état-major américain, les forces occidentales ont visé samedi à 01h00 GMT (04h00 en Syrie) trois cibles liées au programme d'armement chimique syrien : une près de Damas et les deux autres dans la région de Homs (centre de la Syrie). Une heure plus tard, ces frappes étaient "terminées", a-t-il ajouté, précisant qu'aucune autre opération n'était prévue à ce stade. Selon lui, les alliés ont pris soin d'éviter de toucher les forces russes, massivement présentes dans le pays. Moscou a confirmé qu'aucune des frappes n'avait atteint les abords des bases aérienne et navale russes. Les frappes n'ont fait "aucune victime" civile ou militaire syrienne, selon l'armée russe.
Le président français Emmanuel Macron a souligné que les frappes françaises étaient "circonscrites aux capacités du régime syrien permettant la production et l'emploi d'armes chimiques".
"Une bonne partie de l'arsenal chimique" du régime syrien "a été détruite", selon le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian. "Le principal centre de recherche" et "deux centres de production" ont été visés, selon la ministre des Armées Florence Parly.
Les Britanniques ont indiqué avoir frappé un complexe militaire - une ancienne base de missiles - à 24 kilomètres à l'ouest de Homs "où le régime est supposé conserver des armes chimiques".
Selon l'agence officielle syrienne Sana, les frappes ont touché un centre de recherche à Barzé dans le nord-est de Damas. Des missiles ont aussi visé un site militaire près de Homs mais "ont été déviés, faisant trois blessés civils", ajoute l'agence.
La télévision d'Etat syrienne a rapporté des "informations" selon lesquelles un "centre de recherches" du quartier de Barzé dans le nord-est de Damas avait été visé.
Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), toutes les installations visées étaient "complètement vides" et "évacuées" depuis plus de trois jours.
(Lire aussi : Frappes occidentales en Syrie : le conflit généralisé évité)
• Les forces engagées
Les Etats-Unis ont tiré des "types de munitions divers", dont des missiles de croisière Tomahawk. D'après Fox News, des bombardiers à long rayon d'action B-1 ont aussi été engagés.
Le ministre américain de la défense Jim Mattis a précisé que les forces américaines avaient employé deux fois plus de munitions que pour la frappe américaine d'avril 2017 sur la base militaire d'Al-Chaayrate, près de Homs. Aucune perte humaine n'est à déplorer côté américain, selon le Pentagone.
La France a frappé avec des frégates multimissions en Méditerranée et des avions de chasse, selon Florence Parly. Un raid aérien est parti de plusieurs bases aériennes en France.
Londres a utilisé quatre avions de chasse Tornado GR4 de la Royal Air Force, équipés de missiles Storm Shadow.
Washington et ses alliés ont tiré "environ 110 missiles sur des cibles à Damas et ailleurs" dans le pays, selon le haut commandement de l'armée syrienne qui a assuré en avoir intercepté "la plupart". Selon la télévision d'Etat syrienne, des missiles ont été "interceptés" à Homs.
Selon la Russie, 103 missiles ont été tirés et 71 interceptés par les forces syriennes équipées par Moscou. Les installations russes de défense aérienne stationnées en Syrie n'ont pas été utilisées, a souligné le ministère russe de la Défense.
• Différences avec la frappe US de l’année dernière
Action multilatérale qui implique les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni.
Cibles multiples, dépassant les simples frappes symboliques, et visant à annihiler les ressources en matières d’armes chimiques du régime.La Russie n’a pas été prévenue des sites visés, contrairement à l’année dernière, même si l’habituelle procédure de déconfliction a été utilisée.
• Message politique
Le message principal est de dissuader le régime syrien, et par extension d’autres régimes dans le monde, d’utiliser des armes chimiques. L’opération est clairement limitée à cet aspect, le Pentagone ayant précisé que les cibles avaient été choisies pour éviter de toucher des civils et des cibles étrangères, en référence aux intérêts russes et iraniens en Syrie.
Donald Trump et James Mattis ont précisé dans leurs discours respectifs que Bachar el-Assad n’avait pas compris le message lors des précédentes frappes et qu’il y en aurait encore d’autres s’il utilisait à nouveau les armes chimiques. Le secrétaire américain à la Défense a admis qu’il était impossible d’être sûr que ces nouvelles frappes allaient être en mesure de dissuader le régime syrien. Il n’en reste pas moins que la punition semble plus dure que celle de l’an dernier.
Le fait de frapper pendant un peu moins d’une heure, malgré les missiles anti-défense russes, est aussi un message envoyé au régime : "nous pouvons te faire mal, malgré la présence de tes alliés".
A noter que le fait de coordonner les frappes avec les alliés français et britannique est un message politique important pour un président ayant fait campagne sur le thème de "l’Amérique d’abord".
• Possibles conséquences
L’ambassadeur de Russie à Washington, Anatoli Antonov, a prévenu que de "telles actions appelleraient des conséquences", alors que Moscou avait, il y a deux jours, mis en garde les Occidentaux et menaçait d’une riposte au cours de ces derniers jours.
La Russie, qui a dénoncé "un coup porté contre la capitale d'un Etat souverain", a dans ce contexte annoncé convoquer une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU pour, selon un communiqué du Kremlin, "évoquer les actions agressives des Etats-Unis et de leurs alliés".
Compte tenu du fait que les intérêts russes n’ont pas été directement visés, il est toutefois très peu probable que la Russie réponde aux frappes occidentales.
L'Iran a pour sa part averti des "conséquences régionales" des frappes et les a "fermement" condamnées.
La répétition du scénario de la volte-face de Barack Obama en 2013 a été évité. C’était, semble-t-il, le plus important pour les Occidentaux, qui voulaient à tout prix faire respecter leur ligne rouge. Seul l’avenir dira si cette action punitive a été payante : il y a le risque, si le régime syrien utilise à nouveau les armes chimiques, que les Occidentaux soient en partie décrédibilisés dans leur volonté d’être les "gendarmes" du droit international.
Les frappes punitives ne suffisent en effet pas à définir une stratégie occidentale en Syrie, d’autant plus que celle-ci n’ont pas pour effet de modifier le rapport de force sur le terrain. Cela peut toutefois avoir un effet dissuasif sur le régime montrant que les Occidentaux n’ont pas abandonné la partie et qu’ils peuvent encore, à tout moment, mettre à mal ses intérêts.
Le véritable enjeu, au-delà de la question des armes chimiques, est ainsi de savoir si ces frappes vont amener les Occidentaux, Américains en tête, à s’engager davantage en Syrie pour faire émerger une solution politique. Si ce n’est pas le cas, ces frappes devraient avoir un effet limité sur la suite du conflit.
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La Russie a fait part d'une "grande inquiétude" face à "l'agression" contre un Etat souverain...La même Russie n'avait eu le moindre regret lors de son "agression" contre un Etat souverain qu'est l'Ukraine en s'emparant d'une terre ukrainienne qu'est la Crimée !!!
20 h 56, le 14 avril 2018