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Nos Lecteurs ont la Parole - Lili-Rose SABBAGH

Enfin au pays de mes ancêtres

L’avion qui me ramenait à Beyrouth, au pays de mes ancêtres, venait d’atterrir sur le tarmac de l’aéroport Rafic Hariri. Mon cœur battait la chamade, ma gorge était sèche. C’est la première fois que mes petits pieds frôlent le sol libanais, le pays de mes parents. Un pays qu’ils ont dû quitter à la hâte pendant les années noires de la guerre maudite, aux dires de ma mère.
Ma tante Salma et son époux m’attendaient à la sortie de l’avion. Des cris de joie s’élevèrent par-ci par-là, ovationnèrent les revenants, les enfants prodiges. Les youyous foisonnèrent, larmes et sourires se mélangèrent dans une effusion de joie pour donner à ce moment des retrouvailles un goût inoubliable et chaleureux.
Les bras de ma tante m’étreignaient, elle me couvrait de baisers. Mon oncle observa la scène avec la réserve due à son rang d’homme oriental, même s’il avait au fond du mal à cacher sa gaieté. Les porteurs s’activèrent avec frénésie pour transporter les valises des voyageurs. Mon bagage fut confié à l’un d’eux qui me questionna sur le vol et la durée de mon séjour au pays du Cèdre tout en me préconisant des lieux incontournables à visiter.
Ma valise récupérée, je montai dans la grosse berline de tonton Nassim en direction de la maison familiale à la rencontre de ma grand-mère malade de vieillesse.
Le visage collé contre la fenêtre de la voiture, je contemplais la ville millénaire de Beyrouth. Une ville ressuscitée de ses cendres. Quand soudain un attroupement de jeunes personnes attira mon attention. Des jeunes dansaient, riaient en chœur à l’endroit même où quelques années plus tôt, des barricades furent dressées séparant de facto la ville de Beyrouth en deux : Beyrouth-Est, antipalestinienne, d’obédience chrétienne, et Beyrouth-Ouest, propalestinienne, à majorité musulmane.
Malgré un long voyage et le décalage horaire, mes yeux, à l’affût, étaient grands ouverts, captivant chaque instant de cette ville autrefois meurtrie bien que invincible.
La route empruntée serpentait une chaîne de montagnes sorties des profondeurs abyssales des siècles derniers. Jadis, Beyrouth abritait une école de droit. À l’endroit même où une nouvelle ville « moderne » est sortie des terres, le downtown de Beyrouh. La vieille ville se développa grâce au soutien des empereurs romains et devint une grande institution connue pour la production de la jurisprudence dans l’Empire romain, et ce jusqu’à sa destruction en 551, m’informa tante Salma. Elle continua mon initiation en montrant la plaque gravée à même le rocher, commémorant ainsi l’exploit du pharaon Ramsès II, vainqueur des Phéniciens environ 1276 avant J.-C. La stèle de Nahr el-Kalb illustrant Ramsès II avec un prisonnier agenouillé à ses pieds devant le dieu Ra.
Comment font-ils les gens d’ici pour retenir autant d’histoires sur la grande histoire ? me demandai-je. Ils côtoient des siècles de traditions et jonglent entre les différentes civilisations qui ont jalonné leur vie et marqué à jamais cette petite parcelle de terre nommée autrefois le Mont-Liban.
Un passé riche en récits et surtout en émotions.
Au village de Baalchmay, mes cousins me sautaient dessus en me couvrant de baisers et de compliments. J’étais le centre d’intérêt de tout le monde. Voisins et amis saluaient le retour aux sources, pestant contre l’expatriation et les guerres qui avaient disséminé les familles. Le destin qui s’était acharné sur eux les a contraints à composer avec l’absence des êtres chers, parsemés dans les quatre coins du monde.
Je dépose mes affaires et me débarbouille avant de passer à table, qui ressemble par ailleurs à un vrai banquet de mariage. Une quinzaine de petits plats, appelés mezza, entouraient d’autres plats plus volumineux. Mes yeux sautillaient d’un plat à l’autre, je salivais, les odeurs ensorcelantes envoûtaient mes sens, me laissaient sans résistance devant autant de délices. Mon voyage extraordinaire culinaire ne faisait que commencer et j’en étais émerveillée. J’ai naturellement les yeux plus gros que le ventre.
 Les journées suivantes sont rythmées par les visites et l’exploration de mes racines. Si bienveillante qu’elle soit, ma tante déploie son énergie pour remplir mon temps libre. Elle tient à cœur son rôle d’hôtesse et de gardienne des mémoires. Les jours se succédèrent et l’ennui peina à s’installer. Mes cousins et les voisins des voisins m’adoptaient dans un élan de générosité hospitalière et me réservaient une grande place dans leur cœur à l’instar de leurs maisons. Ils ont tous une anecdote à me raconter soit sur ma mère, soit sur des proches partis dans des contrées inconnues, dont les noms sont bien des fois écorchés ou tout simplement oubliés.
Demain mon voyage arrivera à son terme, les jeunes du village m’ont organisé une fête en guise d’adieu. Des lampions illuminaient les arbres fruitiers du jardin de Jad, notre hôte. Les blagues et les tapes dans le dos retentirent dans un décor champêtre reflétant la légèreté de l’instant. Un buffet est dressé sous une treille de raisins, autour duquel mes amis refaisaient le monde et rêvaient d’un monde meilleur.
J’ai du mal à desserrer la mâchoire de peur de sangloter et de dévoiler mon attachement au pays perdu de mes parents. Repartir après avoir retrouvé une part de moi-même me semble au-delà de tout entendement. Comment partir et me dire que plus jamais je ne reverrai Jad, Leïla, Hani et Suzanne ?
Je me réfugie dans le silence pour cacher mon désarroi, assise sur une chaise en rotin, je capte chaque mouvement, chaque parole, chaque rire, les cache quelque part en moi, comme un bouclier contre la déprime des jours sans.
Ainsi s’achève mon escapade au Liban avec la promesse de retourner l’année prochaine. Yalla, au revoir.

L’avion qui me ramenait à Beyrouth, au pays de mes ancêtres, venait d’atterrir sur le tarmac de l’aéroport Rafic Hariri. Mon cœur battait la chamade, ma gorge était sèche. C’est la première fois que mes petits pieds frôlent le sol libanais, le pays de mes parents. Un pays qu’ils ont dû quitter à la hâte pendant les années noires de la guerre maudite, aux dires de ma mère....

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