La dernière fois que les Libanais ont choisi leurs députés, c’était en 2009. Depuis, cette Chambre (d’)incapable(s) s’est autoprorogée à deux reprises. Une hérésie, même dans une pseudo- démocratie, même dans un pays gangrené par la milice et par un esprit milicien (ou communautariste : les ravages sont identiques…), qui a contaminé, par capillarité, la quasi-totalité de la classe politique, mais aussi une bonne moitié des Libanais. Ces reconductions étaient passées comme une lettre à la poste, avec Nabih Berry aux manettes, et quelque 127, ou presque, complices, ou démagogues hypocrites. Mais il semblerait que ce 6 mai 2018 soit le bon – même si, dans ce Liban de toutes les (mauvaises) surprises, rien n’est jamais sûr.
Une chose l’est, cependant : les trois ingrédients qui font une élection réussie sont soit pourris, soit absents.
Le premier est gratiné : la loi électorale. La cuvée 2018 est une tour de Babel hybride, cacophonique, indigne et sclérosée. Elle consolide les murs déjà existants, en construit d’autres, bunkérise chacune des communautés dans ses fiefs, privilégie l’ostracisme et dynamite n’importe quelle velléité de ponts intercommunautaires (et ce n’est pas cette magouille de Saïda-Jezzine qui pourra duper qui que ce soit…). Accouchée après des millions d’heures de négociations par des comptables-épiciers, elle aura réussi le très difficile exploit (la barre était déjà très haute) de dégénérer davantage la chose publique et sa pratique au Liban. Donc de vicier encore plus les hommes et les femmes qui exercent ce métier – ou qui tueraient père et mère pour le faire.
Le deuxième est affligeant : les candidats. Les grands partis d’abord, dans tout ce qu’ils sont censés avoir de rassurant, idéalement boussoles, chaudron d’idées et refuges ultimes, ne sont plus, ou presque, que des usines à magouilles ; des réservoirs d’acide dans lesquels se diluent à une vitesse astronomique ces vieux concepts ringards, terriblement ringards, mais atrocement nécessaires à toute démocratie : la morale, l’éthique, la déontologie, les valeurs, les principes. Et de cet assassinat naissent des kyrielles d’alliances, absurdes, contre-nature et totalement schizophrènes. Quant à cette fameuse société civile, cette autre tour de Babel de laquelle se prévaut désormais 90 % de la population, elle se suicide chaque jour un peu plus : au lieu d’agréger intelligemment et efficacement ses meilleurs éléments au sein d’une seule et unique liste, seule option pour espérer – et encore – ravir quelque siège aux grands partis-bulldozers, cette société civile s’est désintégrée en cent et une mini-sociétés. C’est comme le mini-État dans l’État – sans les armes. C’est fou ce que nous, identités parfois brillantes, ne savons pas nous unir.
Le troisième est triste à pleurer : nous. Les électeurs. Après avoir été empêchés par deux fois d’exercer leur droit/devoir électoral, ils auraient dû déborder d’enthousiasme. Mais soit ils cachent (très bien) leur joie et attendent le long de dimanche de refiançailles pour la laisser exploser, soit ils n’en ont atrocement plus rien à faire, résignés qu’ils sont jusqu’à l’os. Que ce soit ceux qui obéissent aveuglément au parti auquel ils adhèrent, ou ceux qui choisissent eux-mêmes le bulletin qu’ils glisseront dans l’urne, ces électeurs portent en eux tous les symptômes du mal Liban. Parce que c’est à cause de nous, et de nous seuls, si nous en sommes arrivés là. Aussi maudit que soit ce pays, nous aurions pu nous y opposer. Mais tout ce que nous saurons faire le 6 mai, c’est soit boycotter les isoloirs, soit voter pour le(s) moins pire(s), avec le sourire de ces gens conscients de se faire carotter jusqu’à la moelle : un député libanais, quelle que soit la durée de son mandat, est assuré d’une rente à vie, dont ses enfants hériteront à sa mort. Une rente payée, bien sûr, par… nous.
Mais si nous ne votons pas, ce serait encore pire. Bien pire.
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démocratie, même dans un pays gangrené par la milice et par un esprit milicien (ou communautariste : les ravages sont identiques…), qui a contaminé, par capillarité, la quasi-totalité...
commentaires (4)
C'est encore mieux de "singer l'occident" que pourtant on adore "singer" à outrance en tout dans ce pays: façon de se vêtir, de parler en mélangeant l'arabe avec des mots français et anglais, et en allant y passer ses vacances etc.,la liste est très, très longue ! ...que de vouloir "singer" l'obscurantisme, les dictatures de toutes les couleurs et les distributeurs de mort, et surtout, les nombreux incapables qui polluent notre pauvre pays et le mènent vers le néant... Irène Saïd
Irene Said
15 h 00, le 19 mars 2018