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Idées - Élections législatives

La longue marche vers l’égalité et le spectre ploutocratique

Des affiches électorales pour les élections législatives de mai prochain. Photo Marwan Assaf

Alors que les élections législatives s’approchent à grands pas, nous sommes appelés à réfléchir en particulier aux nombreux obstacles qui entravent encore notre aspiration à l’égalité entre les citoyens libanais au cours de ce processus démocratique.

La nature même de la démocratie représentative nous y invite dans la mesure où elle présuppose à la fois l’égalité dans le droit à la représentation parmi les électeurs et l’égalité de chances entre les candidats. Ainsi, les électeurs devraient pouvoir voter librement pour le même nombre de candidats, et les candidats entrer dans la compétition sans contraintes financières insurmontables et avec un accès égal aux médias.

Pour beaucoup d’entre nous qui se veulent « progressistes », c’est le système des quotas accordés aux différentes communautés religieuses – reconnues par les textes et la coutume comme faisant partie du tissu social libanais – qui constitue le plus grand obstacle à la possibilité offerte aux citoyens d’élire le candidat qu’ils jugent le plus légitime pour représenter leurs intérêts. Pour d’autres, l’obstacle majeur à une véritable représentativité des élus est celui de la très faible participation des femmes à la vie politique, aux élections et au Parlement. Faut-il rappeler qu’avec quatre députées sur 128, ce dernier taux est l’un des plus faibles de la région (soit 3,1 %) ?


(Lire aussi : Législatives libanaises : seuls les candidats les plus riches peuvent vraiment mener campagne...)


Perte financière
Cependant, un autre frein majeur, et plus rarement évoqué, au fait que la Chambre des députés puisse accueillir l’éventail le plus large des catégories sociales, et permette véritablement l’expression de l’ensemble des intérêts au sein de la société libanaise, est celui relatif aux dépenses électorales. Si de nombreuses démocraties ont encadré ces dernières, c’est notamment parce que le plafond des dépenses est considéré comme un garde-fou permettant de maintenir une relative égalité des chances entre les candidats très fortunés et d’autres qui ont des moyens ordinaires ou modestes.

Au Liban, ce plafond est fixé par l’article 61 de la loi électorale n° 44 du 17 juin 2017 qui dispose que le compte électoral d’un candidat est composé de deux tranches : une somme forfaitaire de 150 millions de livres (environ 100 000 dollars) ; et une seconde tranche qui varie suivant les effectifs des électeurs inscrits dans la circonscription correspondante : elle est calculée sur la base de 5 000 livres par électeur.

Or, il a sans doute échappé au législateur que l’adoption des circonscriptions moyennes qui regroupent plus d’un caza fait grimper les effectifs à plus de 150 000 électeurs au moins dans les circonscriptions les plus petites, ces effectifs pouvant atteindre les 300 000 électeurs dans certaines circonscriptions. Il en résulte que l’enveloppe totale des dépenses autorisées par candidat devrait osciller entre 600 000 dollars sur une base de 150 000 inscrits (100 000 dollars pour la première tranche et 500 000 pour la seconde) et 1 100 000 dans les circonscriptions comptant 300 000 inscrits.

Si nous nous penchons désormais sur les indemnités de nos députés, nous avons les données suivantes : 10 000 dollars (indemnité moyenne sans les avantages et exemptions) par mois, ce qui revient à un total de 480 000 dollars sur la durée de leur mandat (4 ans). C’est donc bien moins que le plafond minimal des dépenses électorales consenti par la loi !

En d’autres termes, un candidat chanceux et qui réussit à entrer au Parlement après cette brutale épreuve électorale ne pourra jamais récupérer l’argent déboursé lors de la campagne. Il faut ajouter que s’il n’est pas tenté par les commissions illicites sur les grands contrats publics, ni par les missions d’avocat d’affaires ou de conseiller d’entreprises, il aura travaillé pendant quatre ans pour rien. Il aura seulement gagné le prestige, la plaque d’immatriculation bleue et une exemption des frais de douane, puisque la loi n° 20 votée par nos parlementaires en 1979 – et amendée par la loi 791999 – leur permet d’acquérir une voiture par mandat sans payer ces frais. Pour le reste, soit l’essentiel, il sera financièrement perdant.


(Lire aussi : Sami Nader : La loi électorale bloque la réforme et vide la proportionnelle de son contenu)


Feuille de vigne
Un autre aspect de la loi interpelle : le seuil théorique de 600 000 dollars que chaque candidat devrait prévoir pour pouvoir concourir de manière équitable dans la compétition électorale. Est-ce raisonnable ? Le plafond des dépenses tel que prévu par nos législateurs si prévoyants est-il accessible à la majorité des Libanais susceptibles d’être intéressés par la compétition électorale pour servir l’intérêt général ?

Le moins que l’on puisse dire est que le plafond des dépenses électorales et les dispositions mentionnées dans les articles qui suivent l’article 61 de la loi 442017 – pourtant mis en place délibérément afin de veiller à l’égalité de chances parmi les candidats – sont une feuille de vigne qui ne cache plus rien devant le manque de pudeur de la plupart des dirigeants politiques et partisans. Ces derniers ne cherchent plus à dissimuler leur appétit pour faire des échéances électorales une occasion ou jamais pour faire encore et encore de l’argent. Il y a déjà un grand marchandage avec les candidats qui viennent du monde des affaires pour leur faire payer de grandes enveloppes pour les intégrer à leurs listes. Voilà une dépense qui échappera aussi aux observateurs des élections !

Cette dépense n’est pas la seule à leur échapper, puisque les tarifs des médias dans la période électorale sont choquants. Si ceux-ci ont été assez transparents, puisqu’ils ont fixé leurs tarifs et les ont transmis à l’instance chargée de superviser les élections, l’absence de réaction de cette dernière interroge : que devient l’égalité de chances entre les candidats avec de tels tarifs ?
En fin de compte, le système électoral proportionnel que nous avons vanté naïvement comme permettant de représenter toutes les opinions, de déplacer la compétition du champ étroit des personnalités au champ plus vaste des institutions politiques, du terrain paroissial des identités à celui plus noble des programmes d’intérêt général demeure plus que jamais perverti par des normes qui laissent s’infiltrer un système d’essence ploutocratique.

En réalité, seules la révision de ces normes et l’introduction de vrais garde-fous pour baisser au maximum les dépenses électorales, et peut-être même la prise en charge par l’État de quelques-unes de ces dépenses – telles que le transport des électeurs, sinon le vote électronique – permettraient de renouer avec les conditions d’une véritable égalité entre les candidats, pierre angulaire de la démocratie représentative. Il faut également rappeler qu’il n’y a pas d’accès égal des citoyens à la vie politique sans la présence de vraies institutions partisanes où ils sont formés, désignés par leurs pairs et où les institutions assument l’essentiel des dépenses. Ne sommes-nous pas bien loin de tout cela ?

Professeure de sciences politiques à l’Université Saint-Joseph et directrice de l’Observatoire de la fonction publique et de la bonne gouvernance


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commentaires (5)

Vous dites: « le système électoral proportionnel...demeure plus que jamais perverti par des normes qui laissent s’infiltrer un système d’essence ploutocratique! » J’aimerais vous citer Ernest Renan qui avait écrit dans son livre « l’avenir de la science » quelques années avant la révolution française sa fameuse définition de la ploutocratie: «c’est un état de société où la richesse est le nerf principal des choses, où l’on ne peut rien faire sans être riche, où l’objet principal de l’ambition est de devenir riche, où la capacité et la moralité s’evaluent généralement par la fortune ». Définition qui s’applique sur mesure à notre société Libanaise depuis des décennies on y ajoutant une oligarchie féodale et d’une bourgeoisie sur bases confessionnelles alliées au monde des finances et qui gèrent l’etat à leur guise... Nous parlons de démocratie au Liban? Arrêtons de nous gargariser de belles paroles; notre système est l’antithèse de celle-ci... Quelques essais de démocratisation ont été certes tentées, mais malheureusement, tous nos pseudos-partis politiques demeurent esclaves des riches et des bailleurs de fonds.. Et, ce n’est pas demain la veille, malheureusement!

Saliba Nouhad

23 h 14, le 18 mars 2018

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Commentaires (5)

  • Vous dites: « le système électoral proportionnel...demeure plus que jamais perverti par des normes qui laissent s’infiltrer un système d’essence ploutocratique! » J’aimerais vous citer Ernest Renan qui avait écrit dans son livre « l’avenir de la science » quelques années avant la révolution française sa fameuse définition de la ploutocratie: «c’est un état de société où la richesse est le nerf principal des choses, où l’on ne peut rien faire sans être riche, où l’objet principal de l’ambition est de devenir riche, où la capacité et la moralité s’evaluent généralement par la fortune ». Définition qui s’applique sur mesure à notre société Libanaise depuis des décennies on y ajoutant une oligarchie féodale et d’une bourgeoisie sur bases confessionnelles alliées au monde des finances et qui gèrent l’etat à leur guise... Nous parlons de démocratie au Liban? Arrêtons de nous gargariser de belles paroles; notre système est l’antithèse de celle-ci... Quelques essais de démocratisation ont été certes tentées, mais malheureusement, tous nos pseudos-partis politiques demeurent esclaves des riches et des bailleurs de fonds.. Et, ce n’est pas demain la veille, malheureusement!

    Saliba Nouhad

    23 h 14, le 18 mars 2018

  • L'ancien ministre et ancien député Farès Bouez vient de se retirer de la compétition électorale dans la circonscription du Kesrouan-Jbeil. En effet, Farès Bouez avait succédé à son père Nouhad qui avait accompli quatre législatures entre 1956 et 1972, n'a rien à faire dans une bataille où l'argent-roi remplace le patriotisme et le service public.

    Un Libanais

    14 h 49, le 18 mars 2018

  • Propos personnels. J'ai commencé à voter depuis 1951 pour dire je sais pourquoi j'écris ces propos. "Oum el-maarek" dans mon Kesrouan natal n'est qu'une mascarade et un bazar pour celui qui paye le plus. On prétend s'engager pour servir mais, au contraire, on s'engage pour se servir. Ils ont vu d'autres se servir alors ils se disent : "Pourquoi pas moi ?" L'Etat est riche des aides étrangères pour les "âmes basses". Quand aux mots : Patrie, Etat, service public... c'est pour le décor. C'est pourquoi je m'abstiens de voter afin de ne pas salir mon bulletin de vote.

    Un Libanais

    12 h 53, le 18 mars 2018

  • Un sujet très intéressant à soulever. Dommage que l'article soit un peu confus et très technique ce qui en limite la portée et la compréhension. Faut-il comprendre que l'auteure - par ailleurs brillante universitaire - suggère que l'élu(e) n'aura d'autre dessein que de récupérer sa mise alors que sa seule indemnité parlementaire n'y suffira pas? Par ailleurs, n'est-ce pas irréaliste d'envisager que la proportionnelle s'applique aussi aux coûts des encarts publicitaires des candidats? En outre, rien n'est dit au sujet du crowdfunding : la loi interdit-elle explicitement aux candidats de faire appel à la générosité du public par le biais de sites de levée de fonds pour financer leurs campagnes électorales? Enfin ce papier plaide pour de "vraies institutions partisanes" qui permettraient à des candidats lambdas d'émerger par exemple via des primaires. En France, un exemple parmi d'autres possibles, ce système a montré ses limites en provoquant une véritable hécatombe des partis au bénéfice de certains qui marchaient tout seuls (au moins au tout début).

    Marionet

    10 h 41, le 18 mars 2018

  • AUCUN NE SORT PERDANT ET ILS DEPENSENT DES MILLIONS ENTRE FRAIS ET ACHAT DE VOIX POUR SE FAIRE ELIRE TABLANT SUR LES LATTAS A VENIR... D,AILLEURS SOUVENT ILS ENTRENT MAIGRES ET PIEDS NUS ET EN 2/3 ANS ILS SONT GROS ET GRAS ET LES POCHES PLEINES A CRAQUER ! HAYDA LEBNEN !

    LA LIBRE EXPRESSION

    05 h 36, le 18 mars 2018

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