Se présenter aux législatives et mener campagne coûte cher, très cher même, et seuls les plus riches peuvent se permettre ce luxe, d’autant que les clauses de la loi sur les dépenses en matière de communication électorale ont introduit un flou artistique voulu.
Car si les frais de dépôt des candidatures, revus à la hausse avec le nouveau code électoral, restent relativement accessibles – 8 millions de livres libanaises au lieu de 2 millions en 2009 –, ce sont les dépenses en communication électorale qui sont exorbitantes, avec des « packages » qui atteignent les 250 000 dollars pour des apparitions télévisées, si l’on en croit le témoignage de plusieurs candidats qui se sont enquis des prix fixés.
Depuis quelque temps, des chiffres circulent en ville sur les coûts d’une campagne électorale arbitrairement fixés par certains médias (chaînes de télévision, radio et presse) qui pratiquent des prix qui peuvent toutefois être « négociables », comme le note un candidat témoin. Hier, c’est le journaliste et candidat aux législatives dans la circonscription de Kesrouan-Jbeil, Naufal Daou, qui a annoncé sur Twitter la liste des prix pratiqués par certains médias, ayant lui-même tenté de s’informer afin de lancer sa propre campagne.
On apprend ainsi que pour un « package radio » qui comprend une intervention du candidat dans le cadre d’un programme politique et quatre reportages dans le bulletin d’information, il faut compter 25 000 dollars. Pour ce qui est de la télévision, pour certaines chaînes, il faut ratisser bien plus large en prévoyant 250 000 dollars par candidat. Ce prix couvre trois reportages et deux programmes politiques portant explicitement sur les élections. Pour la somme de 100 000 dollars, on obtient une apparition unique dans un talk-show politique. Les moins fortunés peuvent cependant se rabattre sur les programmes de variété ou de divertissement, en comptant entre 15 000 et 50 000 dollars, selon les chaînes en question. Par ailleurs, le coût d’une campagne électorale produite par une société de publicité varie entre 100 000 et 200 000 dollars, sans compter les affiches sur panneau qui ont commencé à déferler sur les bords des autoroutes et dont le coût s’élève à 50 000 dollars par semaine.
« Au final, ces législatives sont-elles prévues pour élire des législateurs ou bien les hommes riches du pays ? » s’interroge M. Naufal, qui donne rendez-vous aux électeurs sur les médias sociaux pour promouvoir sa vision, « faute de moyens », dit-il.
Contactés par L’Orient-Le Jour, aussi bien la commission de supervision des élections que le ministère de l’Intérieur ont refusé de communiquer la liste des tarifs pratiqués par les médias qui pourtant leur a été remise, enfreignant ainsi la loi sur le droit d’accès à l’information.
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On fait avec les moyens du bord
Plusieurs autres candidats antiestablishment et peu connus du grand public affirment être tout aussi dépités que M. Naufal de ne pas pouvoir faire connaître leur programme électoral autrement qu’à travers les réseaux sociaux, ou « par d’autres moyens créatifs ».
Or non seulement la loi requiert une égalité de traitement pour ce qui est du temps d’antenne accordé à chaque candidat, en tenant compte des heures d’audience ou du type de programme en question – certains talk-shows ayant une plus grande audience que d’autres –, mais elle fait également une distinction entre « l’information électorale » et « la publicité électorale ».
Pour le député Boutros Harb, cette distinction n’est pas claire dans les textes. « La frontière entre la publicité et l’information est extrêmement floue. C’est voulu », commente le député sortant qui confirme au passage la somme de 250 000 dollars que font payer certaines chaînes de télévision. « Les conditions dans lesquelles se déroulent les élections sont sans aucun doute à l’avantage des riches et au détriment des moins riches », déplore M. Harb.
« Nous sommes en présence d’une violation grave de la loi », commente pour sa part Zeina Hélou, chercheuse dans le domaine des affaires publiques. Pour elle, les médias sont obligés de couvrir sans aucune contrepartie les activités des candidats, notamment leurs conférences de presse, en accordant la même chance à tout le monde.
L’aspect pernicieux de ces pratiques va encore plus loin et tranche avec l’obligation de transparence claironnée lors de l’adoption des réformes électorales.
(Lire aussi : Dépenses électorales : les conditions posées par la commission de supervision)
Expert au Centre européen pour l’appui aux élections, Saïd Sanadiki estime que la violation majeure réside dans le fait que les médias qui font payer les candidats pour une couverture ou une apparition télévisée ne préviennent pas les téléspectateurs par une mention en bas de l’écran expliquant clairement que tel programme par exemple a été payé par le candidat. D’où « une manipulation du citoyen qui n’est pas préalablement prévenu et qui croit qu’il s’agit d’un débat libre et spontané entre un journaliste et un candidat ». « C’est une question d’éthique journalistique », dit-il, en affirmant ne pas s’attendre à ce que la commission de supervision des élections relève ces violations dans son rapport final.
L’autre problème, notent les deux experts, Zeina Hélou et Saïd Sanadiki, est le plafond des dépenses électorales par candidat et par liste, revu à la hausse par le nouveau code électoral. Pour la seule circonscription de Chouf-Aley par exemple, le plafond peut atteindre la somme de 3 millions de dollars (100 000 dollars pour chaque candidat multipliés par 13 sièges, plus 100 000 dollars en dépenses pour l’ensemble de la liste, plus 3 dollars par nombre d’électeurs).
« Une somme excessive qu’il faudra multiplier par au moins quatre listes concurrentes, ce qui nous donne le chiffre de 12 millions de dollars en dépenses pour les campagnes électorales dans une seule circonscription. À titre comparatif, le coût total de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron était de 16,7 millions d’euros », conclut M. Sanadiki.
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commentaires (12)
Et une fois de plus l'électeur va se faire arnaquer par la mafia politique bien nantie. Les candidats "clean" et bien intentionnés se feront bouffer par l'establishment en état de putréfaction avancée.
Remy Martin
20 h 11, le 08 mars 2018