Relayant les propos du chef de l’État, Michel Aoun, qui avait évoqué il y a deux jours la relance des discussions sur la stratégie de défense nationale après les législatives en mai prochain, le Premier ministre, Saad Hariri, s’est clairement prononcé hier en faveur de cette suggestion, depuis Rome, où il participait à la conférence de soutien aux forces armées et de sécurité libanaises.
Dictée par les circonstances – la conférence de Rome qui sera suivie par une autre rencontre à Paris pour évoquer les aides économiques à apporter au Liban – mais aussi par les desiderata formulés à maintes reprises par la communauté internationale de voir l’État libanais recouvrer sa pleine souveraineté et le monopole de ses armes, les positions exprimées par MM. Hariri et Aoun restent, pour le moment, des vœux pieux tant que la principale partie concernée, c’est-à-dire le Hezbollah, ne s’est pas prononcée.
Or l’histoire récente démontre que toutes les fois que le parti chiite a été mis à l’épreuve ne serait-ce que pour discuter d’une telle stratégie, il s’en est subtilement dérobé, refusant tout débat dont la finalité serait son désarmement et la restitution de la décision de la guerre et de la paix à l’État central.
C’est ce qui s’est passé depuis pratiquement 2006, date de la première tentative de discussions autour des armes du parti, mais aussi à La Celle Saint-Cloud, en 2007, à Doha en 2008 et, par la suite, au cours du mandat du président Michel Sleiman qui a présenté un document dans lequel il a exposé sa vision de la stratégie de défense nationale.
L’idée, rappelle l’ancien chef de l’État, était de confier à l’armée la décision de défendre le Liban contre Israël tout en mettant à profit, pendant une période transitoire, les ressources et les capacités de la « résistance » au service de l’armée. « Cette formule devait perdurer jusqu’à ce que l’armée puisse complètement se passer du soutien de la résistance », souligne M. Sleiman. Résultat pratique : le Hezbollah s’est retiré de la table du dialogue tout aussi discrètement qu’il l’avait intégrée.
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D’ailleurs, souligne M. Sleiman, c’est à la même période que l’Arabie saoudite s’est manifestée avec la proposition de faire un don de 3 milliards de dollars à l’armée libanaise, une initiative qui devait consolider la récupération par l’État du monopole des armes. La suspension par Riyad de cette aide promise est survenue quelques années plus tard pour protester contre les prises de position hostiles à son égard inspirées par le Hezbollah.
Un scénario similaire pourrait-il se réitérer dans le sillage de Rome II, où les participants tablent quasi unanimement sur un engagement de la part de l’État libanais à œuvrer dans le sens d’une extension de son autorité sur l’ensemble de son territoire ?
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, présent à la conférence, l’a clairement rappelé hier en insistant notamment sur l’importance du renforcement de la présence de l’armée à la frontière avec Israël, parallèlement au renforcement des institutions de l’État.
Pour Nabil de Freige, membre du bloc du Futur, il est clair que la communauté internationale n’est disposée à aider le Liban que si elle perçoit « une volonté claire de remédier à la question des armes illégales par le biais de la relance des discussions sur la stratégie de défense ». « Celle-ci est incontournable à condition bien sûr qu’elle ne se transforme, une fois de plus, en un dialogue de sourds », dit-il.
(Lire aussi : Le Hezbollah peut-il accepter avec Aoun ce qu’il avait refusé à Sleiman ?)
Le problème, poursuit le député, est que « la décision n’est pas entre les mains du Hezbollah, mais de l’Iran, qui lui fournit son arsenal. La balle est certainement dans le camp iranien ». M. Sleiman est du même avis et doute fort que le moindre sou soit versé si, dans l’intervalle, le Liban officiel n’a pas défini une vision d’avenir.
Dans les milieux du Hezbollah, on préfère s’abstenir de commenter la double déclaration de MM. Hariri et Aoun sur la stratégie de défense. « C’est prématuré d’en parler à ce stade. Il faudra voir d’abord ce que le chef de l’État entend par stratégie de défense », commente une source proche du parti qui affirme avoir eu connaissance de cette initiative par « voie de médias ». Interrogée, une autre source issue des mêmes milieux précise que le parti « n’a aucun problème de principe avec l’idée d’un dialogue sur la stratégie de défense à condition qu’elle ne soit pas un moyen visant à désarmer la résistance ».
Pour l’heure, le chef de l’État, bien que déterminé à ressusciter ce type de débat, ne semble pas avoir un plan précis quant au mécanisme à prévoir pour lancer une telle initiative. Celle-ci pourrait avoir lieu en Conseil des ministres, entre les chefs de file, ou dans le cadre d’une table de dialogue, note une source proche de Baabda.
Une chose semble certaine : M. Aoun ne pourra lancer cette dynamique que s’il parvient au préalable à susciter une entente nationale sur la question, comme le relève notre correspondante Hoda Chédid. Entendre qu’il doit d’abord convaincre le Hezbollah s’il ne veut pas approfondir un peu plus encore le fossé qui ne fait que s’élargir entre les deux parties depuis un certain temps. Depuis que le chef du CPL, Gebran Bassil, a clairement fait entendre que « le Hezbollah a failli à l’application de la clause relative à la construction de l’État prévue par l’accord d’entente ( conclu entre les deux formations ) pour des raisons stratégiques ».
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La stratégie de défense, comme la conçoit le Hezbollah: "...à condition qu'elle ne soit pas un moyen visant à désarmer la résistance...", c'est clair et net ! Alors pourquoi un éventuel dialogue sur cette stratégie de défense avec ce parti pro-iranien qui laissera trainer en longueur les dialogues comme d'habitude jusqu'au prochain prétexte qui annulera tout ? Responsables libanais, comment supportez- vous d'être ainsi menés par le bout du nez et ridiculisés par des représentants et serviteurs officiellement déclarés de l'Iran sur votre sol ? Irène Saïd
15 h 55, le 16 mars 2018