Vous ne pouvez réaliser vos objectifs que si vous rêvez. Il l’a dit, il le fait. Ou du moins, il s’y emploie, avec toutes les énergies possibles et imaginables.
Recep Tayyip Erdogan a toujours beaucoup rêvé. Enfant, il rêvait de sortir définitivement de ce boui-boui dans lequel il vivait avec sa famille et qu’il appelait maison, aux antipodes du Cumhurbaşkanlığı Sarayı, ce palais présidentiel de 200 000 mètres carrés, plus Taj Mahal que Maison-Blanche, qu’il a inauguré en très grande pompe en 2014. Adolescent, quand il jouait au football en cachette de son père, entre deux ventes à la criée de petits pains dans les rues d’Istanbul, il rêvait de devenir un Pelé méditerranéen. Jeune homme et jeune maire, quand il s’est fait emprisonner pour antimilitarisme carabiné (il déclamait, littéralement : Les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats…), il rêvait de dékémaliser son pays, en profondeur, kilomètre carré par kilomètre carré. Premier ministre omniprésent, véritable prédicateur en cravate, entre treize discours à la douzaine sur l’islam qui ont dû faire rougir de plaisir ses professeurs de l’imam hatip de sa jeunesse, il rêvait de métamorphoses, devenir Grand Mamamouchi, Soliman II l’hypermagnifique. Président de la République turque depuis 2014, il a arrêté de rêver. La réalité est devenue un tantinet plus compliquée : M. Erdogan se bat pratiquement sur tous les fronts.
Il se bat à Afrine d’abord : ce serait, avec Nicosie et Khartoum, toutes proportions gardées naturellement, la tête de pont de la reconstruction d’une Sublime-Porte 2.0. Le kurdophobe président turc a beau jurer ses grands dieux, notamment à Emmanuel Macron, qu’il « ne convoite pas le territoire d’un autre pays », il y a peu de chances que les forces turques quittent de sitôt la Syrie, surtout que c’est Bachar el-
Assad qui « doit partir à un moment donné ». Il se bat contre les Américains, avec en toile de fond cette troublante fascination-répulsion qu’il ressent face à Donald Trump. Borderline poujadiste, M. Erdogan joue l’ultranationalisme, en l’occurrence l’antiaméricanisme, et son peuple, pourtant divisé, a l’air de le suivre. Il se bat contre l’Union européenne : le minisommet de Varna le 26 mai, qu’il a exigé, sera l’occasion pour lui de (re)sortir, vainement en principe, toute la panoplie du guerrier : ce sera « l’adhésion ou rien ». Il se bat contre l’Allemagne, où sa détermination féroce à gérer et télécommander l’immense diaspora turque installée aux quatre coins du pays risque de très mal finir – comme cela a été le cas avec les Pays-Bas, par exemple. Il se bat contre l’Égypte et l’Arabie saoudite, à des étages et des niveaux différents, mû par cette urgence qui l’habite depuis toujours de revêtir la abaya du leader sunnite absolu (Rafic Hariri continue de sourire…). Il se bat contre l’Iran, c’est dans ses gènes, malgré tout le pragmatisme du monde qui oblige les deux pays, pour l’instant, à de nombreux compromis, voire à de nombreuses compromissions. Il se bat contre ses aïeux, contre l’histoire et la géographie, en refusant obstinément de reconnaître le génocide arménien de 1915/1916 ; il se bat contre une très grande partie de l’opinion publique, toujours convaincue de sa « christianophobie institutionnelle », malgré son tonitruant passage au Vatican le 6 février, ange de la paix à la main, comme un trophée conquis aux croisés. Il se bat contre la Russie, armé de sa méfiance atavique de l’orthodoxie sous toutes ses coutures, et de ce Poutine, décidément trop çok fazla à son goût : l’ours russe peut être, à certains moments, assez utile, mais il reste profondément glouton.
Il se bat enfin, surtout, contre l’ADN de la Turquie elle-même, contre l’ADN d’Istanbul, traits d’union entre deux univers, en pleins chocs sismiques de ce que l’on appelle encore des cultures… Fondamentalement liberticide, Recep Tayyip Erdogan est perdu entre son être et son paraître, ce qu’il est réellement et ce qu’il voudrait bien montrer : « L’islam est une religion. Ce n’est pas une idéologie. Pour un musulman, être contre la modernité n’existe pas. Pourquoi un musulman ne peut-il pas être moderne ? Moi, en tant que musulman, je remplis tous les préceptes de ma religion, et je vis dans un État social démocratique. » Il y a là tous les matériaux d’une bipolarité profonde.
Rien, absolument rien ne dit à ce jour que M. Erdogan puisse gagner ses batailles. Rien non plus ne (dé)montre clairement qu’il va les perdre. Mais à force de tellement gigoter dans tous les sens, à force de vouloir réécrire l’histoire en dénaturant à tour de bras, le président turc risque grandement de perdre la seule arme (et celle-là est massive) que sa Turquie a effectivement fabriquée : son peuple.
Tête de Turc
OLJ / Par Ziyad MAKHOUL, le 19 février 2018 à 00h54
commentaires (5)
Il est là son problème! Ignare, misérable et haineux, dirige en main de "dictateur" 80 millions ....d'habitants...dont plus de 30 millions de kurdes, d'alaouis, et autres qui attendent leur délivrance. Il rêve de l'ottomanie, cet empire mort il y a plus dun siècle...et de tas de choses encore! La fin sera tragique ...sûrement
Sarkis Serge Tateossian
02 h 25, le 20 février 2018