Le pays tout entier, et 178 officiers et leurs familles assistent, médusés, à l'un des épisodes les plus funambulesques de la vie politique libanaise : la controverse sur leur décret de promotion, que le général Michel Aoun a promulgué, mais que par prudence le Premier ministre, qui l'a également signé, s'est abstenu de faire publier au Journal officiel pour ne pas froisser le président de la Chambre, Nabih Berry. Ce dernier considère que la procédure suivie est irrégulière et que le décret doit être également contresigné par le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, qui relève de son camp. Ce que conteste absolument le chef de l'État.
Alors qu'on croyait que la controverse retombait, M. Berry a procédé au cours des dernières 48 heures à une nouvelle escalade verbale, allant jusqu'à accuser le chef de l'État de porter atteinte à l'accord de Taëf.
De son côté, soucieux de ne pas laisser les choses s'envenimer, le président Aoun avait fait savoir sur son tweet personnel qu'à Baabda, « une seule source exprime l'opinion du chef de l'État, à savoir son bureau de presse ».
« Personne n'a l'intention de porter atteinte à l'accord de Taëf, a affirmé hier une source ministérielle autorisée citée par notre correspondante, Hodad Chedid, et l'on n'a fait que suivre une procédure de routine. Il est faux de prétendre que la procédure suivie pave la voie à un nouvel examen de l'accord de Taëf. Si telle était la volonté du président, les moyens ne lui auraient pas manqué de le faire, puisqu'il est de son droit de réclamer des amendements constitutionnels. Mais la chose ne lui est même pas venue à l'esprit. Par contre, ce qui constituerait un réexamen de l'accord de Taëf serait qu'on lui force la main et que l'on consacre le principe de la "troisième signature". Du reste, nulle part dans le discours d'investiture le chef de l'État n'a exprimé son intention de réviser l'accord de Taëf. »
« Tout se passe comme si l'on cherchait à transposer la question d'un conflit d'interprétation de la loi en un conflit politique », souligne encore la source citée.
« Si la bonne volonté y est, un règlement est toujours possible, ajoutent d'autres sources ministérielles. Sinon, la crise peut s'éterniser. Il vaut donc mieux chercher une voie de sortie et la ramener à sa véritable nature, ce que M. Berry lui-même a cherché à faire, dans une première phase, quand il a déclaré s'en remettre au bon sens et à la sagesse du chef de l'État.
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Se prévalant de ces vertus, ce dernier avait affirmé que de tels décrets de promotion doivent être uniquement signés par le ministre concerné, à savoir le ministre de la Défense, puisqu'ils n'engagent pas immédiatement les finances publiques.
Et la source d'assurer que le conflit d'interprétation de la Constitution doit être tranché par les instances compétentes et que le chef de l'État est prêt à se plier à la décision que ces instances prendront, ce que M. Berry devrait faire également.
Relevons à ce stade que la médiation que le Premier ministre a engagée entre les deux hommes, qui prévoyait que le ministre des Finances contresigne le décret au cours d'une rencontre discrète, jeudi dernier au bureau de M. Hariri, a échoué.
Certes, la crise ne s'est pas encore répercutée sur la présence des ministres du mouvement Amal au sein du gouvernement, et M. Khalil continue de sourire affablement au président Aoun et de lui présenter ses vœux pour les fêtes, mais la fermeté de Baabda a suscité une fermeté égale du côté de M. Berry. Ce dernier assure que, les choses étant ce qu'elles sont, il faudra attendre que le portefeuille des Finances change de main pour que la crise soit réglée, ce qui revient à dire que la crise se prolongera au moins jusqu'aux prochaines législatives (6 mai).
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En ce qui concerne l'instance d'arbitrage susceptible de régler ce conflit, on précise de source proche de M. Berry que c'est au Parlement que revient le pouvoir d'interpréter la Constitution.
« Comment un Parlement présidé par M. Berry peut-il être juge et partie à la fois, dans un conflit où le président de la Chambre est partie prenante ? » s'interroge-t-on en face.
Pour un observateur de la scène politique, le conflit de prérogatives reflète vraiment un conflit politique propre à cette étape de la vie nationale. Le pays n'est pas gouverné par des textes de loi ou même par la Constitution, mais par le consensus. Le ministère des Finances est en ce moment l'unique garantie de participation de la communauté chiite, au sein d'un gouvernement dominé par une entente entre les communautés chrétiennes et sunnites. D'ailleurs, le chef de l'État s'est conduit exactement de la même façon, paralysant la vie politique deux ans et demi durant, parce qu'il considérait que c'est au chrétien fort qu'il revenait d'être élu président de la République.
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commentaires (8)
Ils ont, tous les deux, enfreint la constitution, en particulier ces 10 dernières années, sans sourciller et sans scrupules autres que leurs intérêts personnels. Votez FL aux prochaines élections ainsi qu'aux nouveau partis d'oppositions Chiite et sunnite. C'est la seule chance de faire changer les choses et assurer l'avenir du Liban dans la paix et la prospérité.
Pierre Hadjigeorgiou
10 h 20, le 08 janvier 2018