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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Les Kurdes syriens dans le viseur du régime

Le PYD cherche à améliorer ses relations avec les Américains tout en se rapprochant des Russes.

Des membres des forces kurdes à la frontière turco-syrienne. Rodi Said/Reuters

Bachar el-Assad le répète à qui veut bien l'entendre depuis le début du conflit : il a la ferme intention de reconquérir l'ensemble du territoire syrien et de mater tous les mouvements qui ne se soumettent pas à l'autorité de l'État. Après avoir défait les rebelles à Alep et repris une grande partie de la province de Deir ez-Zor, grâce à ses alliés russes et iraniens, le président syrien lorgne désormais sur les territoires dominés par les Kurdes, notamment à l'est de cette même province.

Pour la première fois depuis le début du conflit, Bachar el-Assad a violemment attaqué les milices kurdes lundi en les qualifiant de « traîtres ». « Lorsqu'on parle de ceux qu'on appelle "les Kurdes", ce ne sont pas juste des Kurdes. Tous ceux qui travaillent pour le compte d'un pays étranger, notamment sous commandement américain, sont des traîtres », a dit M. Assad dont les propos ont été diffusés par la présidence sur les réseaux sociaux.

Soutenues par les Américains, les milices kurdes ont vaincu l'EI à Raqqa, ainsi qu'à l'est de la province de Deir ez-Zor, ce qui leur a permis de mettre la main sur d'importantes réserves de ressources naturelles autrefois sous contrôle du régime, à l'instar du champ pétrolier d'al-Omar, le plus important gisement du pays. Le régime a besoin de ces champs pétroliers pour relancer l'économie du pays, plombée par plus de six ans de guerre. Il voit également d'un très mauvais œil la présence des forces américaines, en soutien aux Kurdes dans l'est du pays, d'autant plus que ces dernières n'ont a priori pas l'intention de quitter la Syrie dans l'immédiat.

 

(Lire aussi : Assad qualifie de « traîtres » les milices kurdes soutenues par Washington)

 

« Notre armée est capable de se défendre »
Alors que la bataille contre l'État islamique (EI) prend fin, les risques de confrontation entre les deux gagnants de la guerre contre l'EI semblent aujourd'hui plus importants. Nasrine Abdullah, porte-parole des brigades féminines des Unités de protection du peuple (YPG), une organisation armée kurde représentant le principal contingent des Forces démocratiques syriennes (FDS), qui ont repris Raqqa au groupe État islamique avec le soutien de la coalition internationale menée par Washington, décrit comme « probable » une confrontation avec Bachar el-Assad. « Nous pensons néanmoins que le régime sait que ce n'est pas dans son intérêt de nous combattre. Notre armée, qui a réussi à défaire le groupe État islamique, est capable de se défendre », prévient Nasrine Abdullah. Alors qu'ils ont adopté une position de relative neutralité depuis le début du conflit syrien, coopérant même avec le régime à plusieurs reprises, les Kurdes cherchent désormais à rentabiliser politiquement leur implication dans la lutte contre l'EI en réclamant davantage d'autonomie dans les territoires qu'ils dominent. « La question d'une forme d'autonomie est négociable et peut faire l'objet d'un dialogue », avait déclaré le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moallem, le 26 septembre dernier.

Mais en baassiste convaincu, Bachar el-Assad ne semble pas prêt à faire beaucoup de concessions sur ce sujet. Sihanok Dibo, conseiller politique au Parti de l'union démocratique (PYD), en poste à Qamichli, chef-lieu du Rojava, la région kurde de Syrie, croit néanmoins que des négociations sont possibles. « Depuis le début de la crise syrienne, nous estimons que le régime est le problème, mais qu'il fait aussi partie de la solution, estime-t-il. Surtout pour la phase post-État islamique. » Il concède que le PYD n'a d'autre choix que de faire preuve de pragmatisme et suggère qu'ils pourront s'accommoder du régime à condition que celui-ci accepte l'implémentation d'une forme de gouvernance décentralisée, officialisant ainsi l'autonomie de facto que les Kurdes ont acquise depuis que Bachar el-Assad a retiré ses troupes du Rojava en 2011. Après des décennies d'oppression, ils ont profité depuis 2011 du chaos syrien pour multiplier leurs acquis, allant jusqu'à proclamer en 2016 une « région fédérale » où ils organisent leurs propres élections locales. Symbole sans doute de l'entente dite tacite entre Kurdes et régime – du moins jusqu'à présent –, le bureau de M. Dibo se situe à équidistance d'un portrait de Abdullah « Apo » Öcalan, leader du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), dont émane le PYD, et d'une statue de Hafez el-Assad, père et prédécesseur de l'actuel président syrien.

 

(Lire aussi : Chez les Kurdes de Syrie, la peur d'être lâchés par Washington)

 

« Nous pouvons travailler avec les deux »
Comme en Irak, la question kurde syrienne a toutefois déjà pris une dimension régionale et internationale. Alors que les Kurdes d'Irak ont manqué d'alliés au moment où Bagdad a décidé de mettre fin à leurs velléités d'indépendance, leurs voisins syriens ne veulent clairement pas se retrouver dans la même situation. « Notre principal allié, ce sont les États-Unis. Mais ce n'est pas une erreur d'entretenir en même temps des contacts avec la Russie. La solution n'est pas complexe : nous pouvons travailler avec les deux », souligne M. Dibo. À Deir ez-Zor, les Russes ont ainsi soutenu l'armée syrienne du côté occidental de l'Euphrate tout en faisant équipe avec les Kurdes du côté est du fleuve. Début décembre, suite à la prise de la localité d'al-Salihiyah au groupe État islamique, les FDS avaient alors tenu une conférence de presse conjointe avec le général russe Yevgeny Poplavsky. Entretenant de vieilles relations avec les Kurdes syriens, Moscou cherche à trouver un modus vivendi avec eux, et les a invités à plusieurs reprises à participer aux négociations de paix.

La Russie souhaite désormais les inviter à participer à son Congrès du dialogue national syrien à Sotchi, qui devrait se dérouler les 29 et 30 janvier 2018. Si les Kurdes ont confirmé jeudi à Reuters leur intention de se rendre à Sotchi, la liste finale des participants n'a pas encore été rendue publique. Et pour cause : la Turquie, qui considère le PYD comme la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), avec qui elle est en guerre depuis trente ans, s'oppose pour l'instant à la présence des Kurdes. Ankara a fait de la lutte contre la formation d'un Kurdistan indépendant à sa frontière sud sa priorité en Syrie. Les Kurdes ont notamment peur que Washington ne décide de les lâcher, maintenant que la lutte contre l'EI est terminée, pour améliorer ses relations avec la Turquie, son alliée au sein de l'OTAN.

« Nous avons toujours pu compter que sur nous-mêmes, même avant l'arrivée des Américains », note Nasrine Abdullah. Mais les Kurdes n'ont clairement pas les moyens de résister à une double offensive, du régime et de la Turquie, et ont tout intérêt à préserver leurs relations avec les Américains tout en se rapprochant des Russes. Sihanok Dibo ouvre son carnet de notes et trace une ligne bleue à travers l'une des pages pour représenter l'Euphrate, qui traverse la Syrie du Nord au Sud. « Nous pouvons étendre nos contacts avec la Russie à l'ouest du fleuve, explique-t-il. Tout en renforçant notre partenariat avec les États-Unis à l'Est », dit-il. Si leur relation naissante avec la Russie a jusqu'ici pris la forme d'un soutien militaire sur le champ de bataille contre l'EI, un rapprochement avec le Kremlin, principal soutien de Bachar el-Assad, pourrait surtout les protéger de toute éventuelle offensive de ce dernier. « Le régime syrien n'est pas assez puissant pour attaquer les FDS seul. Il aurait besoin du soutien de la Russie, or je ne pense pas que Moscou accepterait cela », conclut M. Dibo.

 

 

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commentaires (2)

LES KURDES SYRIENS VONT AVOIR L,AUTONOMIE OU LA PARTICIPATION AU NOUVEAU GOUVERNEMENT AVEC DES DROITS ACQUIS !

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 03, le 23 décembre 2017

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Commentaires (2)

  • LES KURDES SYRIENS VONT AVOIR L,AUTONOMIE OU LA PARTICIPATION AU NOUVEAU GOUVERNEMENT AVEC DES DROITS ACQUIS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 03, le 23 décembre 2017

  • Les kurdes sont haïs par tous.... Les Turcs en premier, puis presque avec la même férocité, les iraniens, les irakiens, les syriens.... Seulement voilà, ce peuple mérite une patrie autant que les quatre peuples cités...et ils habitent la région depuis des siècles .... Ces quatre pays qui se veulent des musulmans pieux, et solidaires avec la Palestine mais aussi avec le monde musulman en général.... Soudain ils perdent toute notion de solidarité et même le moindre respect quand il s'agit des kurdes ..? Une curieuse manière de regarder le monde dans le quel vivent les dirigeantes de ces quatre pays!(dans une bulle) Enfin concernant la Syrie .... Les intérêts russes s'arrêtent a la porte du Kurdistan ! Le temps dira la suite.

    Sarkis Serge Tateossian

    02 h 00, le 23 décembre 2017

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