Sans surprise, la nouvelle des dizaines d'arrestations de dignitaires pour corruption, samedi soir en Arabie saoudite, d'abord relayée par la chaîne saoudienne al-Arabiya, a fait l'effet d'une bombe parmi les Saoudiens. Non seulement parce que les personnes arrêtées sont entre autres des princes et des ministres en exercice, mais parce qu'il s'agit d'une purge sans précédent visant des personnalités particulièrement influentes. Entre autres, al-Walid ben Talal, particulièrement investi dans les nouvelles technologies, dont Twitter.
Depuis, une vidéo datant du mois de mai dans laquelle le prince héritier Mohammad ben Salmane (MBS) affirme que toute personne coupable de corruption sera punie, quel que soit son rang, est devenue virale. Et les hashtags, en arabe et en anglais, se multiplient : « Salmane youhareb al fassad » (Salmane combat la corruption), « Thawrat 4 november » (la révolution du 4 novembre), « mouhebbou mohammed ben salmane » (partisans de MBS), « thawra mokhmaliya » (révolution de velours)... Repris des milliers de fois, ces mots-dièses sont encore très actifs aujourd'hui. Rien de surprenant : près des deux tiers de la population saoudienne ont moins de trente ans, prisent les plates-formes virtuelles, et plus de 90 % sont actifs sur au moins l'une d'entre elles. Dans les heures qui ont suivi l'annonce d'al-Arabiya samedi soir, sans détails ni confirmation officielle, ce sont les internautes qui, les premiers, ont donné les noms de ceux qui auraient été placés en détention. C'est également la twittosphère qui a révélé leur lieu de détention supposé, à savoir le Ritz Carlton de Riyad, vidé en urgence samedi après-midi mais affichant complet dimanche. Une vidéo de quelques secondes circule d'ailleurs depuis hier, montrant des matelas et des couvertures à même le sol dans l'une des salles de bal de l'hôtel, détonnant avec le luxe inouï des lieux. Les spéculations vont bon train depuis, et de nombreux internautes veulent y voir la preuve de détention des dignitaires détenus depuis samedi.
Mais si de nombreuses critiques ont émergé sur la toile ces derniers jours, la plupart ne semblent pas venir de Saoudiens, mais de ressortissants étrangers, du monde arabe ou autre. La peur d'être arrêté ou d'une sanction quelconque ne suffit pas à elle seule à expliquer ce silence, bien que des dizaines d'arrestations ou de disparitions de dignitaires religieux ou de princes s'opposant à certaines décisions royales aient eu lieu ces dernières semaines. La grande majorité des tweets et « memes » partagés sur Twitter, dont des références à la série culte Game of Thrones, exprimaient soulagement, joie, allégresse même. La série de réformes socio-économiques récentes, bénéficiant principalement aux jeunes et tournées vers l'avenir, annonce une nouvelle ère dans le royaume, fortement affaibli sur le plan économique, notamment par la chute des cours du pétrole, et miné par le chômage. L'utilisation des réseaux sociaux et des nouvelles technologies, ainsi que la – lente – progression de la langue arabe sur internet, permet ces développements, malgré la censure généralisée et l'absence de libertés individuelles.
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