La situation dans laquelle se trouve aujourd'hui le Liban rappelle, par certains aspects, celle de 1975 à la veille du déclenchement de la guerre civile. Deux blocs antagonistes s'étaient alors constitués, l'un s'alliant aux étrangers, en l'occurrence aux Palestiniens, dans le but inavoué de renverser le système politique libanais et l'autre s'accrochant à ses acquis, déterminé quel qu'en soit le prix à défendre son territoire face à des réfugiés palestiniens armés jusqu'aux dents et introduits au Liban dans le sombre dessein de les y implanter par la force en remplacement de ses occupants originaux. Nous connaissons tous la suite de l'histoire.
Aujourd'hui, nous sommes confrontés à une équation quelque peu similaire. Nous sommes face à deux blocs antagonistes, l'un ayant toléré, encouragé et facilité l'entrée sur notre territoire d'un nombre considérable de réfugiés syriens et l'autre s'y opposant fermement, mais incapable de contrer à lui seul le flux des arrivants. Nous nous approchons aujourd'hui, selon certaines sources, du chiffre de deux millions de réfugiés syriens, soit presque la moitié du nombre de Libanais résidents. Il commence à être clair que nous ne pourrons pas compter sur la communauté internationale pour protéger les intérêts du Liban. Le président Macron vient de le confirmer en déclarant que la France ne soutiendra aucun « retour subi » de réfugiés syriens. Il répondait en cela indirectement au président Michel Aoun qui avait estimé, à juste titre, que l'aide de l'ONU devait désormais servir à organiser le retour des réfugiés syriens et non à les « maintenir dans des camps de misère » au Liban.
Le problème des réfugiés syriens est en train de s'aggraver à une vitesse effarante sur tous les plans, économique, social, environnemental, sécuritaire et autres. L'idéal serait que les deux blocs se réunissent et parviennent à une solution commune du problème dans l'intérêt supérieur de notre pays. Mais cela ne semble pas être pour demain. En effet, l'un des blocs semble subir des pressions accrues provenant de pays arabes soucieux de protéger leur influence traditionnelle au Liban, des pressions destinées à maintenir les réfugiés sur notre sol, peut-être dans le but non déclaré de se servir de cette population étrangère comme d'une force de dissuasion face à une milice libanaise armée, de confession différente, aux allégeances bien connues et vivement contestées au sein même de sa propre communauté. Pourtant, pareille attitude est contraire aux intérêts de notre pays, car cette milice armée, quelle que soit la gravité des reproches que l'on puisse lui adresser, est tout de même une force composée de citoyens libanais. Il serait inadmissible de réitérer l'erreur impardonnable de 1975 en tolérant une alliance avec des étrangers pour contrebalancer l'influence de cette milice libanaise insoumise à l'État libanais et paradoxalement membre de son gouvernement. Il serait, d'ailleurs, nécessaire que cette milice fasse le plus vite son autocritique, révise ses positions et rentre au bercail, mais surtout ne nous allions pas à des étrangers pour tenter de la contrecarrer !
Retour sécurisé
Mais alors, que penser du dialogue prohibé avec le président Assad ? Cette prohibition serait-elle un prétexte pour le maintien de la force de dissuasion étrangère sur notre sol en attendant que la puissante milice du Hezbollah soit défaite, d'une manière ou d'une autre, ou qu'elle revienne à la raison ? Maintenant qu'il est devenu évident et notoire que la communauté internationale, ONU et organisations humanitaires comprises, n'agit pas et n'agira pas dans l'intérêt de notre pays, comment peut-on dès lors envisager un retour sécurisé de deux millions de réfugiés syriens chez eux, avec toute la logistique que cela suppose, en l'absence de dialogue avec le régime de Damas, principal concerné par le dossier ? Continuerons-nous à compter sur cette communauté internationale frigide et pas toujours bien intentionnée à notre égard malgré les prises de position peu encourageantes de ses représentants ? Attendrons-nous que la population de réfugiés atteigne et dépasse la population libanaise et que les crimes et délits avec leur lot de victimes innocentes se chiffrent par dizaines de milliers pour agir ? Attendrons-nous que la situation se dégrade dangereusement et que la population libanaise exaspérée, poussée dans ses derniers retranchements, se soulève et dans un geste ultime de désespoir et avec une charge de colère irrépressible n'en arrive à des actes de violence incontrôlés ? Attendrons-nous que le Hezbollah, face à la vacuité décisionnelle et à la gravité de la situation, prenne l'initiative et décide de manière unilatérale des actions à entreprendre ? Attendrons-nous que le verdict tombe indiquant que nous sommes tenus d'implanter tout ce beau monde en conséquence du redécoupage de la région et de la redistribution des populations et des ressources, ce qui signifierait l'expatriation immédiate et massive des Libanais ou le déclenchement d'une nouvelle guerre civile ?
La solution serait alors, avant qu'il ne soit trop tard, de complètement dépolitiser le problème des réfugiés et de ne plus le regarder qu'à travers le prisme unique de l'intérêt exclusif du Liban et surtout de nous dégager des emprises extérieures dévastatrices en vue d'aboutir à une vision commune des remèdes à apporter. Les idées ne manquent pas sur ce plan et il est grand temps de commencer à les explorer tout en veillant à sauvegarder l'aspect humain inhérent à tout règlement durable de la question.
Il est urgent que nous prenions en main notre destin avant que les événements ne décident impitoyablement de notre sort, que le jeu cynique des nations ne vienne laminer ce qui nous reste d'autonomie, que les intérêts des grandes puissances ne nous réduisent à un statut de laquais incapables de s'autodéterminer et que les faiseurs de rois, lassés de nos contradictions, ne nous traitent en résidus de l'histoire. Nous l'aurions alors, par notre inconscience coupable et notre inaction fautive, peut-être mérité !
Marie-Claude HÉLOU SAADÉ
Docteur d'État en droit des affaires de l'université de Paris I
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Le souverainisme est, selon le dictionnaire, «un mouvement ou une doctrine politique qui défend la souveraineté des nations en Europe. Il s'agit d'un mouvement récent lié à la construction de l'Union européenne. Les souverainistes militent pour une Europe confédérale, "l'Europe des Nations", où l'autonomie politique des nations est préservée et respectée. Ils s'opposent en cela aux partisans du fédéralisme européen et du "Jacobinisme" de Bruxelles». Un souverainiste, selon le Larousse, est un partisan d'une Europe constituée de nations souveraines et au Québec, un partisan de l'accession de la province au statut d'État souverain (Province du Québec). On est donc bien loin du sens généralement accordé, à tort, à ce terme au Liban où « souverainisme » est assimilé à certaines orientations politiques bien arrêtées que cet article a d’ailleurs clairement partagées, quoique les moyens pour les réaliser puissent parfois différer. Ceci pour corriger l’erreur de terminologie sur laquelle certains s’appuient pour fonder leur raisonnement. Il ne faut pas confondre «la souveraineté nationale» consacrée par l’article 1er de la Constitution et que nul n’a le droit de contester qui n’est ni un label de production, ni une appellation contrôlée, ni un brevet d’industrie possédé par quiconque et le « souverainisme », terme souvent galvaudé dans notre pays.
Citoyen volé
15 h 00, le 25 octobre 2017