Le Conseil constitutionnel a décidé à l'unanimité, hier, d'invalider la loi (n° 45) de financement de la revalorisation de la grille des salaires de la fonction publique. Le texte incluait une vingtaine de mesures fiscales, comme la hausse de la TVA (de 10 % à 11 %), de l'impôt sur les bénéfices de sociétés de capitaux (de 15 à 17 %), ou de la taxe sur les taux d'intérêt (de 5 à 7 %). Entrées en vigueur le 21 août, ces mesures avaient été suspendues dix jours plus tard par le Conseil constitutionnel, saisi par dix députés à l'initiative du parti Kataëb.
Dans sa décision, le Conseil a relevé quatre violations de la Loi fondamentale. Il affirme d'abord que l'article 36 de la Constitution, qui impose aux députés d'annoncer publiquement leur vote lors de la séance plénière, n'a pas été respecté. Il souligne ensuite que « la loi a été promulguée en l'absence et en dehors d'un budget national, contrevenant au principe d'universalité consacré dans l'article 83 de la Constitution » et que les mesures fiscales auraient dû être incluses dans la loi de finance. « Le budget autorise l'État à lever l'impôt et à engager des dépenses. L'État ne peut donc pas instaurer de nouvelles taxes sans budget », explique une source proche du dossier, ayant requis l'anonymat. Le Conseil rappelle à ce sujet que l'absence de budget (depuis 2005) et l'absence de comptes de clôture (depuis 1993) représentent des violations patentes de la Constitution.
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Implications majeures
Il dénonce également une disposition qui visait les professions libérales et qui ne respecte pas, selon lui, le principe d'égalité devant l'impôt. La loi obligeait en effet les professions libérales à inclure leurs revenus financiers, déjà soumis à l'impôt sur les capitaux mobiliers, dans la base de calcul de leur revenu professionnel soumis à l'impôt progressif.
Le même raisonnement devrait en principe s'appliquer aux banques, qui peuvent depuis 2003 déduire le montant de l'impôt sur les capitaux mobiliers, payé à la source, du montant de l'impôt sur les bénéfices. Mais selon l'avocat fiscaliste Karim Daher, la formulation de la décision semble plutôt indiquer que le Conseil n'estime pas que la mesure fiscale concernant les banques viole le principe d'égalité devant l'impôt. Cette mesure imposait à toutes les sociétés de capitaux financières ou commerciales soumises au régime du bénéfice réel de considérer cet impôt comme une charge et de le déduire de leurs revenus, qui devaient ensuite être imposés. Le Conseil constitutionnel critique enfin le manque de clarté au niveau de l'amende imposée sur l'exploitation illégale des biens-fonds maritimes. « Le texte ouvrait la porte à une application discrétionnaire qui aurait porté atteinte au principe d'égalité des citoyens devant la justice », a encore confirmé Me Daher.
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Il reste que cette décision très attendue du Conseil constitutionnel va avoir des implications majeures. La loi de revalorisation de la grille des salaires étant toujours en vigueur, l'État devra trouver d'autres moyens pour couvrir les dépenses supplémentaires occasionnées, estimées à plus de 800 millions de dollars par an. Il pourra y parvenir en tentant de réduire ses dépenses ou en faisant voter de nouvelles taxes, ce qui lui sera toutefois impossible de faire en principe avant de voter un budget. Le gouvernement pourrait également inclure la plupart des mesures fiscales de la loi n° 45 dans la loi de finance 2017 qui n'a toujours pas été votée, les comptes de clôture des années précédentes n'ayant toujours pas été finalisés. Une autre option consisterait à les reporter sur le budget 2018, qui n'a pas encore été examiné par le Conseil des ministres, mais qui selon la Constitution devrait être voté avant le 31 décembre prochain.
Quel que soit le scénario envisagé, les dispositions relatives aux professions libérales, aux banques et aux biens-fonds maritimes, pointées du doigt par le Conseil constitutionnel, devront toutefois être reformulées ou abandonnées. Dans un communiqué relayé par l'Agence nationale d'information, le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, a appelé le Conseil des ministres à se réunir d'urgence pour discuter des effets de cette annulation et envisager des alternatives.
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