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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

La marchandisation de la santé (suite)

Nous avons vu tout le long des quatre dernières rubriques parues dans L'Orient-Le Jour comment et pourquoi la santé est devenue un objet de marchandage au profit des grandes industries pharmaceutiques. Cette marchandisation s'est faite dans le but de permettre de très grands profits pour les laboratoires pharmaceutiques et sans aucun égard pour les effets secondaires des produits lancés sur le marché, effets secondaires qui ont été gravissimes pour le Vioxx de même que pour le Zoloft pour enfants. Pour ce dernier, l'une des conséquences graves survenues après son interdiction par la Food and Drug Administration (FDA) fut un vent de panique chez les adultes qui consomment eux-mêmes des antidépresseurs. Beaucoup ont abandonné leurs traitements, se mettant ainsi en danger.

À l'époque et à ce sujet, en 2004/2005, mon ami et collègue le Dr Wadih Naja et moi-même, dans le cadre des activités de l'ONG Souhatouna Lana (voir L'OLJ du 31/8/2012), avons publié un article, toujours dans L'OLJ, pour prévenir le public de ce danger.
Il s'agit, encore aujourd'hui, de ne pas confondre trois choses :

Ce n'est pas l'antidépresseur qui tue, mais la dépression.

Ce qui a pu tuer chez les enfants lors de la commercialisation du Zoloft pour enfants, c'est la levée de l'inhibition psychomotrice. Mais en cas de blocage de la levée de l'inhibition, cela ne justifie pas qu'on donne des antidépresseurs aux enfants, sauf dans des cas rares.

Enfin, il faut distinguer une dépression cliniquement repérable en tant que telle d'une dépression qui fait partie d'une maladie bipolaire. C'est dans le cas précis d'une dépression bipolaire qu'un antidépresseur peut déclencher une levée de l'inhibition psychomotrice et pousser le patient à des actes suicidaires et se faire mal ou risquer la mort. Car dans ce cas-là, l'inhibition protège puisqu'elle empêche d'agir et de penser. Si l'antidépresseur est prescrit sans une « couverture » médicale qui est le « régulateur de l'humeur », le risque est grand d'un passage à l'acte. Je m'explique.

L'un des signes cliniques majeurs de la dépression est l'inhibition psychomotrice. Le patient a du mal à bouger, à faire ses activités, à se lever du lit, surtout le matin. Sa motricité est inhibée, bloquée. Un homme se retrouve dans l'impossibilité d'aller à son travail, une femme aussi et une mère au foyer de s'occuper de ses enfants. La vie de famille devient un enfer. Par ailleurs, son activité mentale est également bloquée, mais également ses fantasmes suicidaires. Dans ce cas, paradoxalement, la dépression empêche le patient de se suicider puisqu'elle bloque son activité mentale et donc ses fantasmes suicidaires

Si le psychiatre qui a en charge la famille est certain qu'il s'agit d'une simple dépression, l'antidépresseur suffit. Mais s'il suspecte une dépression bipolaire, il doit ajouter à sa prescription d'antidépresseur un régulateur.

Or du fait de ce marketing honteux et sans aucune retenue effectué par les laboratoires pharmaceutiques (revoir le cas du Vioxx, ORL, 31/8/2017) ou celui du Zoloft pour enfants (ORL, 7/9/2017), les médecins de toutes spécialisations trouvent plus de facilité à prescrire n'importe quel médicament, surtout les psychotropes car ils sont devenus faciles à manier et sans beaucoup d'effets secondaires. Il n'est pas question ici de dénier au médecin le droit de prescrire n'importe quel acte médical que lui autorise le code de déontologie, encore faut-il qu'il en ait le moyen. Mais en psychiatrie, seul un suivi long et minutieux permettrait aux psychiatres de prescrire et de modifier leurs prescriptions en cours de route, en fonction, entre autres, des interactions médicamenteuses. Dans notre service de psychiatrie de l'Hôpital Mont-Liban, un prolongement du séjour s'avère souvent nécessaire pour démêler tout cela et retenir le médicament qu'il faut pour tel patient.
Reste le point très important dans la pratique de la coopération entre les psychanalystes qui dirigent la cure d'un patient déprimé et les soins complémentaires d'un psychiatre. Nous verrons cela la semaine prochaine.

 

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commentaires (2)

LES MARCHANDS DE LA SANTE PLUTOT !

LA LIBRE EXPRESSION

15 h 43, le 21 septembre 2017

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Commentaires (2)

  • LES MARCHANDS DE LA SANTE PLUTOT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 43, le 21 septembre 2017

  • Étonnants, ces articles de dénonciation de la marchandisation de la santé concernant certaines médications psychotropes qui peuvent avoir des prescriptions abusives hors formulaire surtout par des non-spécialistes, comme si c'était le problème de santé majeur au Liban! Non, ce n'est vraiment que le minime sommet de l'iceberg. Je suis Medecin, ayant pratiqué au Liban, puis au Canada, et n'en reviens pas de trouver encore sur les étagères des pharmacies Libanaises des dizaines de médications, en plus, en vente libre, qui sont interdites depuis quelques décennies en Amérique du Nord, car reconnues pour leur toxicité et effets secondaires graves, en plus de leurs effets thérapeutiques non prouvés, sauf un effet placebo! A-t-on jamais lu un article dénonçant ceci ou un Ministère de la Santé, ou un Ordre des Médecins ou des Pharmaciens tirer la sonnette d'alarme? Que non, trop d'intérêts économiques sont en jeu, et beaucoup de personnes haut placées derrière la mafia des médicaments pour vraiment s'en inquiéter: c'est cela plutôt, la marchandisation grave de la santé au Liban!

    Saliba Nouhad

    14 h 48, le 21 septembre 2017

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