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Nos Lecteurs ont la Parole - Sissi BABA

Il est temps que l’islam relise et reboive

Vu que je suis pathologiquement romantique, j'ai toujours senti mon appartenance à une autre ère, sans doute antérieure à notre histoire actuelle. J'ai toujours rêvé des prêtresses de l'Olympe, des dramaturges déclamant des alexandrins à la cour de Louis XIV, des poètes maudits et des musiciens décadents du XIXe siècle, des danseurs frénétiques du XXe... Comment ai-je pu oublier que je fais partie de cette terre d'Arabie (qui était antérieurement phénicienne, ne commencez pas !) et dont l'histoire et l'âge d'or ont débuté alors que l'Europe s'engloutissait dans les marécages de l'obscurantisme ? Comment ai-je pu oublier d'ajouter aux images tant rêvées des siècles passés celle d'une chanteuse de oud qui envoûte les soirées estivales d'Andalousie, ou d'un poète abbasside dont les doigts se sont trempés dans l'encre comme sa langue dans l'alcool ? Voilà les images que je reçois des Arabes et des musulmans d'antan.
Orchestré par des califats musulmans, l'âge d'or de l'Arabie a été possible grâce à la tolérance, l'ouverture d'esprit et les notions de citoyenneté. Juifs, chrétiens et musulmans vivaient en harmonie car chacun connaissait la religion de l'autre, par conséquent, personne n'avait peur de « l'autre ». L'art et la science fleurissaient dans un terrain qui leur était fertile. L'ouverture d'esprit a engendré une réception d'ouvrages de toutes les cultures, qui a, à son tour, engendré de nouvelles productions faites en arabe par les Arabes. L'Arabie lisait, réfléchissait et écrivait. On payait les traducteurs et les poètes leur pesée d'or. La cour des califats foisonnait de poésie, de débats philosophiques et astrophysiques. Les outres de vin se montraient sur les banquets. Les femmes portaient des robes colorées et montraient une longue chevelure ornée de bijoux ou coloriée par le « henné ». Pas de voile ni de robes noires ! Le libertinage de l'esprit et du corps ne connaissait pas de limites. Le successeur et le fils du célèbre Haroun el-Rachid, al-Amin, était ouvertement homosexuel... Enfin, tous les sujets qui se veulent aujourd'hui interdits étaient ouvertement pratiqués et tolérés dans un « il était une fois, une belle terre d'Arabie... »
Qu'est-ce qui fait qu'on condamne aujourd'hui toutes ces pratiques ? Pourquoi le corps n'a plus de voix ? Pourquoi, et avant même de parler de tendances sexuelles, condamne-t-on le sexe ? Pourquoi cache-t-on le corps de la femme ? Ainsi que ses cheveux? Pourquoi interdit-on radicalement l'alcool ? Cette même terre qui a enfanté Abou Nuwas, cette même culture qui a traduit le « bois du vin, c'est la seule des religions » du célèbre Omar el-Khayyam, cette même langue qui consacre, à l'alcool seul, un vaste champ lexical d'une centaine de mots, cette même culture religieuse qui dit « N'approchez pas de la salat alors que vous êtres ivres » et qui s'interdisait donc l'alcool uniquement dans les milieux de prière... Cette même Arabie condamne aujourd'hui l'alcool, refoule la sexualité et interdit le doute et le scepticisme de façon ridicule et irréfléchie.
En condamnant par exemple l'alcool, les musulmans arabes d'aujourd'hui condamnent leur héritage linguistique, littéraire et culinaire. Pourquoi et comment s'intéresser d'ailleurs à cet héritage si les cours d'arabe n'enseignent plus les khamriyyat et autres andaloussiyat des poètes ? Comment s'y intéresser alors qu'on a abandonné la culture et les livres pour se limiter à la lecture aveugle du Coran ? Et pourquoi comprendre même le Coran ? Il suffit de lire sans compréhension les versets pour gagner des « hassanat », ces avantages qui garantissent au croyant l'accès au paradis. Du moins, c'est ce que les mille et un hadiths provenant de mille et une sources disent. On lit parce qu'on est commerçant. Parce qu'on noue un pacte d'échange avec Dieu. On ne fait pas le bien pour le bien. On le fait pour accéder à un certain paradis.
Le problème devient dès lors simple : l'Arabie d'aujourd'hui ne lit pas, donc elle ne réfléchit pas. La lecture même du Coran n'est pas une véritable lecture puisque l'on ne comprend pas ce qu'on lit. Résultat : on ne lit plus, on écoute les hadiths dont les sources sont fort redoutables. On lit des hadiths et des traditions prophétiques qui sont drôles car ils ne s'appliquent plus à notre temps. Des hadiths et des conseils qui pourraient être inventés par n'importe qui et que les gens se partagent. Ainsi, le « hadith » (la parole attribuée au prophète – mais attribuée par qui ?), cette parole transmise d'une personne à l'autre, ne se prête-t-elle pas aux modifications et aux larges interprétations faites par des gens incapables d'interpréter ? Et quelle serait la différence finalement entre un mythe, récit oralement transmis de génération en génération, et le hadith, parole oralement transmise d'une personne à l'autre ?
Il faut que les Arabes reviennent à leur patrimoine culturel, il est temps que les Arabes musulmans reçoivent le Coran dans un nouveau contexte. Et, s'il faut lire les interprétations pour comprendre ce livre ambigu et riche en métaphores, il faudra chercher des explications auprès des professeurs d'arabe et lire les interprétations des philosophes musulmans, allant d'Averroès à Gamal el-Banna, intellectuel musulman du XXe siècle qui condamnait haut et fort l'interdiction de l'alcool et le port du voile.
Jusqu'à quand persisteront l'ignorance et l'abandon de l'islam par les musulmans mêmes qui croient avoir tout compris à un texte ouvert à plusieurs interprétations ? Jusqu'à quand l'abandon de la culture ? De la lecture? Et si les versets ont interdit l'ivresse aux musulmans, ils ne leur ont pas du moins interdit la consommation modérée de l'alcool. Jusqu'à quand l'écartement du doute, qui est, chez Aristote comme chez al-Ghazâlî, la seule voie pour atteindre la vérité ? Et qu'en est-il du respect de l'autre ? Et, par « autre », il faut non seulement sous-entendre le juif, le chrétien, l'agnostique, l'athée, etc., mais aussi l'autre musulman qui veut boire et prier Dieu à sa manière.
Dans un monde qui devient haineux, intolérant, prétentieux et ignorant, il est temps de lire. Il est temps de comprendre. Il est temps que la femme libère son esprit en se libérant de ce qui étouffe sa tête. Il est temps qu'elle combatte pour l'égalité avec l'homme dont « la part (de l'héritage équivaut) à celle de deux filles » sous prétexte que l'homme doit entretenir la femme et la prendre en charge. Il est temps de parler de tolérance et d'amour. Il est temps que les monothéistes et les musulmans en particulier cessent de considérer leur religion comme celle du « droit chemin » qui est la « seule » à avoir compris les message(r)s du Créateur. Il est temps de ne plus traiter les autres religions et courants philosophiques de blasphémateurs et de païens. Il est temps de s'ouvrir, de remettre en question, de lire, de se poser des questions. Il est temps que l'Arabie regagne sa gloire, il est temps de boire !

« Sur ce verre, en enluminure un verset du Coran ; Ce verset, on aime se le verser en tout temps ! »

Vu que je suis pathologiquement romantique, j'ai toujours senti mon appartenance à une autre ère, sans doute antérieure à notre histoire actuelle. J'ai toujours rêvé des prêtresses de l'Olympe, des dramaturges déclamant des alexandrins à la cour de Louis XIV, des poètes maudits et des musiciens décadents du XIXe siècle, des danseurs frénétiques du XXe... Comment ai-je pu oublier que...

commentaires (4)

Superbe article... Pourquoi cachez-vous votre nom réel? Peur des représailles? On ne peut vous blâmer! Criant de vérité, bien documenté avec une belle plume et vous expliquez bien la misère du monde Arabe d'aujourd'hui. Aucune place à la pensée libre, à la logique, à la tolérance, au respect de l'autre. On menace, on impose, on interdit, on punit, on décrète des lois divines et gare à celui qui remet en cause... On détient une vérité absolue qui vous permet d'éliminer toute opposition... Régression intellectuelle déplorable alors que le monde Arabe et Musulman avait l'une des civilisations les plus prometteuses et les plus avancées il y a quelques siècles... Dommage, mais l'histoire montre des cycles qui se répètent: il y'a donc de l'espoir pour le futur, mais serons-nous là pour en profiter?

Saliba Nouhad

05 h 08, le 22 septembre 2017

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Commentaires (4)

  • Superbe article... Pourquoi cachez-vous votre nom réel? Peur des représailles? On ne peut vous blâmer! Criant de vérité, bien documenté avec une belle plume et vous expliquez bien la misère du monde Arabe d'aujourd'hui. Aucune place à la pensée libre, à la logique, à la tolérance, au respect de l'autre. On menace, on impose, on interdit, on punit, on décrète des lois divines et gare à celui qui remet en cause... On détient une vérité absolue qui vous permet d'éliminer toute opposition... Régression intellectuelle déplorable alors que le monde Arabe et Musulman avait l'une des civilisations les plus prometteuses et les plus avancées il y a quelques siècles... Dommage, mais l'histoire montre des cycles qui se répètent: il y'a donc de l'espoir pour le futur, mais serons-nous là pour en profiter?

    Saliba Nouhad

    05 h 08, le 22 septembre 2017

  • Magnifique de vérité, et M E R C I ! Puissent tous ceux qui, pour leur propre intérêt avant tout, ne savent que interdire, ordonner, dominer l'autre et le culpabiliser, lire très attentivement cet article ! Irène Saïd

    Irene Said

    09 h 27, le 18 septembre 2017

  • IL N,A POINT CHANGE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    22 h 37, le 16 septembre 2017

  • Vibrante apologie de la tolérance, de la lecture et du vin divin! Je ne sais pas qui se cache derrière ce nom de plume trempée dans l'alcool et qui rappelle très judicieusement que les Arabes sont (étaient?) les créateurs d'un art de vivre désormais tabou. Un art de vivre, de lire, de traduire, de tolérer et de boire qui a participé de la grandeur des Arabes. Mais ça, c'était avant, avant que l'obscurantisme naisse des échecs, des humiliations, des trahisons et dès hégémonismes nationaux. Qui sait? Peut-être que l'arabe du futur est celui qui saura lire ces échecs au travers d'une nouvelle grille plus positive !

    Marionet

    11 h 07, le 16 septembre 2017

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