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À La Une - Reportage

A Saint-Martin, les habitants hagards plongés dans la colère et le désarroi

"On a tout perdu, tu sais, on n'a plus rien".

Des bateaux endommagés après le passage de l'ouragan Irma sur l'île de Saint-Martin. Martin Bureau/AFP

"C'est inadmissible ! Vous pouvez le dire !" Des fenêtres de leurs maisons, les habitants de Grand-Case, sur l'île de Saint-Martin, interpellent les journalistes pour exprimer autant leur colère que leur désarroi, dans une situation toujours tendue cinq jours après le passage d'Irma.

Au nord de Grand-Case, Nicolas, un fonctionnaire installé depuis six ans sur cette île des Caraïbes, s'est rendu près d'une galerie marchande qui sert désormais de caserne aux secours. Il dit n'avoir eu "ni informations, ni adresses" quant aux solutions pour les sans-abri. "Je suis en colère après Paris et sa gestion de crise", répète-t-il.

Depuis qu'Irma a quasiment tout ravagé sur l'île, la confusion est partout : aux abords de l'aéroport de Grand-Case - en fait, une piste sommaire en bout de plage d'à peine deux kilomètres -, une centaine de personnes aux traits tirés s'agrippent aux grilles dans l'espoir de partir, mais sont retenues par les militaires présents. "Après Irma, la population est dans un état psychologique médiocre. La moindre rumeur fait qu'ils se pointent tous à un endroit en espérant être évacués", décrypte un capitaine de la Sécurité civile.


"Allez-vous-en !"

Dans l'est de l'île, dans le quartier pauvre d'Orléans, l'ouragan a complètement dévasté les baraques aux toits de tôle.

L'état de tension permanente mâtinée de panique s'accentue brusquement lorsqu'au moins deux cents personnes attroupées bloquent les routes et se frappent les unes les autres, parfois armées de machettes.
Si l'origine du différend est inconnue, la rumeur évoque "une histoire de voiture", suscitant l'incompréhension générale. Dans un pick-up, un homme d'une vingtaine d'années au corps entièrement tatoué, rabroue la presse : "Go from there, fucking journalists !" ("Allez-vous-en, salauds de journalistes !", NDLR). Puis, en français, "Tu vois pas ce qu'il se passe ici ?"

A moins de deux cents mètres, le calme est revenu mais c'est le désarroi qui gagne une longue file d'attente aux abords de l'ancienne gendarmerie. Le regard vide, les bras ballants trahissant un état de fatigue extrême, les habitants cherchent à se ravitailler en vivres et en eau.

Résignée, souriante mais fataliste, Sidonie Jasaron, 67 ans, a pu rester dans sa modeste maison au toit en tôle, où elle est désormais réfugiée avec ses six enfants et petits-enfants. Mais Irma a fissuré l'habitation et la porte vitrée du rez-de-chaussée brinquebale. "Même si je voulais me déplacer, il n'y a pas de téléphone, il n'y a rien, je ne saurais pas où aller", fait observer celle qui habite Saint-Martin depuis plus de cinquante ans et qui n'avait jamais vu un ouragan "aussi fort".

Dans les rues de Marigot, le chef-lieu de l'île, des habitants montent sur leurs toits, clouent des planches ou bâchent les trous. "On ne sait pas comment se préparer ni même ce qui nous attend", raconte Steeve, âgé d'une trentaine d'années, avant le passage du prochain ouragan, José. "On n'a aucune information". Seules les radios de la partie néerlandaise de Saint-Martin et de l'île d'Anguilla sont reçues à Saint-Martin. Steve va se calfeutrer, mettre des barricades.

Sur le front de mer, une femme, assise sur un banc pleure au téléphone. "On a tout perdu, tu sais, on n'a plus rien" dit-elle à son interlocuteur. 

Certains points de distribution sont vides, faute d'avoir pu prévenir la population. Près d'une école où la Sécurité civile donne discrètement à manger, à boire à environ 70 personnes, principalement des enfants et des femmes, la foule se masse autour du bâtiment "pour savoir ce qu'il se passe".

C'est le concierge de l'établissement qui a ouvert les portes pour protéger les plus nécessiteux à l'intérieur du bâtiment, qui s'est retrouvé rapidement saturé. Alors que les militaires tentent de garder l'école, l'un d'entre eux se désespère : "Putain, tout le monde a vu ce qu'on a livré... Maintenant, l'école va se faire piller".


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