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Liban - « L’aube du jurd »

« L’armée aurait dû mener cette bataille bien plus tôt »

Depuis le début des combats, la caserne de Ras Baalbeck s'est transformée en une ruche et les civils y sont les bienvenus.

Un convoi de véhicules militiares rentrant du jurd.

Le barrage des gardes-frontières entre Ras Baalbeck et son jurd où l'armée livre une bataille contre les miliciens de l'État islamique. La plupart des véhicules militaires qui vont au combat franchissent ce poste, situé à proximité d'une église dédiée à la Vierge Marie. Ras Baalbeck, tout comme Qaa, sont des villages exclusivement chrétiens de la Békaa-Est, situés à la frontière avec la Syrie.

Entre le barrage et l'église, des vétérans de l'armée libanaise ont dressé une tente. Ici, à chaque passage de convoi ou véhicule militaire, la petite foule offre de l'eau aux soldats qui rentrent du jurd, les applaudit et parfois leur lance des pétales de fleurs.

Élie Hallak, président du comité des vétérans de l'armée dans le nord de la Békaa, explique : « Nous nous organisons aussi pour les dons de sang conjointement avec la Croix-Rouge. Nous faisons des listes de donateurs potentiels. Les gens viennent spontanément donner leur sang à la troupe. »

La tente rassemble divers vétérans de la Békaa et leurs familles. « Nous attendons cette bataille depuis des années. Chaque famille de Ras Baalbeck compte au moins un soldat. Cinquante-neuf militaires du village ont été tués au combat au fil des ans. Là, nous attendons la victoire », dit Samir Chabaan, dont le père avait rejoint les rangs de l'armée libanaise en 1932, bien avant l'indépendance du Liban.

 

(Lire aussi : Aoun : L’étape prochaine est consacrée au développement dans les régions du jurd)

 

Tarek Abou Daya est originaire de Rayak. Il porte un treillis militaire. Les deux jambes amputées, il est cloué sur une chaise roulante. À chaque passage d'un convoi militaire, il fait un signe de la main en direction des soldats. Certains s'arrêtent pour le saluer de plus près.

Tarek Abou Daya a été blessé au Liban-Sud en 1996, lors de l'opération israélienne « Raisins de la colère ». « Si seulement je pouvais aller avec les soldats au front mais être sous cette tente me rend plus proche d'eux », soupire-t-il.

Un ancien général de l'armée, Mahmoud Tabikh, est là avec son épouse Khadijé, qui arbore le voile. « Mon fils Ahmad, un officier des forces spéciales, a été tué par les miliciens de Daech, sur la colline al-Hamra dans ce jurd en janvier 2015. L'armée a repris la colline il y a quelques jours, raconte-t-il. Cette bataille devait avoir lieu bien plus tôt, il y a trois ou quatre ans. Il ne fallait pas attendre aussi longtemps. La vie de nombreux militaires aurait pu être épargnée. L'armée doit contrôler chaque parcelle du territoire libanais », martèle-t-il. « Je considère chaque soldat qui se bat dans le jurd comme le fils que j'ai perdu. Pour moi, il continue de vivre quand je vois ses camarades d'armes », dit Khadijé séchant ses larmes.

Deux militaires postés au barrage s'approchent du couple, le saluent. L'un d'eux, originaire du Akkar, était l'ami de l'officier disparu. « Ahmad, dont les parents habitent Douris, nous rapportait kecheck, awarma, makdous et toutes sortes de provisions alimentaires confectionnées par sa maman. Il nous ramenait même du café. Je lui volais ses cigarettes. Il rigolait. Il était drôle et généreux. Il avait le cœur sur la main », raconte son camarde d'armes. « Ahmad n'était pas de permanence le jour où il a été tué. Il est monté dans le jurd suite à une embuscade qui avait fait cinq morts dans les rangs de l'armée. Il a été tué à son tour. Sa femme était enceinte. Elle a accouché cinq mois tard », raconte encore le père du soldat abattu par Daech.

La place principale du village de Ras Baalbeck. Ici aussi on encourage d'un signe de la main les soldats qui franchissent la localité à bord de véhicules militaires.

 

(Lire aussi : Les écueils que l’armée voudrait éviter)

 

Le contentieux frontalier à Martaba
Georges Mrad, un habitant, souligne : « Depuis plus de trois ans, les miliciens de Daech se trouvent à 7 kilomètres du village. Nous nous sentions en danger, menacés. » Georges Mrad fait partie des groupes paramilitaires, formés par les habitants de Ras Baalbeck et de Qaa, qui montaient la garde tous les soirs dans leur village. « Depuis plus de trois ans, des dizaines d'hommes du village assurent des permanences. Nous prenons nos armes individuelles, de quoi manger, et nous restons dans nos voitures à guetter les mouvements suspects. Nous avons toujours travaillé conjointement avec l'armée », dit-il.

Non loin de la place du village, se trouve la maison de Ghannam Ghannam. Avec son fils Kanj, l'homme avait monté un projet agricole de 300 000 mètres carrés, dans le jurd de la localité, s'endettant auprès des banques d'un million et demi de dollars. C'était en 2009. Durant plus de trois ans, ils ont été empêchés d'accéder à leurs terrains, comme tous les habitants du village ayant des terrains agricoles dans la zone où la troupe n'était pas déployée et qui était sous le contrôle des miliciens de l'État islamique.

« L'armée se trouve désormais sur nos terrains. Pourquoi n'a-t-elle pas agi plus tôt ? Pourquoi fallait-il attendre autant ? Nous avons tout perdu. Les milliers d'arbres fruitiers que nous avions plantés, les troupeaux de mouton et de brebis, tout... Et nous sommes encore en train de payer des dettes à la banque pour un projet qui n'existe plus », s'insurge Ghannam Kanj, qui avait quitté son appartement et son poste à la banque dans une banlieue de Beyrouth pour monter il y a huit ans ce projet avec son père dans son village natal.

Le père, Ghannam Ghannam, évoque toutes les installations (générateurs, turbines, quatre puits artésiens...) du projet. « Nous attendrons les indemnités du Haut Comité de secours pour pouvoir peut-être reprendre le travail... J'appréhende le moment de monter au jurd pour constater les dégâts », soupire-t-il.

Croisés à la place du village, des habitants rapportent que la journée est calme, que les jours précédents, ils avaient entendu les départs des obus lancés à partir de quatre positions de l'armée situées à proximité de Ras Baalbeck.

Selon certaines informations, la bataille s'est arrêtée au niveau de Martaba, une zone grise où on ignore si le territoire est syrien ou libanais. En effet, la frontière entre le Liban et la Syrie n'a jamais été clairement délimitée depuis la création du Grand Liban en 1920 et cela malgré l'indépendance des deux pays. Martaba est parmi les points qui constituent un contentieux frontalier entre la Syrie et le Liban. L'armée se trouve donc à proximité de cette zone où sont déployés également les soldats syriens et les miliciens du Hezbollah.

 

(Diaporama : "L'aube des jurds", la bataille de l'armée libanaise contre l'EI, en images)

 

Une caserne qui accueille civils et militaires
Un peu plus bas, non loin de la route menant au village, se trouve la caserne de Ras Baalbeck qui abrite des soldats chargés de garder la frontière. Depuis le début des combats, les lieux se sont transformés en ruches d'abeilles. C'est ici que les hélicoptères atterrissent, que les soldats se rendent après la bataille dans le jurd, que l'on prépare les kits alimentaires destinés au front... Bref, c'est à partir de cet endroit qu'on mène logistiquement la bataille. Jamais une caserne de l'armée n'a semblé aussi accueillante, voire joyeuse.

Soutenus par la population, les soldats – malgré la fatigue – sont souriants et décontractés. Les limites qui existent entre civils et militaires semblent avoir disparu. Les lieux grouillent de monde, de soldats en campagne appartiennent à diverses brigades. Il y a des véhicules militaires qui rentrent du front couverts de cette couche de terre jaune typique du jurd de la frontière est, d'autres encore propres et qui attendent le départ. Il y a aussi des véhicules civils et des camionnettes venus livrer des vivres.

Depuis le début des combats, de nombreuses entreprises et associations ont pris l'initiative d'envoyer des ravitaillements à l'armée. Des femmes originaires de Ras Baalbeck et de Qaa sont arrivées spontanément devant la caserne pour prêter un coup de main à la cuisine. Il y a aussi des femmes venues d'autres régions du pays dont plusieurs sont des mères de militaires tués au combat.

« Nous sommes une soixantaine à venir tous les jours. Parfois nous sommes plus nombreuses, nous faisons alors deux shifts et nous travaillons moins », indique une femme qui se présente comme Oum Nadim, originaire de Kaftoun dans le Koura et habitant le Metn. Elle porte une croix autour du cou et en médaillon un portrait d'un jeune soldat. « Je suis la mère du plus jeune officier mort au combat. Mon fils Nadim Semaan avait 21 ans quand il a été tué à Tripoli, en 2014. Si l'armée était intervenue plus tôt, si on l'avait laissée mener un combat, loin de toutes les dissensions politiques, mon fils ne serait pas mort aujourd'hui, dit-elle. Pour moi, être dans cette cuisine, c'est continuer un peu la mission de Nadim », explique-t-elle.

« Mon fils est mort avec le sien. Il s'appelait Jihad Habre », indique une autre femme venue de Bhamdoun.  « Pour moi, préparer des sandwichs aux soldats au front c'est comme si je faisais à manger à mon fils. C'est comme s'ils étaient mes enfants », poursuit-elle. Les deux femmes racontent que depuis quatre jours elles se lèvent à cinq heures du matin pour venir à Ras Baalbeck et entamer le travail.

Izdihar Akil est l'épouse d'un officier. Cette jeune femme originaire du Liban-Sud et habitant Rayak souligne : « Nous avons commencé avec 2 000 sandwichs par jour. Nous en sommes à 5 000 aujourd'hui. Il y a tellement de monde qui vient spontanément chaque matin pour prêter un coup de main qu'il n'y a pas de travail pour tous. Personne n'est fatigué. Nous travaillons dans la joie. » « L'armée se bat pour nous et c'est une façon de dire aux soldats nous sommes là pour vous, nous vous soutenons. Vous nous rendez fiers », dit-elle.

 

 

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commentaires (6)

Ras Baalbeck libre est une super victoire des militaires libanais qui ont gagné un grand pari .

Antoine Sabbagha

12 h 40, le 24 août 2017

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Commentaires (6)

  • Ras Baalbeck libre est une super victoire des militaires libanais qui ont gagné un grand pari .

    Antoine Sabbagha

    12 h 40, le 24 août 2017

  • Mais plus tôt Daesh n'était pas en fuite et les combattants n'étaient pas des fuyards en haillons perdus dans la rocaille. On peut savoir combien coûte l'armée et à quoi ses activités de police servent? Si c'est un mécanisme d absorption du chômage, on peut savoir combien coûtent les officiers supérieurs, leurs retraites qui courent après leur mort (dans leur lit pour la plupart), leurs ordonnances, leurs clubs d'officiers et autres dépenses certainement essentielles pour lesquelles les impôts augmentent sans que personne parmi les parlementaires n'ouvre la bouche à leur sujet? Ce qu'il faudrait au moins en tous cas c'est envoyer au casse-pipe, à la place des troufions à peine adultes et sous équipés à force de dilapidations, leurs bedonnants supérieurs avec leurs 4x4 et leur or en guise de bouclier

    M.E

    12 h 07, le 24 août 2017

  • Alors qui va répondre à cette question ? POURQUOI PAS D'INTERVENTION PLUS TÔT ? RÉPONSE SÉRIEUSE SVP, ALLÔ SCARLETT ÊTES VOUS LÀ ? ET ENSUITE À LA QUESTION SUBSIDIAIRE POURQUOI L'ARMÉE N'AVAIT ELLE PAS LE DROIT INTERNETIONAL D'INTERVENIR AU SUD LIBAN MARTYRISÉ ? MERCI.

    FRIK-A-FRAK

    10 h 40, le 24 août 2017

  • Notre armée n'est pas comme celle des pays arabes avec des velléités de pouvoirs absolues et dictatoriales. Elle répond de ses actes devant le Président, le gouvernement et le parlement et c'est tant mieux puisque cela nous distingue de nos voisins et en particulier de notre putain de sœur! L’armée a intervenu lorsqu'il était temps de le faire point barre! Elle l'aurait fait surement si en 2008 elle avait empêché le Hezbollah de réaliser son coup d’état. Alors, le gouvernement d'antan aurait pu imposer sa politique, eu la décision de guerre et paix et aurait pu, sans conteste, demander a l’armée d'intervenir la et ou elle le veut sans problème. N'oublions surtout pas que c'est le Hezbollah qui se refusait a accepter que l’armée se déploie aux frontières afin qu'il puisse se permettre l'interdit... Aujourd'hui, il est en danger et a besoin de souffler et essayer de transformer une fois de plus ses défaites en pseudo victoires. Il ne faut en aucun cas oublier que si ce n’était les Russes, Bachar, l'Iran et le Hezbollah nageraient dans la mouise ou ils se sont fourvoyés. Et si le parti croit qu'il va échapper a son sort, il se trompe. Un seul moyen de le faire: se retirer de la Syrie, remettre ses armes a l’armée, remettre les criminels sous sa protection a la justice et alors, seulement alors, nous éviterons un potentiel futur bain de sang.

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 46, le 24 août 2017

  • et voilà le résultat quand on ne sait pas qui doit protéger sa frontière? C'est à l'armée de réglé ce problème et aux politiques de le certifier

    yves kerlidou

    09 h 29, le 24 août 2017

  • L,ETAT AURAIT DU ENGAGER L,ARMEE POUR MENER LES DEUX BATAILLES PLUTOT... CELLE CONTRE LA NOSRA ET CELLE CONTRE L,E.I. ET S,IMPOSER SUR TOUT LE TERRITOIRE NATIONAL !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 57, le 24 août 2017

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