L'armée a poursuivi hier sa bataille contre le groupe État islamique (EI) dans le jurd de Qaa et de Ras Baalbeck, entamée samedi dernier par un pilonnage intensif des positions de l'organisation. Ce pilonnage à l'artillerie lourde a pu donner en un temps record « de très bons résultats », grâce aux « munitions d'une grande précision », selon un expert militaire. Dimanche dernier, l'armée aurait ainsi réussi à reprendre possession de deux collines occupées par l'EI dans le sud du jurd.
Aucune nouvelle avancée de cette nature n'a été rapportée hier, au troisième jour de la bataille. Un incident, inédit depuis le début des combats, a toutefois été signalé : sept roquettes Grad auraient visé Qaa, dont quatre ont atterri à l'intérieur du village, « à proximité de casernes militaires », et trois dans les Macharii Qaa (aux environs du village), sans faire de blessés, selon des médias locaux. L'armée a déclaré en soirée qu'elle « a pilonné des positions de l'EI dans le jurd de Ras Baalbeck et Qaa, après que les environs de Qaa ont été visés par huit roquettes en provenance de groupes terroristes dans le jurd ».
Il n'est pas sûr toutefois que ces tirs aient ciblé l'armée, encore moins qu'ils soient provenus de l'EI, celui-ci étant « trop éloigné des frontières » et « insuffisamment équipé » pour pouvoir atteindre le village, selon cet expert militaire. Ce qui laisse ouvertes deux hypothèses : celle d'une erreur assez commune de ciblage, provoquée par le réajustement des canons de l'armée, ou celle d'une tentative, menée par une troisième partie, qui souhaiterait s'inviter dans la danse. Faire en sorte que Qaa soit une cible potentielle de l'EI pourrait en effet servir de prétexte à la participation au combat, si ce n'est au Hezbollah, du moins à des factions gravitant dans son orbite, comme les « Brigades de la résistance » ayant enrôlé de nombreux notables de Ras Baalbeck et habitants de Qaa depuis les attentats ayant secoué ce village l'an dernier.
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Hier soir, le Parti syrien national social annonçait, via la chaîne al-Jadeed, sa disposition à participer à la bataille.
Pourtant, l'armée n'envisagerait pas de recourir à quelque soutien supplémentaire, que ce soit de milices locales ou d'armée étrangère. En effet, le jurd aurait une superficie estimée entre 300 et 400 km2, dont 40 % seulement se situent derrière les frontières libanaises. L'armée n'est donc concernée que par la partie sud de cet espace, laquelle abriterait « entre 300 et 400 combattants de l'EI », selon l'expert militaire – même si un analyste juge difficile à L'OLJ d'évaluer le nombre exact de combattants. Face à ces données, l'armée est consciente de l'agressivité des combattants de l'EI, qui risque de rendre « la bataille difficile », selon la source qui prévoit une durée des combats de « deux à trois semaines ». La troupe n'en est pas moins « déterminée » à la mener « seule », selon l'expert militaire. « Il semble que le commandement de l'armée soit décidé à faire avec ses moyens, sans solliciter l'aide de quiconque : ni celle des Russes, ni du Hezbollah, ni de personne », selon la source proche du terrain.
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« Un piège tendu à Washington »
Si l'armée a décidé de mener la bataille contre l'EI, c'est en partie dans la foulée de la bataille de Ersal, menée unilatéralement par le Hezbollah. Même si l'éradication de l'EI du jurd de Qaa et Ras Baalbeck n'était pas urgente, elle est devenue nécessaire pour rendre à l'armée son mérite dans la sauvegarde des frontières libanaises – qui dépasserait largement le mérite du Hezbollah. Par-delà cette symbolique, l'armée souhaiterait anticiper une décision charnière de Washington, en octobre prochain, relative à l'aide annuelle de 80 millions de dollars US qui lui est versée dans le cadre du Foreign Military Funding. Le président américain aurait d'ores et déjà décidé, en vertu d'un plan général de réduction du budget alloué à ce fonds, de maintenir l'aide aux armées israélienne, égyptienne, jordanienne, irakienne et pakistanaise (avec une nette réduction pour les trois dernières) et d'annuler l'aide à l'armée libanaise. C'est le Congrès US qui doit toutefois entériner ou rejeter cette décision par un vote à l'automne prochain.
Entre-temps, le Hezbollah tenterait de s'associer « par la force » à l'armée, afin de renforcer les craintes de Washington sur les allégeances pro-iraniennes de la troupe. « Les États-Unis éviteront-ils ce piège ? » demande un expert militaire, qui questionne la politique de retrait de Washington, laissant un vide que « d'autres » viendraient aussitôt combler. Dans ce cadre, le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, a valorisé hier l'aide US à l'armée ainsi que l'importance de la présence de la Finul au sud du Litani dans le cadre de la 1701, à l'issue de son entretien avec l'ambassadrice des États-Unis, Elizabeth Richard.
Depuis quelques jours, le Hezbollah ne tarit pas d'éloges sur l'armée. Hier encore, le député Mohammad Raad a déclaré que le parti se tiendrait « aux côtés de l'armée, avec elle, devant elle et derrière elle, jusqu'à la victoire de la patrie ».
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La position du chef de l'État, le général Michel Aoun, serait décisive pour aider l'armée à réaffirmer/recouvrer son autonomie à l'égard du Hezbollah, sachant qu'il s'était montré compréhensif au sujet du fait que le parti chiite a pris les devants dans la bataille du jurd de Ersal. Après un entretien hier à Baabda avec Elizabeth Richard, il doit présider aujourd'hui une réunion du conseil supérieur de la défense. Par ailleurs, c'est à Ras Baalbeck que le conseil politique du Courant patriotique libre a tenu hier une réunion extraordinaire, présidée par le ministre Gebran Bassil, qui s'est focalisée sur « l'occupation du territoire par les groupes terroristes et des déplacés, avec une couverture régionale et internationale ». S'il a insisté sur « la décision politique interne unanime de soutien à l'armée » pour la bataille en cours, il n'a pas manqué d'y ajouter « le large appui populaire dont elle bénéficie », mettant l'accent sur l'alliance entre l'armée et la population.
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L'armée libanaise va donner une bonne leçon aux terroristes takfiristes et elle n'aura besoin de l'aide de personne. Certains semblent sous estimer notre armée nationale. Elle n'aura besoin ni de l'armée syrienne, ni de la Résistance. La seule différence non négligeable c'est que le temps des opérations sera affecté, cela dit je suis confiant que la troupe saura réaliser une victoire décisive avec le moins de pertes possible.
Chady
20 h 50, le 09 août 2017