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Idées - Dette publique et croissance

Petit mémento économique à l’usage du gouvernement libanais

Nohad BAROUDI , Ancien secrétaire général du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR)

Au vu du marasme de plus en plus alarmant sur le plan économique et social, il est impératif que nos gouvernants se penchent sérieusement et sans tarder sur les mesures à prendre pour réduire la dette publique et relancer la croissance.

Réduire la dette publique
Il est tout à fait justifié que l'État emprunte pour investir. Tout investissement public est rentable, puisqu'il contribue à plus de production, plus de bien-être économique et social. Investir dans le réseau routier, par exemple, accélère la croissance de l'économie. Même les investissements sociaux (éducation, santé) finissent par rapporter. Tout cela se traduit, tôt ou tard, par un surplus de revenu national qui servira à rembourser l'emprunt.

Par contre, l'État ne doit pas s'endetter pour payer ses dépenses courantes. Aujourd'hui, tout citoyen responsable se demande, la main sur le cœur, comment seront financés les milliards de dollars que vont coûter la grille des salaires nouvellement votée par le Parlement ainsi que les fameux navires producteurs d'électricité. D'autant plus que le gros de notre dette publique provient de l'hypertrophie de l'administration publique et des trous de gestion d'EDL.

Pour EDL, il faudra d'abord dépoussiérer les études, financées par la Banque mondiale et préparées par des consultants européens, visant à la restructuration de l'EDL et sa « corporatisation » en vue d'une privatisation à terme, qui dorment depuis dix ans dans les tiroirs du ministère de l'Énergie et de l'Eau et du Conseil supérieur de la privatisation. Il est urgent que le gouvernement se saisisse de la question afin de soumettre au Parlement le projet de loi nécessaire.

Quant aux fonctionnaires, un plan dûment réfléchi de réforme et de restructuration de la fonction publique doit être préparé et appliqué sans délai. Ce plan devra également prévoir les besoins de financement nécessaires qui assureront aux fonctionnaires surnuméraires une confortable retraite anticipée. Sachant que les économies réalisées au cours de la prochaine décennie grâce à cette restructuration épongeront certainement une bonne partie de la dette, il n'est pas impossible que ce plan intéresse certains bailleurs de fonds internationaux et les incite à fournir l'aide (non remboursable de préférence) requise pour sa bonne exécution. Ceci est une première étape. La deuxième étape consistera à évaluer la performance de chacun des fonctionnaires restants en vue d'assainir l'appareil étatique pour le rendre plus efficace et intègre, en mettant « the right man in the right place ».

À part ces mesures qui serviront à alléger les dépenses courantes de l'État, il faut également prendre des mesures visant à augmenter les recettes courantes.
Le secteur de la téléphonie mobile, par exemple, peut être considéré comme la poule aux œufs d'or des finances publiques. Mais attention ! On ne tue pas la poule aux œufs d'or, même si on a très faim ! En d'autres termes, il ne faut pas vendre ce secteur au plus offrant, du moins pas maintenant, pas avant qu'il ait atteint son plein épanouissement, pas avant d'arriver à un taux de pénétration, une qualité du service et des tarifs comparables à ceux des pays du Golfe. Entre-temps, il aura assuré à l'État des revenus considérables et en augmentation continue. Sa privatisation viendra après, et au prix fort.

 

(Lire aussi : Faut-il rééquilibrer la fiscalité au Liban ?)

 

Accélérer la croissance économique
Les mesures proposées ci-dessus pour l'électricité, les fonctionnaires et la téléphonie mobile contribueront certainement à alléger le déficit budgétaire et, partant, la dette publique. Mais elles conduiront également à plus de croissance économique.

En effet, une étude de la London Business School affirme que chaque fois que le taux de pénétration en téléphone mobile d'un pays augmente de 10 %, le PIB croît de 0,5 %. Aussi, un courant électrique de qualité, assuré à tout le pays 24 heures sur 24, favorisera l'essor de l'activité économique locale ainsi que l'implantation des sociétés étrangères. Enfin, des fonctionnaires efficaces et intègres, appliquant avec diligence des formalités administratives simplifiées, faciliteront la vie des citoyens et des entreprises, et ouvriront la voie à plus d'investissement local et étranger.

Bien d'autres mesures peuvent être prises par l'État pour accélérer la croissance. Par exemple, réalisons-nous à quel point l'état du réseau routier affecte le développement économique ? L'impact est direct sur le taux du PIB. Exemple édifiant : une étude entreprise par l'État du Texas il y a une vingtaine d'années avait révélé que le PIB de la ville de Dallas avait bondi de 15 % en un an suite à la modernisation de son réseau urbain, comparé à une croissance de 4 % du PIB de Houston, ville de dimension économique similaire, dont le réseau urbain était resté en l'état.

 

(Lire aussi : Des économistes appellent à réformer l’État libanais en profondeur)

 

Sur un tout autre plan, il faut signaler que l'État fait souvent obstacle à la croissance économique en retardant l'exécution de certains grands projets. Les exemples abondent. Les prêts consentis pour l'exécution de ces projets sont constitutionnellement soumis au Parlement. La lenteur du processus d'approbation et d'exécution est alarmante. D'abord, le Parlement prend son temps, pour mille raisons, politiques ou autres. Puis une fois l'approbation obtenue, l'exécution bute souvent sur une série d'obstacles, comme le retard mis dans l'expropriation du site du projet, ou bien les manifestations populaires politiquement dirigées, ou bien parce que le gouvernement a omis d'inscrire dans le budget les sommes nécessaires à la « part locale », sachant que ces projets ne sont jamais financés à 100 % et qu'une part du coût est laissée à l'État libanais (en général entre 10 et 15 %). Tout cela occasionne des retards d'exécution considérables. Il y a même eu des cas où le prêt a été tout simplement annulé, le prêteur se trouvant dans l'obligation d'utiliser les fonds ailleurs qu'au Liban plutôt que de les garder gelés pour un projet qui n'arrive pas à démarrer.

Mais une fois le projet achevé, d'autres problèmes surgissent, liés à sa gestion. Par exemple, des hôpitaux gouvernementaux récemment construits et équipés attendent longtemps la nomination de leur conseil d'administration et de leur personnel médical et administratif. De plus, ils n'arrivent pas à obtenir les fonds nécessaires à l'entretien des équipements médicaux et des locaux, ce qui les rend incapables de fonctionner et les précipitent dans la décrépitude.

 

(Lire aussi : Retour sur les taxes qui doivent financer la grille des salaires)

 

Tous ces problèmes d'approbation, d'exécution et de gestion des projets sont inadmissibles et il faut les éviter à tout prix, par un suivi continu de tout le processus, depuis l'octroi du prêt jusqu'à l'achèvement du projet et son bon fonctionnement.

Un autre point important : les lois programme. Le budget, bien qu'annuel, prévoit souvent dans une section spéciale des allocations de dépenses s'étalant sur plusieurs années, relatifs à l'exécution de certains grands projets. Or, les gouvernements successifs ont pris la mauvaise habitude de revoir à la baisse ou de reporter d'une année à l'autre les allocations annuelles relatives aux lois programme, motivés tout simplement par le souci d'économie dû au manque de disponibilités financières locales.

Là aussi la manipulation arbitraire des lois programme d'année en année est à éviter, vu le retard qu'elle cause dans l'exécution des projets, sans parler du manque de crédibilité que cela occasionne auprès du bailleur de fonds en cas de cofinancement étranger.

Enfin, une condition nécessaire à un développement durable et une croissance économique soutenue est que l'État puisse jouir de la confiance du citoyen et de la communauté internationale, à travers la transparence des finances publiques. Or c'est loin d'être le cas aujourd'hui.

D'abord, la présentation du budget au Parlement ne doit souffrir d'aucun retard, quelles qu'en soient les raisons. Ensuite, le budget, dans sa mouture actuelle, ne reflète pas la totalité des dépenses et des recettes du secteur public. La subdivision présente en quatre budgets distincts est ridicule. Il faudra les intégrer dans un même format. Une fois cette opération achevée, il faudra englober dans le budget le reste du secteur public : CDR, EDL (et ses navires !), Conseil du Sud, Caisse des déplacés, Haut-Comité de secours, municipalités, nouvelle grille des salaires, etc. Ce budget complet et exhaustif donnera une idée précise de l'ensemble de l'activité financière de l'État et servira de document-cadre pour sa répartition par région en cas de décentralisation administrative.

Mais la réforme ne doit pas s'arrêter là. Pour rendre le budget plus clair, et plus efficace en tant qu'instrument de politique financière et économique, il faudra, une fois tout le travail décrit ci-dessus terminé, diviser le document en deux parties distinctes : le budget courant et le budget d'investissement. Le budget courant, comme son nom l'indique, comprend les recettes normales (impôts directs, TVA, droits de douane, autres taxes et revenus, transferts courants) et toutes les dépenses de fonctionnement et de gestion. Le budget d'investissement comprend les dépenses en capital (reconstruction, équipements, etc.) et leur financement. Le financement provient de l'excédent du budget courant s'il existe, mais surtout des aides et des prêts consentis par la communauté internationale, ainsi que des prêts contractés par l'État à des fins d'investissement.

 

(Pour mémoire : Le gouvernement veut « regagner la confiance » d’un secteur privé sceptique)

 

Cette distinction entre les deux budgets est primordiale, car s'il est totalement justifié d'emprunter pour reconstruire et investir, il est absolument injustifié d'emprunter pour payer des salaires ou des loyers, ou des factures d'électricité (les recettes propres de l'État doivent suffire à régler tout cela).

Il faudrait donc revoir d'urgence la structure actuelle du budget afin de faire apparaître le déficit du budget courant. Une politique fiscale éclairée se doit d'œuvrer à réduire progressivement le déficit courant en vue de le transformer à terme en un excédent qui servira à financer, du moins en partie, le budget d'investissement. C'est l'excédent courant qui servira en dernière analyse à réduire la dette publique.

Une dernière remarque, un peu anecdotique. Le ministère des Finances, dans ses communiqués de presse, rapporte le déficit budgétaire aux dépenses. Exemple : « Le déficit a représenté 33 % des dépenses. » Ce qu'il ne dit pas, par contre, c'est que ceci veut dire que ce même déficit représente 50 % des recettes. Simple calcul mathématique. Or, ce dernier pourcentage est beaucoup plus « transparent », car il souligne de manière plus réaliste la gravité de la situation. En effet, si on dépense plus que ce que l'on gagne, il est important de comparer le dépassement à ce que l'on gagne et non pas à ce que l'on dépense. C'est comme cela que fait tout bon père de famille, c'est comme cela que raisonne n'importe quelle banque pour consentir un crédit : « Qu'est-ce que vous gagnez ? » demande-t-elle au demandeur de crédit et non pas « Qu'est-ce que vous dépensez ? »

Au vu du marasme de plus en plus alarmant sur le plan économique et social, il est impératif que nos gouvernants se penchent sérieusement et sans tarder sur les mesures à prendre pour réduire la dette publique et relancer la croissance.
Réduire la dette publiqueIl est tout à fait justifié que l'État emprunte pour investir. Tout investissement public est rentable, puisqu'il contribue à...

commentaires (4)

A quelque points prés ce diagnostic et ces prescriptions sont quasiment un copier collé des rapports d'experts dans tous les pays en voie de développement, ils n'aboutiront jamais puisque la gouvernance est prisonnière des intérêts privés et du court terme et ne croit pas dans l'avenir.

DAMMOUS Hanna

10 h 22, le 30 juillet 2017

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Commentaires (4)

  • A quelque points prés ce diagnostic et ces prescriptions sont quasiment un copier collé des rapports d'experts dans tous les pays en voie de développement, ils n'aboutiront jamais puisque la gouvernance est prisonnière des intérêts privés et du court terme et ne croit pas dans l'avenir.

    DAMMOUS Hanna

    10 h 22, le 30 juillet 2017

  • C'est clair et didactique. Y a plus qu'à...

    Marionet

    09 h 20, le 30 juillet 2017

  • RESPONSABLES : FETOU MIN DAYNET IL YAMIN OU TEL3OU MIN DAYNET IL CHMEL...

    ARABOS-SIONISTES, L,ARTICLE DISPARAIT DES ECRANS

    09 h 18, le 30 juillet 2017

  • Recommandations pour un monde idéal quoi, même les suisses en seraient jaloux et ceci avec nos politiciens actuels, il n’est pas interdit de rêver !

    Emile Antonios

    03 h 26, le 29 juillet 2017

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