Ouvert à la suite de l'opération préventive de l'armée dans deux camps de déplacés syriens près de Ersal, le dossier n'est pas près de se refermer. S'il est clair que le Liban accueille plus de déplacés que ses moyens économiques, politiques, démographiques et sécuritaires le lui permettent, il est tout aussi clair que des considérations politiques empêchent une possibilité de règlement rapide de ce problème. Des considérations internes et externes compliquent ce dossier au départ humanitaire mais qui a de plus en plus des consonances politiques, surtout qu'il implique le régime syrien et pose le problème de l'ouverture d'un dialogue avec lui.
La représentante de l'ONU au Liban Sigrid Kaag l'a répété cette semaine : le retour des déplacés syriens ne peut se faire que dans « la sécurité, la dignité et la décision volontaire » des déplacés eux-mêmes. C'est une manière diplomatique de rappeler aux autorités libanaises que la décision d'ouvrir un dialogue avec le régime syrien pour entamer le processus du retour ne peut se faire sans l'aval des Nations unies qui restent le principal pourvoyeur de fonds au Liban en matière d'aide aux déplacés. Les diplomates occidentaux en poste au Liban confirment, chacun à sa manière, la position de Mme Kaag, et il est clair que la communauté internationale refuse jusqu'à présent de donner sa bénédiction à un dialogue avec le régime syrien au sujet du retour des déplacés. D'ailleurs, lors de l'élection du général Michel Aoun à la présidence de la République, la première question posée par les diplomates occidentaux en poste à Beyrouth au sujet des intentions du nouveau président portait sur ce thème. La possibilité de nouer un dialogue avec le régime syrien dans le but du retour des déplacés constituait un véritable sujet d'inquiétude pour eux. Mais l'ouverture du président Aoun en direction des pays du Golfe, l'Arabie saoudite en tête, ainsi que l'annonce de ses priorités, à savoir : la loi électorale, la sécurité et les services, les ont rapidement rassurés.
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Huit mois après le début du mandat et alors que les nominations sécuritaires et militaires ont été achevées et qu'une nouvelle loi électorale a été promulguée, cette hypothèse revient toutefois à la une de l'actualité, donnant des sueurs froides aux Occidentaux. Selon des sources proches du 8 Mars, le refus des Occidentaux de l'ouverture d'un dialogue entre les autorités libanaises et syriennes au sujet du retour des déplacés obéit à trois raisons. La première réside dans le fait que la « normalisation » des relations entre le régime syrien et les autorités libanaises ôte à l'Occident une carte importante utilisée depuis pratiquement 2005 (avec une légère pause en 2008, avec la tentative du président français de l'époque Nicolas Sarkozy « d'amadouer » Bachar el-Assad) pour affaiblir et isoler le pouvoir en Syrie. La seconde consiste dans le fait que le retour dans leur pays de près de deux millions de déplacés syriens présents au Liban, dans le cadre d'une coordination avec Damas, fera de ces « revenants » des voix potentielles en faveur de Bachar el-Assad. La communauté internationale sait en effet qu'au final, il devrait un jour y avoir des élections, anticipées ou non, en Syrie, dans lesquelles le président devrait selon toute vraisemblance se porter candidat. Or, l'affaiblissement des groupes de l'opposition syrienne face à l'émergence des formations extrémistes pourrait pousser les électeurs à voter en faveur du régime actuel.
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C'est pourquoi la communauté internationale mise beaucoup sur les voix des déplacés syriens installés en Irak, en Syrie, en Jordanie et au Liban pour faire le contrepoids des suffrages favorables à Assad. D'ailleurs, la question du vote des déplacés syriens avait constitué un sujet conflictuel au cours des négociations politiques de Genève, les représentants de l'opposition et leurs parrains occidentaux et régionaux exigeant de leur accorder le droit de vote, alors que le régime et ses alliés insistaient pour que seuls les Syriens en Syrie puissent voter. C'est dire l'importance de cet enjeu. Il est même primordial, sachant qu'il y a près de 2 millions de déplacés syriens en Turquie, presque autant au Liban, 1,5 million en Jordanie et près de 500 000 en Irak et dans le reste du monde. Il y a aussi 4 millions de déplacés syriens à l'intérieur de la Syrie, dont 500 000 sont récemment retournés chez eux, alors que la population restée chez elle est de près de 8 millions, dont plus de 5 millions vivent dans les zones contrôlées par le régime...
La troisième raison qui pousse certaines parties étrangères à s'opposer à un dialogue entre les autorités libanaises et syriennes, c'est que la présence massive de déplacés syriens est une carte potentielle qui pourrait être utilisée contre le Hezbollah, sur fond de tensions confessionnelles. Ce rôle avait été attribué pendant une courte période aux camps palestiniens qui aidaient le cheikh Ahmad el-Assir dans sa guerre contre la formation chiite, mais ce projet n'a pas pu aboutir parce que le cheikh salafiste s'en était pris à l'armée qui a dû riposter. Lorsque le moment viendra, d'autres cheikhs Assir pourraient émerger, appuyés par les déplacés syriens installés partout au Liban. C'est d'ailleurs parce qu'il est conscient de la possibilité d'un tel scénario que le Hezbollah est le plus pressé d'accélérer le retour des déplacés syriens chez eux. De sa propre initiative et avec la coopération des services de renseignements de l'armée, il a déjà organisé le retour de près de 420 Syriens dans les villages du Qalamoun en Syrie. Un nouveau groupe s'apprête à suivre ce même exemple, et les sources proches du Hezbollah parlent de 10 000 déplacés décidés à rentrer dans leurs villages dans cette zone. Ce n'est certes qu'une goutte d'eau dans la mer des déplacés syriens. Mais une action plus radicale exige une initiative politique de la part de l'État libanais...
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13 h 30, le 08 juillet 2017