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Liban - Environnement

Carrières : cafouillage tous azimuts

Alors que le ministre de l'Environnement précise les modalités de réglementation du secteur, un expert lui oppose « le manque de cadre légal suffisant ».

Les carrières de Aïn Dara. Photo ANI

Après avoir provoqué un grand débat en Conseil des ministres la veille, le dossier des carrières a été au menu de discussions hier entre les ministres de l'Environnement Tarek el-Khatib, de l'Économie Raëd Khoury et de la Lutte contre la corruption Nicolas Tuéni, qui se réunissaient avec l'Association libanaise de producteurs de béton prêt à l'emploi. Ces derniers se plaignent du fait que les forces de l'ordre continuent d'empêcher le transport des stocks de matières premières.

Le dossier des carrières, rappelons-le, a fait l'objet d'un ballet de décisions contradictoires ces dernières semaines, qui a culminé mercredi en ce qui a été rapporté comme un affrontement entre les ministres de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, et de l'Environnement. Le premier voulait maintenir l'arrêt total des activités dans les carrières illégales et du transport de stocks à partir de ces sites, et le second lui a reproché d'avoir appliqué « sélectivement » sa décision, en date du 20 avril, de suspendre pendant un mois l'exploitation des carrières (voir L'OLJ du 11 mai). Ce qu'il faut retenir de ce va-et-vient, c'est que la dernière décision du Conseil des ministres autorise désormais les carrières fonctionnant en vertu d'un permis légal, et permet également l'écoulement des stocks. Les carrières sans permis auront un mois pour présenter leur dossier au Haut Conseil des carrières, présidé par M. Khatib.

Dans une intervention à la Voix du Liban, M. Khatib a cependant démenti toute confrontation avec son homologue de l'Intérieur, estimant que « la discussion est en faveur de la loi et des intérêts du pays ». Interrogé par L'OLJ sur cet épisode, il insiste néanmoins sur « le caractère sélectif de la fermeture des carrières, dont certaines, illégales, sont restées ouvertes malgré la décision de fermeture » du 20 avril. Sans entrer dans les détails de cette application inégale des lois, le ministre affirme que « la décision du Conseil des ministres est désormais claire, et elle sera appliquée à la lettre, à savoir que les exploitants de carrières illégales doivent présenter au Haut Conseil des carrières un dossier dans un délai d'un mois qui, s'il est accepté, leur permettra de fonctionner dans les règles, et s'il est rejeté, sera un préambule à leur fermeture définitive ».

Lui qui se plaint des « fermetures sélectives des carrières », quelles garanties aura-t-il de l'application de cette nouvelle décision ? « Les forces de l'ordre en sont la garantie », dit-il. Que signifie pratiquement la réglementation des carrières ? « Elle sera établie en vertu du décret organisationnel qui régit le Haut Conseil des carrières et tout le secteur, le décret 8 803, affirme-t-il. Cela signifie que les propriétaires des carrières doivent avancer une garantie bancaire, payer des taxes au ministère des Finances et aux municipalités où sont situées leurs exploitations et concevoir leur projet de manière à pouvoir réhabiliter le terrain, une réhabilitation qu'il leur incombera de financer eux-mêmes, bien sûr », explique M. Khatib.

 

(Pour mémoire : Polémique Machnouk-Khatib sur les travaux des carrières)

 

« Un chaos impossible à réglementer en un mois »
Des frais conséquents dont ne s'acquittent pas actuellement les propriétaires de carrières illégales, ces sites très nombreux sur tout le territoire, dont on a peine à croire qu'ils rentreront tous dans le rang en un mois. Et c'est bien ce qui inquiète Habib Maalouf, écrivain et journaliste, auteur d'une étude sur les carrières en 2006. Celui-ci pense que le chaos dans lequel se débat ce secteur remonte à très loin, et qu'il sera impossible d'envisager de le régler en un mois. « J'ai bien peur que toute cette dernière série de décisions ne profite à certains acteurs qui compteraient sur ce secteur en vue d'un financement supplémentaire – peut-être pour les (futures) élections (législatives) – par la hausse des prix qui ne manquera pas d'avoir lieu et par la vente de stocks », confie-t-il à L'OLJ.

À ce propos, le ministre Tuéni a explicitement demandé hier aux producteurs de béton « de ne pas hausser leurs prix », appelant également ceux qui les approvisionnent en matières premières à ne pas augmenter à leur tour leurs tarifs, afin de ne pas nuire au cycle économique.
Pour M. Maalouf, « la question de l'organisation de ce secteur nécessite un cadre légal qui n'a jamais été assuré, ainsi qu'un plan directeur qui donnerait la priorité aux contributions de l'État, et qui ferait profiter le Trésor public de ses rentrées ». Qu'en est-il du Haut Conseil des carrières qui devrait se charger de cette mission ? « Le Haut Conseil des carrières fonctionne en vertu d'un décret organisationnel qui ne suffit pas, insiste-t-il. Une telle question aurait nécessité une loi qui n'a jamais été élaborée. »

Le militant écologiste de longue date déplore l'absence de ce cadre légal « qui semble favoriser l'installation du chaos dans la durée, un chaos dont un grand nombre de personnes profitent, aux dépens de la nature et du Trésor ». Et de poursuivre : « Il n'y a aucun sérieux dans la façon dont cette affaire est traitée. Il se peut que ces lacunes ne soient pas volontaires, mais le résultat est le même. » Habib Maalouf suggère enfin que « l'État mette la main sur ce dossier », qualifiant le gravier « d'or blanc », si toutefois « l'État se décide à gérer cette ressource et ses rentrées efficacement ».

La gestion chaotique de ce dossier est autant source de pertes pour le gouvernement et le peuple libanais que de désastre écologique. Et c'est ce qu'a rappelé hier le comité de la société civile à Aïn Dara, une région minée par des carrières énormes. Le comité déplore « la nouvelle décision autorisant les carrières dites légales à fonctionner à nouveau, rappelant qu'il s'agit d'un blanc-seing délivré aux très grandes exploitations qui œuvrent sans aucun contrôle ».

 

Pour mémoire

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