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Lifestyle - La Mode

« Queen Rei », trois nuances de noir

Certains l'appellent « Queen Rei », d'autres décrient la mode postnucléaire qu'elle a réussi à imposer depuis Paris dans les années 1980. Simple styliste déjantée ou artiste de génie ? Rei Kawakubo, à travers sa marque Comme des garçons, a surtout libéré le vêtement.

Vue de l’exposition Rei Kawakubo au Costume Institute du Metropolitan Museum de New York. Photo DR

On a beaucoup versé d'encre sur l'aspect people et glamour du Met Gala, cet événement annuel présidé par la rédactrice en chef de Vogue US, Anna Wintour, et dont l'objectif est de lever des fonds pour financer l'exposition saisonnière de l'Institut du costume du Metropolitan Museum de New York. Le plus souvent théâtre d'expositions thématiques, quand ce musée consacre son espace à un créateur, il s'agit en général d'un créateur mort. Les deux seuls couturiers qui ont eu droit aux honneurs du Costume Institute de leur vivant son Yves Saint Laurent, et aujourd'hui Rei Kawakubo.

 

Philosophe et artiste
Dans les années 70, ce petit bout de femme, s'affairait déjà dans son Japon natal à créer des vestiaires selon la philosophie wabi-sabi qui incite à trouver la beauté dans ce qui est supposé laid. Elle décousait, recousait de traviole, inventait des volumes, redessinait la silhouette, utilisait des tissus usés, privilégiait le noir, les coutures apparentes, les boutonnages insolites. Et déjà elle n'avait pas d'autre prétention que d'explorer le vêtement suivant une démarche à la fois rigoureuse et totalement libre. Rigoureuse, car cette diplômée en philosophie, en littérature et en beaux-arts de l'université de Keio n'aborde pas la mode en cousette, bien qu'elle refuse d'être jugée intellectuelle ou cérébrale. Ce qu'elle fait, elle le fait à l'instinct en se laissant dicter sa démarche par une vision universelle du vêtement et de son rapport au corps. Les tissus noirs qui s'accumulent dans son atelier sont encore, en ces années-là, réservés au deuil et aux soirées. On a tendance à oublier à quel point le noir était tabou jusqu'au débarquement de Rei Kawakubo sur la scène parisienne. Les jeunes tokyoïtes qui commençaient à adopter sa mode se faisaient d'ailleurs taxer de « corbeaux ».

 

La période parisienne
Au début des années 80, Paris qui fait et défait la mode obéit encore à certains canons de beauté instaurés par ses grands créateurs, notamment Dior et Saint Laurent. Cependant, le disco et sa culture de la fête avaient donné naissance à des créateurs audacieux tels que Mugler, Gaultier, Alaïa ou Montana qui commençaient à sortir des sentiers battus. Kenzo Takada, le premier couturier japonais à conquérir Paris, est au pinacle, ainsi que deux autres stars de la mode nippone, Issey Miyake et Hanae Mori. C'est la présence et la célébrité de ces derniers qui incitent leurs compatriotes Yohji Yamamoto et Rei Kawakubo à les suivre sur les bords de la Seine. Les Japonais contribuent à faire de Paris la capitale internationale de la mode. Rei Kawakubo qui fait fi des critères de genre cherche un nom français pour établir sa marque. Elle s'inspire du tube de Françoise Hardy Tous les garçons et les filles de mon âge pour établir la griffe « Comme des garçons », ce qui sera plutôt cocasse quand elle accrochera à sa boutique masculine l'enseigne « Comme des garçons, hommes ».

Postnucléaire, Hiroshima chic, clodo, l'accueil fait à sa première collection présentée en 1980 en marge de la semaine parisienne du prêt-à-porter est pour le moins bruyant. Certains la portent aux nues, d'autres l'insultent, mais tous sont déroutés. Il faudra attendre les années sida et le règne d'une angoisse dont le pic se situe vers 1985 pour comprendre à quel point ces « trois nuances de noir » qu'impose la japonaise et dont elle s'habille elle-même sont en adéquation avec l'air du temps.

 

Grande richesse et pure créativité
L'exposition du Costume Institute présente 150 modèles féminins parmi les plus emblématiques du style Kawakubo depuis 1980. Selon Andrew Bolton, commissaire de l'exposition, « Rei incarne la pure créativité. Elle incarne aussi l'innovation et nous force à repenser les notions de beauté, de corps, de mode, et de la relation entre le vêtement et le corps. Elle casse ces barrières en créant des entités hybrides ». Entre études de plissages et de volumes, détournement des tissus techniques, destinés à soutenir les structures, en tissus externes, métissages entre une coupe kimono et une veste à l'européenne noire sur tutu rose dragée, exagération des volumes et odes à la déchirure, Rei Kawakubo aura inspiré de brillants disciples dont Alexandre McQueen et Martin Margiela.

 

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