La procédure suivie par le ministère de l'Énergie pour la location de deux navires-centrales supplémentaires afin de réduire les heures de rationnement du courant électrique en été continue d'être vivement contestée en raison d'irrégularités qui entachent l'adjudication, selon les critiques formulées par les Kataëb et les Forces libanaises, dont les ministres ont tenu hier une conférence de presse pour mettre les points sur les « i » et expliquer à l'opinion publique les raisons pour lesquelles ils contestent le procédé suivi par le ministère de l'Énergie et de l'Eau.
Même le président de la Chambre, Nabih Berry, est monté hier au créneau, dénonçant dans une phrase lapidaire une entreprise « qui doit renflouer des poches », dans une allusion on ne peut plus claire à une affaire de corruption. « Les navires-centrales vont surtout renflouer des poches. Ce marché n'est pas un simple détail. Toute transaction (du genre) qui n'est pas gérée par la direction des adjudications est indéniablement suspecte. Si quelqu'un s'est lui-même mis au banc des accusés, ce n'est pas à celui qui lui a fait confiance qu'il faut faire des reproches », a affirmé M. Berry dans une déclaration officielle, relayée par l'ANI.
(Pour mémoire : Location de navires-centrales : les offres examinées)
Parallèlement, les ministres des Forces libanaises, Ghassan Hasbani, Pierre Bou Assi et Melhem Riachi, ainsi que Michel Pharaon, ministre indépendant, qui avaient déjà critiqué le fait que la procédure lancée par l'Énergie et l'Eau n'a pas tenu compte de ce qui avait été décidé en Conseil des ministres au sujet du plan d'urgence adopté pour l'électricité, ont tenu une conférence de presse au ministère de l'Information pour dénoncer de nouveau les irrégularités qui entachent l'appel d'offres et l'adjudication. Ils ont même été jusqu'à menacer de prendre les « mesures nécessaires » à ce sujet, mais sans préciser lesquelles, tout en prenant soin de souligner que le conflit autour de ce dossier est « technique et non pas politique », et n'entame de ce fait en rien leurs rapports avec le CPL, parti auquel appartient le ministre de l'Énergie et de l'Eau.
« Le secteur de l'électricité fait subir à l'État des pertes qui représentent une grande part de la dette publique », a d'emblée rappelé M. Hasbani, qui s'exprimait au nom du groupe. « Après l'examen du projet de budget, le ministre de l'Énergie, César Abi Khalil, avait présenté un plan d'urgence pour le secteur de l'électricité, et le Conseil des ministres avait décidé de le charger de prendre les mesures nécessaires pour les appels d'offres et les adjudications, à condition de revenir au Conseil des ministres pour chaque étape de la procédure », a-t-il poursuivi. « L'appel d'offres a été cependant lancé contrairement aux décisions du Conseil des ministres et aux règles en vigueur : le cahier des charges n'a pas été soumis au gouvernement. Plus encore : le ministère a eu recours pour l'appel d'offres à un vieux cahier des charges, qui avait été adopté par l'ancien gouvernement et en vertu duquel une transaction entachée de nombreuses failles juridiques et procédurales avait été effectuée », a expliqué Ghassan Hasbani.
Le problème avec l'appel d'offres est qu'il a été mené, selon ses explications, « sans conformité avec les lois en vigueur qui régissent ce genre d'opérations, auprès de la direction des adjudications, de la comptabilité publique ou même d'EDL ». « Nous avons à deux reprises interpellé la présidence du Conseil à ce sujet, mais les choses sont restées inchangées et nos observations n'ont pas été prises en compte, ce qui nous a poussés, a-t-il précisé, à nous adresser à l'opinion publique, par souci de transparence. » Une qualité qui manque cruellement, de l'avis des ministres, à l'adjudication lancée.
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La réponse d'Abi Khalil
Interpellé lors du sommet international Oil & Gas au sujet de la polémique sur l'appel d'offres des navires-centrales, le ministre de l'Énergie et de l'Eau, César Abi Khalil, a cependant balayé toutes les accusations de corruption. « Certaines parties s'attendaient à tirer des bénéfices de ce marché, mais ça n'a pas fonctionné comme elles le souhaitaient, alors elles orchestrent ce tapage médiatique », a lancé M. Abi Khalil. « Chaque étape du processus de l'appel d'offres sera validée par le Conseil des ministres, en toute transparence », a-t-il assuré.
« Nous tenons au respect du Conseil des ministres, il est essentiel d'y recourir à toutes les étapes et surtout celle de la présentation du cahier des charges, a insisté M. Hasbani durant la conférence de presse. Nous allons prendre les mesures nécessaires à l'intérieur et à l'extérieur du Conseil des ministres pour assurer l'accès à l'État de droit. » Il a pris soin de souligner ensuite que les observations formulées traduisent « un souci de garantir le succès du régime et du gouvernement ».
M. Pharaon a rebondi sur ce dernier point, en assurant qu'en tant que ministre indépendant, qui avait discuté du dossier avec ses collègues, il peut garantir que les observations formulées et la conférence de presse convoquée n'ont « aucune motivation politique occulte ». « Leur objectif est de corriger des failles juridiques et de dissiper le malentendu au sujet de points techniques, afin d'éviter, en Conseil des ministres, des désaccords qui pourraient avoir des conséquences politiques », a-t-il dit.
En dépit de ces assurances, il est évident que quelque chose ne tourne pas rond dans les rapports FL-CPL et que ces tiraillements peuvent ne pas traduire peut-être une querelle politique fondamentale, mais au moins des divergences profondes sur la gestion des affaires publiques.
Ces réactions interviennent au lendemain de la réunion de la commission chargée d'évaluer les offres dans le cadre de l'adjudication publique pour la location des navires-centrales. Huit sociétés avaient pris part à l'appel d'offres, mais deux d'entre elles ont été retenues, suivant une procédure très contestée. Les Kataëb, par la voix de leur chef, Samy Gemayel, ont à maintes reprises dénoncé des irrégularités flagrantes.
Le Conseil des ministres, qui tient aujourd'hui une réunion au Sérail pour examiner un ordre du jour ordinaire, pourrait plancher de nouveau sur le dossier devant l'insistance des ministres FL. À moins qu'il n'argue de l'abondance des sujets à traiter pour en reporter l'examen, d'autant que le ministre de l'Énergie tend à repousser les délais fixés pour l'adjudication, afin de permettre aux sociétés qui n'avaient pas été retenues de compléter leur dossier.
Le gouvernement pourra-t-il cependant occulter l'affaire en espérant que les Libanais oublieront cette histoire d'irrégularités à partir du moment où ils auront moins de coupures du courant ? Rien n'est moins sûr cependant, à l'heure où l'exécutif s'apprête à accabler la population de nouvelles taxes.
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OU LORSQUE GOUPIL SE PLAINT DES MENUS CHACALS...
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 58, le 10 mai 2017