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Lifestyle - Beyrouth insight

Caline Chidiac, chef de filles

Sans cesse hésitante entre rêveuse et fonceuse, cette « affoleuse » de platines passée par l'optométrie et le marketing pose sa griffe musicale désarçonnante sur une night life dont elle aime subvertir les codes.

Photo D.R.

D'une part, il y a les mèches qui tombent et qui masquent, rideaux tirés sur une timidité adoucie qu'elle tient en lisière et qu'elle a appris à dompter. D'autre part, il y a celles qui sont là pour être rejetées, d'un ferme mouvement de ses doigts manucurés, libérant un front altier en ce matin radieux d'avril. Et cet ornement qui lui fait emblème, tour à tour passé du carmin au corbeau, du laqué-plaqué au dessalé-laisser aller, Caline Chidiac lui refuse désormais toute teinture. Lui préférant un destin salé et poivré qui sied parfaitement à son tempérament de croqueuse de vie à belles dents.

Il n'y a pourtant rien de cendré chez la crawleuse qui a remonté l'onde du temps qui passe, du flot qui lasse, pour se jeter au cou « des choses se sont présentées à moi au moment où il fallait que je les attrape », tout en s'amarrant à une éternelle adolescence androgyne qui se transforme en toute jeune quarantaine aérienne. Rien de gris, non plus, chez cette fille à la bouche en cœur éternellement vermillon, au regard plus exclamatif que points de suspension. Et bien sûr à l'inimitable voix grave et aggravée, qu'attendrissent des Niagara de rires brumeux et qui fait dire, de facto, qu'avec elle pas de face cachée, pas de mots mâchés.

Une histoire de vision
Aventurière dans l'âme, à la sortie de l'école, elle échappe à l'aquarium de Beyrouth en faisant ses armes en fac d'optométrie à Paris. De ces temps d'isolement prématurés – elle avait 17 ans quand elle a quitté le pays –, elle sort méfiante, pour ne pas dire méprisante. Elle s'en souvient ainsi : « Je vivais en vrai tout ce que je voyais jusqu'alors dans les magazines. C'était la plus belle période de ma vie, mais la plus dure aussi. Le cursus extrêmement rigide, et la solitude surtout. »

L'intéressant, c'est que Caline Chidiac jongle avec les poncifs. Oui, elle est bosseuse et fonceuse, anxieuse et batailleuse. Mais elle est aussi rieuse et rêveuse, et elle s'adonne à son plaisir lorsqu'elle rentre à Beyrouth et installe sa boutique Lunettes à Badaro. Avec pertinence et vitalité stylées, elle empile ses connaissances d'optométriste et ses gourmandises de fashion lover sur Inès, le mannequin-coqueluche de la boutique qu'elle se plaît à déguiser. Chez Lunettes comme dans sa vie, la musique est en fond de toile, et « les gens de passage à la boutique me disaient qu'ils aiment les morceaux que je passais, mais je n'ai jamais pris cela au sérieux », raconte-t-elle.

Hors formats
Et comme il y a indéniablement chez cette fille aussi partante que perplexe un art du tempo dans ses rencontres, un appétit d'attrapeuse de cailloux parsemés sur son chemin, une manière de se laisser entraîner sur les passages secrets et « de ne jamais réellement avoir de plan de carrière et de se fier à l'instant », Caline Chidiac envoie tout valser et intègre l'équipe de la designer Nada Debs en marketing.

Parallèlement, le bar 961 vient d'ouvrir et on lui propose d'y mettre la musique les vendredis soir. Elle se lance alors dans cette activité à l'improviste, comme on se propulse dans une stratosphère inconnue. « Sans formatage, je jouais les morceaux comme je le faisais à la maison », confie celle qui, en l'ignorant, instaure une nouvelle manière d'envisager la fête, éclectique et décomplexée, s'écartant du prêt-à-danser qu'on servait derrière les platines ou alors de l'électro qu'on portait aux nues. Elle le revendique de la sorte : « Je n'ai aucune posture par rapport à la musique, je passe ce que j'aime en solo, car j'envisage cela comme un partage, une discussion avec les gens. »

Tout pour la musique
Très vite, la vie nocturne libanaise se pâme pour celle qui ne lui ressemble en rien et, dans un effet boule de neige, Caline Chidiac devient l'ingrédient vital d'une soirée réussie, capable d'accoupler Julio Iglesias et Christine & The Queens, Mina et Bowie, et ainsi affoler les mondains amidonnés comme les plus redoutables des chevaliers de la contre-culture. Tout à fait raccord avec sa veine de fabricante d'histoires qu'elle avait l'habitude d'étaler sur ses collages échevelés et ses fringues customisés, la DJ-ette envisage sa nouvelle profession comme « une manière de créer une ambiance, en m'inspirant de l'énergie qui m'entoure, de la lumière, du décor ».

Drôle d'oiseau de nuit qui, cela dit, préfère la compagnie de son canapé-télé (elle est folle de Top Chef), de sa tribu de cœur et de sa bibliothèque pleine à craquer. Elle vole la lumière aux autres filles en se mettant en scène comme elle l'entend, libérée et très connotée, lâchant la bride à une féminité revue et corrigée par elle, et (im)pose sa griffe sur un univers parfois factice, mais pas si facile.
D'ailleurs, jusqu'à aujourd'hui, Caline Chidiac avoue que « chaque soirée est la première pour moi, tant pour le stress que pour les promesses qu'elle peut apporter. Je peux tout à fait angoisser toute la journée durant, puis finir par y aller. Ça doit être sans doute mon alliance Balance-Taureau », conclut-elle en lançant un regard souriant sur sa terrasse qui fleurit enfin.
Où pousse sereinement un capharnaüm de plantes, et où elle cultive, seule et en silence, l'étoffe de sa différence.

 

 

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