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Liban - Portrait

Melhem Riachi, aux confins de l’homme-paradoxe

Melhem Riachi. Photo Michel Sayegh

Sa tenue peu ajustée, dé-cravatée, aux tonalités gris-noir, est presque monacale. Mais la raideur logée dans ses yeux noirs disparaît aussitôt que se dessine, par intermittence, un (sou)rire malicieux dans sa barbe, voire dans son regard. Sa tenue est à la fois austère et décontractée. Impossible à coincer dans un archétype, Melhem Riachi brouille toutes les pistes. Autant donc lui inventer un, celui du « moine-politique » – jusque dans la tonsure.

C'est par une nette tendance pour le libéralisme que se caractérise le discours de l'ancien animateur de talk-show politique de l'ANB et ancien rédacteur en chef d'al-Joumhouriya, complété par un engouement pour la communication, et surtout, paradoxe à part, par une curieuse fascination pour la propagande. Le professeur de géostratégie de la communication à l'USEK se dit fortement imprégné par saint Paul, mais pour une raison peu commune : « Son art de convaincre, son maniement de la propagande. » Ses propos alternent, non sans cynisme, un mysticisme dû à sa formation de théologien, et une realpolitik rêche, qu'il semble s'approprier depuis la réconciliation de Meerab, scellée au terme de cinq ans à la tête de la communication externe des Forces libanaises (FL). « Une réconciliation dont l'effet direct a été de purifier les mémoires » et dont il revendique fièrement le parrainage.

Devant son bureau au ministère de l'Information, où il reçoit L'Orient-Le Jour en début de soirée, la salle d'attente des visiteurs est comble. Assis dans un fauteuil du salon, devant son cabinet, Melhem Riachi se soucie moins de se montrer à l'aise dans son nouvel espace que de prouver qu'il n'a « pas changé ». « Les feux de la rampe ne me troublent pas », dit-il. Il continue de se rendre dans des lieux publics, comme au cinéma, pour rester aux prises avec la réalité brute. Un acte qu'il défend comme une assertion d'être lui-même avant que d'être ministre. Là encore, paradoxe à part, l'humilité flirte avec la conscience de son nouveau statut.

 

(Lire aussi : Riachi à Bnechii : volonté d’ouverture sur les Marada ?)

 

D'un « hakim » à l'autre
Il n'empêche qu'il est aussi conscient de « sa responsabilité d'homme d'État ». Cette expérience est pour lui inédite. Son parcours politique n'avait jusque-là exigé de lui « que des obligations de moyens, et non de résultats », dit-il. Mais la plus-value de son expérience passée est d'avoir côtoyé des personnalités aux profils parfois antinomiques. Du « Vieux Lion de la Montagne », l'ancien ministre et député Albert Moukheiber, l'un des pionniers de la lutte contre l'occupation syrienne, qu'il a accompagné de 1992 à 1996 comme conseiller pour la communication, puis comme conseiller politique de 1996 jusqu'à son décès en 2002, à l'ancien ministre Élias el-Murr au ministère de l'Intérieur, puis au président des FL, Samir Geagea, en passant par l'ancien ministre Michel Samaha (au ministère de l'Information, de 1992 à 1994, en tant qu'attaché aux affaires culturelles), du temps où ce dernier flirtait avec le Renouveau démocratique de feu Nassib Lahoud.

Cet enfant de Khonchara (Metn) se défend toutefois de toute inconstance dans ses choix politiques. « Mon identité reste la même, en toutes circonstances. Mon penchant a toujours été pour les FL. D'ailleurs, d'aucuns me disaient que j'incorporais au discours d'Albert Moukheiber des éléments de la pensée politique FL », rapporte-t-il. Et pour décrire la teneur de cette pensée, ses mots coulent de source : « L'engagement en faveur de choix directement liés avec l'existence du Liban en tant qu'entité libre qui protège toutes ses composantes, sans exception. C'est-à-dire le discours axé sur la liberté et le pluralisme. » Dans cette description se fait sentir aussi le legs du Dr Albert Moukheiber, legs que Melhem Riachi exprime ardemment la volonté d'honorer. « C'était une école de politique, de valeurs et de courage », dit-il au sujet de son mentor.

 

(Lire aussi : Riachi : Le dossier des programmes jugés impudiques sera réglé dans le respect des libertés, des règles déontologiques et des mœurs)

 

Le ministre-poète
Une autre figure totémique parvient à se glisser dans ses réponses, en dépit de leur brièveté : le moine Victoire Haddad, aujourd'hui décédé, qui l'avait biberonné à la théologie sur la colline du couvent Saint-Jean à Khonchara. Le souvenir lui apaise les traits, comme s'il avait touché, auprès de ce moine, à un éclat d'humanisme défiant les ténèbres du conformisme. Une découverte que lui aurait enviée « Khalil l'apostat », son héros préféré de Gibran Khalil Gibran. Cette réminiscence fait surgir alors le poète en Melhem Riachi. « L'écriture est l'essence de ma vie. Le reste n'est que gagne-pain », confie l'auteur de plusieurs recueils et romans et qui vient de signer son dernier ouvrage Judas l'Iscariote, la méprise, traduit en français, aux éditions L'Harmattan.
« J'ose dire que je ne sens que dans l'écriture », confie encore le ministre-poète, qui reconnaît être influencé par Shakespeare et Gibran. Sa quête de « sentiment » lui fait d'ailleurs préférer, en musique, la gravité de Mahler à « l'allégresse » de Mozart.

 

De l'information au dialogue
Le terrain à même de concilier l'abstraction de l'homme et son constant retour vers la réalité semble être celui du dialogue, pris dans le sens de « l'échange continu d'idées, d'aspirations, quelles qu'elles soient », un échange « fondamental, nécessaire » qu'il veut aussi bien « intellectuel que politique ».
Et la réforme qu'il entend engager sur le terrain de l'information s'accompagne d'un plan visant à institutionnaliser le dialogue. Cette double réforme a un nom : l'abolition du ministère de l'Information (qui avait été la velléité de nombre de ses prédécesseurs), pour le remplacer par un ministère de la communication et du dialogue. « Le ministère sera d'abord les yeux des citoyens, dont il doit recevoir les doléances et les transmettre aux ministères concernés », dit-il.

 

(Lire aussi : Riachi : La liberté d’expression est garantie)

 

Rendre au Liban son prestige d'antan
Outre la fonction de « médiateur » entre les citoyens et le pouvoir, ce ministère doit aussi servir de plate-forme officielle à des rencontres de dialogue nationales mais aussi régionales. « Le ministère du dialogue ne sera pas que pour les Libanais », insiste M. Riachi, dont la fonction latente est de rendre au Liban son prestige d'espace de rencontres et d'échanges entre les individus, les ennemis d'hier, les cultures, les religions et les civilisations. Révélant que « toutes les parties politiques » ont délégué respectivement un député pour le suivi de ce projet, il prévoit de le soumettre en Conseil des ministres incessamment. Ce projet aurait été précédé par des échanges avec l'ambassade des États-Unis, le ministre saoudien de l'Information et surtout avec Bucarest, où il existe un ministère du dialogue équivalent.

En somme, il ne restera rien du ministère de l'Information qui soit lié aux médias, à l'exception du conseil légal aux médias traditionnels et numériques. Le nouveau ministère n'aura aucun rôle de « porte-parole » du cabinet, dit-il, soulignant que ce rôle « revient directement au Premier ministre ».

 

Un souci de réformes
Favoriser la communication lui permettrait en contrepartie de lâcher du lest, en faveur de l'information. L'abolition du ministère de l'Information doit ainsi neutraliser ses compétences sur le terrain des médias. Même si une partie de ses anciennes prérogatives sera confiée au Conseil national de l'audiovisuel (dont le ministre prévoit d'amender la loi relative), les poursuites judiciaires contre les médias devraient, elles, se limiter à « des conseils de discipline relevant de l'ordre des journalistes, qui statueraient sur la base d'une loi sur la déontologie des médias (d'où l'intérêt, selon lui, de son plan d'élaborer cette loi) ». Il prévoit en outre une réforme de l'ordre (mise à jour des conditions d'adhésion, instauration d'une immunité syndicale qui interdirait les poursuites judiciaires en dehors des actions publiques, restriction à trois ans non renouvelable de la présidence de l'ordre...).

Même si elle attend encore de se préciser, la vaste réforme qu'il entend mener pourrait paver la voie à une dépénalisation progressive des actions intentées contre les médias. Il aurait d'ailleurs d'ores et déjà adressé une lettre officielle au ministre de la Justice, pour examiner les moyens d'accélérer la procédure judiciaire pour les affaires de diffamation. Son collègue se serait montré coopératif.

 

Soutien à la presse écrite
Un autre projet sur lequel veillent les journalistes de la presse écrite : une subvention de 500 livres libanaises pour chaque copie de journal vendue. Une réforme qui a besoin néanmoins d'un déblocage de fonds, dont la requête s'annonce pour le moins ardue. D'autant que M. Riachi vient d'obtenir du ministère des Finances les fonds nécessaires au versement, en janvier dernier, de 13 mois d'arriérés à 97 journalistes pigistes, « un milliard huit cents millions de livres libanaises », avec lesquels il prévoit de signer un règlement d'accords (préalablement à leur licenciement). « Je n'accepterai pas qu'ils travaillent gratuitement », conclut-il, souhaitant rompre, là encore, avec l'ordre clientéliste.

Une volonté manifeste de rompre avec l'ordre ancien, en parfaite osmose avec un personnage issu de la période rebelle de Gibran. Car c'est bien une tempête calme et apaisée de changement dont se veut porteur Melhem Riachi, mais en toute discrétion, loin des feux des projecteurs et du vacarme des foules.

 

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commentaires (5)

"Ses propos alternent, non sans cynisme, un mysticisme dû à sa formation de théologien, et une realpolitik rêche.". Oui, bon ! Pourquoi ? A-t-on déjà vu un "mystique?", théologien aussi, qui soit tout à fait Non-Cynique et à "politique!" Non-Rêche en partie ?

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

18 h 20, le 14 février 2017

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • "Ses propos alternent, non sans cynisme, un mysticisme dû à sa formation de théologien, et une realpolitik rêche.". Oui, bon ! Pourquoi ? A-t-on déjà vu un "mystique?", théologien aussi, qui soit tout à fait Non-Cynique et à "politique!" Non-Rêche en partie ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    18 h 20, le 14 février 2017

  • "C'est par une nette tendance et surtout une curieuse fascination pour la propagande que se caractérise le discours de Mélhîm Rîéééchéhhh, ce professeur à l'université.... du "SAINT-ESPRIT!" Évidemment, en tant que Moine...."politique" ! "Et qui se dit fortement imprégné par saint Paul ; (Forcément!) parlant ; pour son (Art!).... de la Propagande." ! Lâh, lâh, lâh ! Mâr Boûloss,.... "PROPAGANDISTE" à présent ?!

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    18 h 06, le 14 février 2017

  • "Sa tenue dé-cravatée, aux tonalités gris-noir, est presque monacale. (En effet.) Impossible à coincer donc dans un archétype, ce Mélhhîm qui brouille toutes les pistes. Autant donc lui inventer un, celui du « moine-politique » – jusque dans la tonsure." ! Mais RIEN ne vous est "impossible", Séttt Sandra ! Vous l'avez derechef percé : Le MOINE.... "politique" ! En effet, Typique ! Chapeau !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    16 h 59, le 14 février 2017

  • "Mais la plus-value(!) de son expérience passée est d'avoir côtoyé des personnalités aux profils parfois antinomiques(!).... E.g.(!) L'Exploseur Michééél SS'méééhhâh de 92 à 94." !!! Ou, selon, ce Rîéééchéhhh.... "Aux Confins!" du Paradoxe ! Pourquoi donc aux "confins!", Séttt Sandra ? Plutôt, A FOND, dans le paradoxe ; juste pour rester.... "Gentil?" !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    16 h 52, le 14 février 2017

  • Un grand homme il est ne plusieurs Mr Riachi...

    Soeur Yvette

    16 h 08, le 14 février 2017

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