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Le Liban en 2016 - rétro 2016

Bâtisseurs ou démolisseurs ?

Il n'est pas indifférent de revenir, en cette fin d'année, sur le discours récemment tenu par le ministre sortant de la Culture, Rony Arayji, au cours de la cérémonie marquant la prise en charge des archives du Cénacle libanais par l'Université Saint-Joseph.

Parlant « du rôle et de la place de la Culture » au Liban, l'ancien ministre affirme : « Je sors bien attristé de l'interminable processus d'attribution des portefeuilles ministériels, où j'ai pu constater comment le ministère de la Culture était relégué, dégradé au statut de lot de consolation que se rejetaient différentes parties. »
« C'est dire à quel point est grand le fossé qui sépare la classe dirigeante des aspirations de nos concitoyens qui, eux, par contre, ont compris non seulement le rôle, mais aussi la nécessité de la culture dans leur vie ; en ce qu'elle constitue l'essence et l'expression même de leur génie et de leur humanité. »
C'est à travers la culture que « se concentre l'intelligence d'un peuple, l'identité en gestation d'un peuple  (...) l'expression d'une conscience libanaise », a-t-il ajouté.

Bénéficiant d'une vue globale et songeant sans doute à certaines initiatives de la société civile, le ministre sortant a déploré l'absence « d'un espace de réflexion collective qui repense continuellement notre nation, face au manque d'imagination et de perspectives que nous constatons ». Il affirme avoir aussi constaté « des mouvements désordonnés » qui, « faute d'une structure et d'une vision, se sont éteints comme des feux de paille » et n'ont pu « initier un changement ».

Penser le Liban, aménager « un espace de réflexion collective » où se forge une identité nationale « toujours en gestation », voilà l'essentiel de la mission qui doit être celle d'un ministre de la Culture. Le terme « toujours en gestation » pouvant être compris non pas tant comme un processus qui doit s'achever mais comme une conscience nationale toujours en devenir, parce que vivante et en interaction avec le milieu et l'histoire.

Comme point de rencontre entre Orient et Occident, le Liban bilingue et trilingue est désormais tout entier « un espace de réflexion collective » où se forge et s'exprime non seulement une identité nationale, mais aussi des identités communautaires fragmentaires. C'est un « laboratoire à identités », unique au monde. Mais ces multiples identités sont, parfois, conflictuelles, et peuvent même menacer l'identité proprement nationale, celle du vivre-ensemble que l'histoire a conférée au Liban.

La valeur centrale à toutes ces identités, celle qu'il faut préserver à tout prix, parce qu'elle en est le pivot, est la liberté. Les menaces à cette liberté viennent de partout, et une extrême vigilance doit être exercée pour la défendre et en élargir l'espace.

Un haut responsable militaire iranien vient d'affirmer qu'Alep doit être considéré comme l'un des postes avancés du front de la résistance. Voilà qui est inquiétant. C'est un impérialisme qui s'exprime là. En Syrie, c'est l'histoire d'une théocratie iranienne qui s'écrit, et non celle du Liban. Que le Hezbollah prenne garde. Car à quoi sert de gagner la Syrie si l'on en vient à perdre le Liban ? Non pas le territoire du Liban, mais l'espace de liberté unique que représente le Liban dans la région, y compris pour le Hezbollah.

Parallèlement, une certaine société libanaise occidentalisée rêve de s'affranchir de tout ce qu'elle considère comme des entraves religieuses à sa liberté. Sans être consciente des vertiges mortels qui attendent une liberté devenue folle, coupée de toute vérité révélée. Vertiges dont un certain Occident moribond, coupé de toute transcendance, se meurt lentement.

Il y a là, encapsulé entre deux idéologies contradictoires, un enjeu de civilisation. Celui que dans le discours auquel nous avons fait référence, Rony Arayji définit comme étant « celui des rapports entre le spirituel et le temporel, le religieux et le politique ».

On est en présence de deux visions du monde antinomiques, de deux pathologies sociales, de deux nouvelles « négations » qui empêchent le Liban d'être une nation au plein sens du terme. En fait, elles le transforment en une espèce de nation introuvable, ou encore insaisissable, dont le régime syrien n'a cessé, depuis 1943, de nous tourmenter en affirmant qu'elle n'existe donc pas.

« L'un bâtit, l'autre démolit, qu'en retirent-ils sinon de la peine ? » dit quelque part l'Ecclésiastique, l'un des livres de l'Ancien Testament. En effet, qui sommes-nous ? Que voulons-nous ?  Voilà des questions qu'il est urgent de nous poser et de nous reposer, et voilà pourquoi il y a de quoi s'affliger quand les ministères de l'Éducation ou de la Culture sont dédaignés par des seigneurs de la politique au profit de ministères « à services ». Y a-t-il plus grand service que l'on peut rendre au Liban que de le dignifier de nouveau aux yeux de Libanais qui passent leurs jours à le dénigrer ? Voilà ce qu'a brillamment fait, en véritable bâtisseur, le ministre sortant de la Culture, donnant à ses successeurs un modèle d'actions affirmatives à suivre. Voilà le genre de bâtisseurs que nous sommes tous invités, chacun dans son domaine, à être ou devenir.

 

Il n'est pas indifférent de revenir, en cette fin d'année, sur le discours récemment tenu par le ministre sortant de la Culture, Rony Arayji, au cours de la cérémonie marquant la prise en charge des archives du Cénacle libanais par l'Université Saint-Joseph.
Parlant « du rôle et de la place de la Culture » au Liban, l'ancien ministre affirme : « Je sors bien attristé de...