De tous les ministres nommés par des partis dans un gouvernement qui ne compte pas d'indépendants, une seule femme figure dans la part réservée au président du Parlement Nabih Berry : Inaya Ezzeddine, médecin bardée de diplômes et mère de famille, a été chargée du ministère d'État au Développement administratif.
Que l'ensemble des autres partis n'aient pas cru bon de proposer des noms de candidates a laissé bouche bée même les plus pessimistes des militantes engagées. Cerise sur le gâteau : la création d'un ministère d'État aux Droits de la femme confié à un homme, le député Jean Oghassabian (bloc du Futur).
Sur les réseaux sociaux, les commentaires se sont succédé toute la journée. « Une honte! » s'écrie Hala sur Facebook. « Et en plus, un portefeuille des Droits des femmes occupé par un homme », lui répond Monique. « Quel avenir pour les femmes dans une société aussi machiste ? » s'insurge une autre internaute. Il était possible de relever de nombreuses réflexions dans la même veine.
La personne de Jean Oghassabian n'est pas en cause, il est évident, mais l'idée même de sa nomination en a surpris plus d'un(e). Nous n'avons pu le joindre hier, mais il avait réagi en journée à la levée de boucliers provoquée par son nouveau poste. « Je respecte et je comprends les réactions qui appuient ou qui rejettent la nomination d'un homme à la tête de ce ministère », a-t-il dit, se déclarant « ouvert à toutes les propositions ».
La réaction des organisations féminines ne s'est pas fait attendre. Pour Kafa, « le souci de la représentation des communautés au gouvernement a pris le pas sur le souci de représenter la femme ». « Le gouvernement annoncé hier est une honte pour tous les hommes politiques qui ont participé à sa formation », souligne un communiqué de l'association, considérant que « toutes les femmes ont été insultées, et en premier celles qui militent dans les rangs de ces mêmes partis », et qu'une seule femme ministre « ne suffit pas à calmer leur colère ». Et d'ajouter : « Nous ne demandons pas que les droits des femmes soient concentrés en un ministère, mais que la femme accède à la citoyenneté complète par la participation réelle à la vie politique et à la gestion du pays. »
« Il ne faut pas laisser passer cela sans réagir, poursuit le texte. Si nous ne prenons pas position clairement aujourd'hui, plus personne ne nous prendra au sérieux aux échéances prochaines. »
De son côté, le rassemblement « Women in Parliament », qui compte plusieurs organisations, a parlé de « marginalisation de la femme » et de « grande déception après les promesses creuses des chefs de partis ». Il a annoncé le lancement de campagnes sur les réseaux sociaux, avec les hashtags #la-bataille-se-poursuit (al-maaraka-mkafaya) ou encore #nous-ne-nous-tairons-pas (mich-rah-niskot). Le communiqué précise que la principale revendication sera, dans l'immédiat, le quota de 30 % dans le prochain Parlement.
(Lire aussi : Chaptini et Bahia Hariri se penchent sur la participation des femmes au Parlement)
« Je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi mauvais »
Parmi les militantes des droits des femmes interrogées hier par L'OLJ, Joëlle Bou Farhat, cofondatrice de l'organisation « Women in Front », ne cache pas sa révolte. « Nous allons militer pour les obliger à changer de loi et imposer le quota féminin, parce que sans cela, la situation ne changera jamais », dit-elle. Et d'ajouter : « Ils ne sont soucieux que de garder leur poste et leur pouvoir. Que la moitié de la population soit représentée ou pas, ça, ils n'en ont rien à faire. »
Même cri de colère du côté d'Iqbal Doughan, militante de très longue date et présidente du Conseil de la femme libanaise (coalition de 140 organisations non gouvernementales). « La représentation féminine est sans nul doute minime, et nous ne sommes absolument pas d'accord, s'insurge-t-elle. Heureusement que le président de la Chambre Nabih Berry a eu la décence de nommer une femme de sa part. Nous avons demandé aux autres partis de proposer des candidates partisanes, sachant que, de toute évidence, elles allaient suivre leurs consignes, pas les nôtres. Au moins, la femme aurait été bien représentée. Mais leurs promesses n'étaient que paroles en l'air. »
Lina Abou Habib, présidente du Collectif pour la recherche, la formation et le développement-action (CRTDA), est tout simplement « choquée ». « Je ne m'attendais certainement pas à des miracles, mais pas non plus à ce que ce soit aussi mauvais », dit-elle à L'OLJ. Commentant le fait que les partis n'aient même pas daigné nommer des femmes militant dans leurs propres rangs, elle fait remarquer que « c'est l'image même du système patriarcal qui ne fait pas confiance aux femmes, même celles qui font partie de leurs proches ».
(Lire aussi : Le Conseil national de la femme libanaise pour un quota féminin de 30 % des sièges)
Un quota de 30 % ou rien
Toutes les militantes interrogées insistent sur l'importance du quota de 30 % au moins dans la loi électorale. Or le quota, c'est ce qu'a précisément évoqué le Premier ministre Saad Hariri dans son discours à la suite de l'annonce du gouvernement...
« Si c'est de leur proposition précédente de quota de 10 % qu'il s'agit, cela n'est en aucune façon acceptable, affirme Joëlle Bou Farhat. Le chiffre avancé par l'Onu lors du sommet de Beijing (sur les droits des femmes) est de 30 %. Le Liban est l'un des seuls pays arabes, avec le Qatar et Oman, à n'avoir pris aucune mesure en ce sens, et il occupe même la 143e position sur 144 pays en matière de représentation politique des femmes selon le Forum économique mondial ! »
Pour Lina Abou Habib, « le quota est une nécessité, il ne faut pas qu'il soit considéré comme une compensation ». Elle souligne que le quota n'est pas un concept qui se limite aux élections législatives, mais qui s'étend à toutes les nominations. « Dès 1995, les quotas étaient déjà de 30 %, et les pays qui les ont appliqués en sont déjà à la parité homme-femme au Parlement », souligne Iqbal Doughan.
Et que pensent-elles d'un homme à la tête d'un ministère d'État aux Droits de la femme ? « Non seulement c'est une femme qui devait occuper ce poste, mais une femme militante, et il y en a beaucoup ! » affirme Iqbal Doughan.
« C'est honteux, s'insurge pour sa part Joëlle Bou Farhat. Personne n'a de problème avec le ministre en question, mais c'est comme si les responsables de la formation du gouvernement ont estimé qu'aucune femme n'avait assez de compétence pour ce poste. »
Toutefois, Iqbal Doughan n'y voit pas que du négatif. « L'initiative en soi peut être bénéfique si tant est qu'elle se développe et que ce ministère d'État devienne un ministère à part entière, avec une structure, un directeur général souligne-t-elle. Nous avons besoin d'un bras exécutif pour faire avancer les causes relatives aux droits des femmes. »
C'est toute l'idée d'un ministère pour les femmes, qu'il soit ministère d'État ou non, que Lina Abou Habib remet en question. « Un ministère pour les droits des femmes n'a jamais été une revendication ni l'objet d'une quelconque mobilisation de la part des organisations féminines, affirme-t-elle. Pour une raison très simple : nous demandons la parité dans la représentation et l'inclusion de l'idée de l'égalité dans la déclaration ministérielle. Je ne crois pas qu'un ministère isolé puisse faire une différence, les problèmes liés à la cause des femmes concernent tous les ministères et tous les domaines. De plus, il existe au Liban une structure officielle qui est la Commission nationale de la femme, créée depuis le Congrès de Beijing et traditionnellement présidée par la Première Dame. Or c'est un organisme qui n'a jamais eu l'occasion d'être productif, pourquoi alors lui ajouter un ministère? À mon avis, c'est un indicateur de plus du manque de sérieux et de volonté politique dans le domaine des droits des femmes. »
Une réunion et des mesures à prendre
Interrogée sur les mesures prévues par les organisations féminines, Joëlle Bou Farhat souligne que le rassemblement « Women in Parliament » compte tenir une réunion aujourd'hui pour débattre de la démarche à suivre. « Nous n'allons probablement pas tout annoncer à la fois, parce que notre campagne couvrira toute la période pré-électorale, avec l'élaboration de la nouvelle loi qui devra comporter un système de quota, avant de nous attaquer à la formation du futur gouvernement », précise-t-elle. Pour Iqbal Doughan, « la bataille est rude, mais tous les moyens disponibles seront bons pour arriver à nos fins ».
Malgré tout, Joëlle Bou Farhat reste optimiste. « Il y a beaucoup de gens qui travaillent sur le sujet et beaucoup d'énergie qui y est dépensée, dit-elle. Nous n'allons tout simplement pas arrêter de militer, ni accepter les propositions insuffisantes. » Lina Abou Habib ne voit pas de possibilité de changement dans l'immédiat, mais refuse de baisser les bras. « Si nous relâchons la pression, cela équivaut à leur donner ce qu'ils veulent, et ce n'est pas notre intention », lance-t-elle.
La formation de ce gouvernement a été clairement ressentie comme un camouflet pour les femmes et un indicateur négatif pour la suite. La volonté de mobilisation des femmes libanaises en faveur d'un changement en ressortira-t-elle renforcée ?
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commentaires (3)
Dans notre pays , les incompétents ne cèdent pas facilement leurs marocains parcheminés ,à des novices...;-)
M.V.
09 h 06, le 20 décembre 2016